Выбрать главу

Celui-ci entra dans une violente colère et voulut punir l’auteur, quel qu’il fût, de cette tentative contre ses amours. Or, qui fit-il appeler pour le charger de l’affaire ? Le marquis de Vardes dont il avait pu, à plusieurs reprises, constater les talents d’enquêteur ! Ce qui ne faisait pas vraiment honneur à sa psychologie ! Mais le sémillant personnage – ne manquant ni de bravoure ni de talents militaires ! – savait se faire valoir. Il promit de débrouiller rapidement le « mystère » et revint apporter ses conclusions : selon lui, trois personnes pouvaient se trouver à la source d’une telle perfidie. A savoir la duchesse de Navailles, la Grande Mademoiselle ou Mme de Motteville.

En mettant la duchesse de Navailles en vedette, il savait ce qu’il faisait : dame d’honneur de la Reine, elle s’était aperçue à Fontainebleau des visites nocturnes qu’avant le règne de La Vallière le Roi rendait à l’appartement des filles d’honneur de son épouse… en passant par les toits. Elle n’avait pas hésité un instant avant de demander la pose d’une grille qui contraignit Sa Majesté à une retraite sans gloire. Quant à Mademoiselle et à Mme de Motteville, elles n’étaient là que pour faire nombre et le Roi ne s’y arrêta pas une seconde. Quelque temps après, le duc et la duchesse de Navailles étaient disgraciés sans explication. Ils quittèrent d’ailleurs la Cour sans murmurer… Quant aux deux autres « possibilités », elles n’étaient crédibles en rien. Etant trop proches de la Reine, elles n’auraient jamais voulu être à l’origine d’une seule de ses larmes…

Encouragé par ce succès, Vardes voulut pousser son avantage et se débarrasser de Guiche qui, par franchise ou par étourderie, était capable de dévoiler la vérité et dont il aspirait à prendre la place auprès de Madame tout en faisant la cour à Isabelle. Aussi alla-t-il informer discrètement Monsieur de son infortune conjugale. Occupé à essayer une nouvelle parure de diamants, de rubis et de perles, Monsieur – donc d’excellente humeur – commença par lui rire au nez :

— Vieille lune que cette histoire ! Et ne me dites pas que vous y attachez le moindre crédit ! Il y a beau temps – lors de notre séjour à Fontainebleau – que mon frère a signifié à ce pauvre Guiche qu’il y avait des terres trop hautes pour qu’il se permît d’y braconner…

— Le Roi avait pour cela les meilleures raisons ! persifla le chevalier de Lorraine, superbe jeune homme dont la faveur auprès de Monsieur montait de jour en jour… et curieusement au même rythme que sa méchanceté !

N’étant sensible qu’au charme masculin, il ne laissait passer aucune occasion de nuire à une femme. Celle-là était trop belle pour la manquer :

— Bah ! fit-il avec un geste insouciant, le Roi était très amoureux de Madame ! Tout le monde sait cela.

— Comment, tout le monde sait cela ? piailla Monsieur, indigné. Mon frère ne peut pas voir un visage féminin un peu joli sans lui faire un doigt de cour ! C’est ce qu’il a fait cet été et j’y ai mis bon ordre !

— Allons, Monseigneur, cessez de vous vanter ! ronronna Lorraine en lui offrant son plus beau sourire. C’est votre auguste mère qui a mis fin à l’idylle. Et puis le Roi a découvert les charmes de la petite La Vallière et oublié Madame… qui, elle, n’avait pas oublié le cher Guiche !

— C’est peu de le dire, appuya Vardes, foudroyant l’importun d’un regard meurtrier. Il suffit de les voir ensemble pour en conclure qu’ils s’aiment. Ils n’ont pas besoin de l’exprimer : leurs yeux parlent pour eux !

— Tout de bon ? gémit Monsieur dont la belle humeur n’était déjà plus qu’un souvenir.

— Tout de bon ! Guiche n’a-t-il pas osé revenir à la Cour sans être rappelé sous le prétexte que sa présence manquerait au ballet des Saisons ? Il n’a surtout pas manqué de se rendre ridicule ! Jamais il n’a si mal dansé ! Il traînait quasiment les pieds !

— Eh bien, il ne les traîne plus !… Il a retrouvé sa prestance pour escalader certaine fenêtre les nuits de lune nouvelle !

Pour le coup, Monsieur monta sur ses grands chevaux :

— Tonnerre de Dieu ! Il ne se moquera pas de moi plus longtemps !

Et il partit aussitôt à la recherche du Roi qu’il trouva dans son cabinet de travail en compagnie de Colbert qui apportait des documents à sa signature… et fronça les sourcils devant l’intrusion.

— Sire, mon frère ! clama Monsieur d’entrée.

— Un instant, je vous prie ! Souffrez que j’en finisse !

Stoppé net dans son élan oratoire, le prince se laissa tomber dans un fauteuil en tiraillant nerveusement ses manchettes de dentelle. Ce que voyant, Louis XIV en termina rapidement avec son ministre qui disparut comme le djinn des contes orientaux.

— Quand donc, mon frère, perdrez-vous cette manie de pénétrer chez moi en trombe ?

— Quand vos gentilshommes cesseront de se moquer de moi !

— De qui allez-vous vous plaindre cette fois ?

— De ce misérable Guiche !

— Encore ? Mais cela tourne à l’obsession ! Que vous a-t-il fait ?

— Cocu, mon frère ! Bonnement cocu ! Il couche avec ma femme !

Le Roi ne retint pas un soupir excédé.

— Ça recommence !

— Vous voulez dire que ça n’a pas cessé ! Même pendant cette parodie d’exil dont vous l’avez frappé parce qu’il soupirait autour de Madame ! Vous n’auriez jamais dû lui permettre de revenir. A-t-on idée aussi d’un éloignement à Paris ? A une petite journée de cheval !

— Vous les avez surpris ?

— En ce cas, ce misérable aurait été occis sur l’heure ! assura le prince, dramatique à souhait. Mais je le sais de source sûre !

Connaissant trop Monsieur et son entêtement pour ignorer qu’il le harcèlerait jusqu’à ce qu’il obtienne satisfaction, Louis rendit les armes :

— Tâchez de vous calmer ! Je vais ordonner au maréchal de Gramont d’envoyer Guiche à l’armée de Lorraine qui doit se rendre prochainement en Pologne ! Il m’étonnerait que le comte revienne de si loin escalader un balcon par une nuit obscure !

Ce qui fut dit fut fait. Le pauvre amoureux boucla ses bagages mais, avant de partir, il demanda à son « ami » Vardes, en qui il avait pleine confiance, de venir pour lui remettre certaine cassette contenant des lettres confidentielles qu’il souhaitait cacher en lieu sûr.

— Je ne voudrais pas m’en séparer, lui dit-il, les larmes aux yeux, car plusieurs me sont plus chères que ma vie. Je n’en emporterai qu’une seule et la garderai sur mon cœur… Aussi est-ce à vous que je confie ce qui est pour moi un trésor. Prenez-en soin ! Quand je reviendrai – si je reviens ! – vous me le rendrez. Sinon brûlez-tout ! Vous me le jurez ?

— Sur mon honneur ! répondit Vardes qui n’en était pas à un parjure près et dont l’honneur n’était plus qu’une vague réminiscence de prime jeunesse…

Guiche parti, il n’eut rien de plus pressé que prendre connaissance du contenu. Le plus « précieux », c’étaient des lettres de Madame ne laissant aucun doute sur ses relations avec Guiche mais il y en avait aussi – moins nombreuses et surtout d’un ton différent ! – écrites par la duchesse de Châtillon d’autant plus intéressantes qu’elles révélaient son rôle de confidente – pour ne pas dire d’entremetteuse ! – dans ces amours princières.

Tout rentra donc dans l’ordre sauf pour la comtesse de Soissons que l’on avait pratiquement oubliée mais qui, elle, n’oubliait rien… Il fallait en finir avec La Vallière, aussi employa-t-elle les grands moyens. Sachant la Reine fort pieuse, elle lui demanda une audience secrète au couvent des Carmélites où Marie-Thérèse se rendait fréquemment. Et là, elle déballa l’histoire sans la moindre pitié pour la souffrance qu’elle suscitait dans ce cœur candide où l’époux royal régnait sans partage. Si cruelle que Marie-Thérèse ne put la supporter : elle courut se jeter aux pieds de sa belle-mère, demandant qu’on lui permît de rentrer en Espagne maintenant qu’elle avait rempli son devoir en donnant un héritier à son seigneur et maître.