— Je n’ai eu aucune difficulté et je n’ai pas abîmé les serrures…
— Qu’as-tu appris ?
— Que M. de Saint-Aignan dispose d’un salon… dans un angle duquel est un portrait ébauché sur un chevalet, une très jolie chambre… et un escalier pliant !
— Un escalier pliant ?
— Plus aisé à descendre et à remonter qu’une échelle en particulier pour un pied mignon et que l’on peut accrocher au plafond… juste sous une trappe pratiquement invisible.
— Et au-dessus ? s’enquit Isabelle qui commençait à comprendre.
— C’est la chambre de Mlle de La Vallière. Là, le parquet est découpé si habilement qu’on le distingue à peine lorsque l’on retire le tapis.
— Rien d’autre ?…
— Absolument rien qui puisse surprendre si la maîtresse des filles d’honneur de Madame – qui a les clefs de leurs chambres – venait passer une inspection. Chez M. de Saint-Aignan, évidemment, il en serait autrement : les fleurs, les draps de soie du lit, le portrait ébauché… plus que ressemblant ! Mais personne n’oserait y entrer.
— C’est de la folie pure ! remarqua la jeune femme. Il y a de quoi faire exploser notre petit univers si hermétiquement clos ! En conséquence tu n’as rien vu, n’ayant rien vu tu ne m’as rien dit et moi… Bon ! Il faut que j’essaie de mettre de l’ordre dans cet imbroglio sans déchaîner de catastrophe… Merci, Bastille !… Une fois encore… que ferais-je sans toi ?
— Puis-je me permettre de donner un conseil à madame la duchesse ? Qu’elle me pardonne si je lui semble insolent !
— Tu sais que tu es pour moi plus qu’un serviteur ! Parle !
Il hésita un instant puis :
— Madame la duchesse devrait se remarier ! La Cour est un endroit dangereux pour une dame seule, sauf lorsqu’elle est âgée…
— Tu veux dire que je n’en suis pas là mais je n’ai plus vingt ans… et que le temps passe vite ? fit-elle en se tournant machinalement vers son miroir…
Il sourit de nouveau.
— Non. Madame la duchesse demeure éblouissante et je sais qu’elle souhaite garder sa fidélité à Monsieur le Prince mais elle ne peut user sa vie dans les intrigues de Cour ! Pas une Montmorency ! Pas la veuve de Gaspard de Châtillon ! Il lui faut une alliance brillante et elle peut briguer n’importe laquelle.
Elle détourna les yeux, peinée de trouver chez ce serviteur exceptionnel un écho bienveillant – mais un écho tout de même ! – aux paroles que François lui avait lancées au visage le jour de son mariage. En outre, il avait raison : le temps passait. Inexorable !
— Je vous ai blessée ? s’inquiéta-t-il.
— Non, rassure-toi ! Tu as raison. J’en suis consciente et je peux t’avouer que, depuis la mort de mon cher époux, je caresse l’espoir de devenir princesse de Condé parce que je suis convaincue que lui aussi le souhaiterait mais son épouse survit à ses nombreuses fausses couches et elle reste sa femme… De ce côté il faut abandonner quelque espoir en dehors du fait qu’espérer le trépas de quelqu’un ne saurait plaire au Seigneur Dieu ! Alors qui ?
— Il suffit peut-être d’attendre ? Ils sont nombreux, vos soupirants !
— Mais je ne distingue ni roi ni prince et toi tu réclames une grande alliance !
— Je ne réclame rien : je pense seulement que madame la duchesse est faite pour porter couronne !
— Dieu t’entende ! Moi je n’y verrais aucun inconvénient ! fit-elle en riant.
En attendant il fallait rendre plus respirable l’air de Fontainebleau ! Et, dans ce but, elle se rendit chez Madame qu’elle trouva encore plus morose.
— L’idée m’est venue, lui dit-elle, d’un moyen de séparer le Roi de cette La Vallière. Et ce n’est certes pas en la chassant de la suite de Madame. Quand M. Fouquet lui a offert de l’argent afin de la mieux parer, elle est allée droit se plaindre au Roi avec le résultat que nous avons su ! Si Madame la renvoie à sa Touraine natale, elle retournera en parler au Roi !
— Je l’en crois capable. Alors ?
— La saison s’avance et comme Madame se sent lasse ces temps-ci, elle peut souhaiter rentrer chez elle ! Ses filles d’honneur seront forcément obligées de la suivre et je vois mal le Roi venir s’installer aux Tuileries !
Sur le front soucieux d’Henriette, les quelques rides de contrariété s’effaçaient au fur et à mesure :
— Reste à convaincre Monsieur !
— Il n’aime rien tant qu’être chez lui avec ses amis et ses collections.
Deux jours plus tard, en effet, les Orléans regagnaient la capitale. La Cour suivit presque aussitôt.
1 Une lieue équivaut à environ trois kilomètres.
2 En fait, Madeleine-Charlotte ne quitterait pas souvent Ligny. Décidé à se doter d’une vaste famille, François veillerait à ce qu’elle soit enceinte à peu près tous les ans.
3 Elle était atteinte d’un cancer du sein.
4 Elle l’avait surnommée ainsi.
5 Exilé, il mourut quelques années plus tard, ignoré, à Bazas (en Gironde).
9
Un rustre !
En conseillant le retour à Paris, Isabelle avait prêché pour son saint. A Fontainebleau on avait tendance à s’entasser les uns sur les autres et ce fut avec un vif plaisir qu’elle retrouva son confortable hôtel de la rue Saint-Honoré, proche des palais royaux. Elle avait rendu – et non pas revendu – à la marquise de Valençay, sa sœur, le petit hôtel qu’elle avait acheté quelques années plus tôt.
Cinq enfants étaient nés, en effet, de ce mariage si paisible – l’une des filles était d’ailleurs la filleule d’Isabelle – et si la fortune des parents demeurait honorable, les éternels embellissements du château en prélevaient une bonne part. Aussi, en prévision de l’établissement de ses neveux et nièces, Isabelle, estimant qu’il fallait à la famille un pied-à-terre convenable, non seulement rendit gracieusement l’ancienne demeure parisienne mais y entretint un couple de serviteurs chargé de veiller à ce qu’il soit en permanence en état de marche…
Le répit que Madame connut en regagnant son palais fut de courte durée. Encouragée en cela par la grossesse de la Reine et par le temps qui se détraqua comme par un fait exprès dès le départ des Orléans, la Cour leur avait emboîté le pas… et en ordre dispersé : après avoir accompagné son épouse à la barge douillettement aménagée qui la ramènerait à vitesse réduite à Paris par la voie fluviale, le Roi sauta en selle avec ses gentilshommes et prit au grand galop le chemin de sa capitale, se réinstalla au Palais-Royal et, à peine arrivé, se précipita aux Tuileries prendre « des nouvelles de Madame ».
— Comment ? Déjà ? s’écria Monsieur dont un tel empressement réveillait des soupçons qui, chez lui, ne dormaient jamais que d’un œil. Il jette son épouse à l’eau pour courir après la mienne ! Quel mari peut supporter cela ? ajouta-t-il d’un ton plaintif.
— Monseigneur exagère ! calma le marquis d’Effiat qui, avec Guiche et le jeune chevalier de Lorraine, composait la trilogie des « amis de cœur du prince ». La Reine ne risque pas que s’emballent les chevaux qui halent sa barge et la Seine n’est pas coutumière des tempêtes !
— Elle peut s’enfler sans crier gare, déborder, envoyer ce fichu bateau s’écraser sur… sur…
— Sur une pile de pont ? proposa Guiche, venant charitablement à son secours. Allons, Monseigneur, bridez un peu votre imagination !
— Imagination ? Je gage qu’il est à cette heure à ses pieds ! Et comme il est chez moi je vais le recevoir !
Quelques minutes plus tard, encore tout chaud, tout bouillant, Monsieur pénétrait chez Madame sans se faire annoncer. Le spectacle qu’il découvrit le calma considérablement. Etendue sur une chaise longue, Madame bavardait avec la duchesse de Châtillon et Mme de La Fayette. Le Roi était là… mais il s’entretenait dans une embrasure de fenêtre avec la petite La Vallière qui à son habitude l’écoutait tête baissée en rougissant.