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— Ah vous êtes ici, Sire mon frère ! clama-t-il d’une voix tirant légèrement sur le fausset. Je voulais m’assurer que vous étiez rentré sans dommages par ce mauvais temps !

— Fort bien, mon frère, fort bien ! Vous aussi apparemment ? Souffrez qu’à présent je vous quitte ! Je suis un peu en souci de la Reine justement en raison du temps et je vais envoyer au- devant d’elle…

— C’est ce que vous expliquiez à Mlle de La Vallière ? Alors je vous souhaite le bonsoir, mon frère !

Ayant dit, l’incroyable prince vira sur ses hauts talons rouges, alla baiser la main de sa femme et disparut comme il était venu…

Les yeux étaient à présent braqués sur Louis, qui, sur un dernier sourire à son amie, alla saluer Madame en lui souhaitant bonne nuit et se retira, visiblement mécontent, tandis que La Vallière rejoignait les autres filles d’honneur. Elle n’y resta pas longtemps non plus. Durant un petit quart d’heure, Madame poursuivit sa conversation puis, élevant soudain la voix :

— La Vallière, vous pouvez rentrer chez vous. Je n’aurai plus besoin de vous ce soir !

Devenue écarlate, la jeune femme fit une profonde révérence et sortit suivie des yeux par ses compagnes dont la majorité l’imita peu après. Madame alors éclata :

— Je ne peux plus souffrir cette fille ! Ses mines languissantes, sa fausse timidité m’exaspèrent ! En outre, le Roi ose venir la courtiser jusque chez moi et la Reine est persuadée que c’est de moi dont il est épris. Je vais la chasser ! Notre bon Sire en fera ce qu’il voudra !

— Ne vaudrait-il pas mieux, avança Mme de La Fayette, que Votre Altesse ait avec la Reine une conversation à cœur ouvert ? Rien n’est pire qu’un malentendu qu’on laisse perdurer.

— Par le sang, Madame est l’égale d’une infante. Je partage l’avis de Mme de La Fayette. D’autant qu’enceinte de près de sept mois la Reine doit se sentir assez malheureuse, dit Isabelle.

— Je ne sais si elle se sentira plus heureuse de savoir que son époux est l’amant d’une fille de peu mais au moins elle pourra rendre sans arrière-pensée son amitié à Madame ! déclara une grande femme brune, très belle et très élégante qui venait saluer la princesse, accompagnée d’un beau gentilhomme à l’œil vert, au sourire éclatant en qui Isabelle reconnut avec plaisir le marquis de Vardes, ce capitaine des Cent-Suisses dont elle avait fait la connaissance quand il escortait Condé à Aix. Quant à la dame, c’était Olympe Mancini, l’aînée des nièces du défunt cardinal Mazarin qui, ayant épousé le comte de Soissons, était devenue cousine du Roi, donc l’une des premières. On l’appelait Madame la Comtesse sans autre désignation comme on appelait Condé Monsieur le Prince. Avant sa sœur Marie, elle avait attiré l’attention du Roi dont elle avait été quelque temps la maîtresse… et ne cachait qu’à peine un vif désir de le redevenir. Surintendante de la maison de la Reine, de surcroît, c’était une puissance avec laquelle il était bon de compter. Madame lui offrit un sourire las :

— Vous avez sans doute raison, ma cousine, mais je n’en ai pas la moindre envie. Outre ses larmes, elle va me déverser un flot de paroles en espagnol dont je ne comprendrai pas la moitié !

— Alors il faut lui apprendre la vérité mais différemment ! Vous parlez et écrivez l’espagnol, Vardes ? N’est-ce pas ?

— Fort mal ! En revanche, Guiche le parle et l’écrit comme s’il était né à Madrid. Et que ne ferait-il pas pour Madame, ajouta-t-il en saluant la princesse, les yeux pétillants de malice.

— Il faudrait donc qu’il rédige une épître signée… ou plutôt sans signature ! Lettre dans laquelle le souscripteur protesterait de son indignation d’apprendre qu’ayant eu l’heur d’épouser une infante le roi de France se commettait avec une fille de peu, qu’il fallait mettre fin à ce scandale, etc.

— L’idée n’est pas mauvaise, objecta Isabelle, mais une lettre arrivée d’Espagne doit, même anonyme, avoir l’air de ce qu’elle est et non d’un message parti de la maison d’en face. Elle doit présenter les traces du voyage, des signes distinctifs, d’usure. Où trouver le support ?

— Pourquoi pas dans les papiers de rebut de la Reine ? proposa Madame dont l’humeur s’améliorait peu à peu. C’est le sort des enveloppes du courrier que je reçois d’Angleterre.

— Il faut donc soudoyer une femme de service ou l’un de ceux qui vident les corbeilles ! conclut Mme de Soissons. Je m’en charge ! Vous, Vardes, allez expliquer à Guiche ce que nous attendons de lui ! Il sera trop heureux de rendre ce service à Madame…

L’analyse était parfaite. Plus amoureux que jamais – et bientôt payé de retour avec l’aide et la protection d’Isabelle devenue l’intime de sa princesse ! – le beau comte se déclara prêt à tous les sacrifices, fût-ce de sa vie, pour un sourire de son idole ! – alors, écrire une simple lettre !… Pourtant et bien que Mme de Soissons eût souhaité presser le mouvement, on en remit la réalisation à une date ultérieure à la demande d’Isabelle : Marie-Thérèse approchait du terme de sa grossesse. Elle aurait besoin de toutes ses forces car l’enfant s’annonçait volumineux. La lettre lui infligerait une douleur dont elle n’avait nulle nécessité et qui, même, pourrait l’affaiblir jusqu’à peut-être une issue fatale :

— Si elle venait à en mourir, expliqua Isabelle à Madame, nous serions impardonnables, voire criminelles. La pauvre petite n’est déjà pas si heureuse ! Il faut lui laisser savourer son bonheur si elle doit donner un dauphin au royaume !

Madame qui n’était pas vraiment méchante approuva d’autant plus volontiers que la Cour ayant établi ses quartiers au château de Saint- Germain-en-Laye, le Roi devait dépenser des trésors d’ingéniosité pour voir La Vallière.

La suite donna raison à Mme de Châtillon : le 1er novembre 1661, la Reine goûtait le bonheur d’offrir à son époux un gros bébé qui allait devenir Monseigneur le Grand Dauphin. Elle avait failli en mourir mais le chaleureux remerciement dont son époux la gratifia de ses souffrances lui fit connaître un moment de pur bonheur tandis qu’autour d’elle la France débordait d’enthousiasme.

On se félicita d’avoir différé la rédaction de la fâcheuse lettre. Le Roi, tout aux joies de la paternité, était aux anges et avait mis une sourdine à ses amours, ce qui, vis-à-vis de la Reine, était la moindre des choses. On put même croire un moment que l’affaire La Vallière s’engageait sur sa fin mais ce ne fut qu’une illusion ! Laissant son épouse pouponner – elle sera une excellente mère s’occupant personnellement de ses enfants ! –, Sa Majesté reprit le chemin des appartements de Madame… et Guiche se mit au travail.

Mme de Soissons avait réussi – le Diable sait comment ! – à se procurer l’enveloppe d’une lettre en provenance de Madrid, dans les papiers de rebut de la Reine et la « lettre espagnole » atterrit bientôt dans l’antichambre de Marie-Thérèse… qui ne devait jamais en prendre connaissance… En effet, le pli arriva entre les mains de Maria Molina, qui la servait depuis l’enfance avec un entier dévouement et se méfiait comme de la peste de cette Cour de France qui ne lui inspirait aucune confiance.

Or, elle reconnut l’enveloppe pour l’avoir vue il n’y avait pas si longtemps et, soupçonnant quelque méchante manœuvre, l’ouvrit, en prit connaissance et partit tout droit la porter au Roi.