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Naturellement, il n’en était pas question mais, estimant que cette situation ne pouvait durer, Anne d’Autriche la fit venir chez elle avec Madame, puis convoqua La Vallière qu’elle renvoya purement et simplement : ni ses belles-filles ni elle-même ne voulaient garder un tel brandon de discorde.

Le Roi s’étant absenté pour vingt-quatre heures, la pauvre Louise ne put l’appeler au secours et s’enfuit chez les Carmélites de Chaillot sans en avertir personne. Entre les Tuileries et le couvent, le parcours n’était pas très long surtout pour des jambes de vingt ans. Elle le couvrit à pied, en pleine nuit, sans se douter qu’un garde l’avait reconnue et la suivait. Rassuré sur son sort après l’avoir vue entrer, il galopa au Palais-Royal, attendit le retour du Roi et le mit au courant.

La réaction ne se fit pas attendre… Sa Majesté piqua une colère royale et, après avoir réfléchi un moment, fonça chez sa belle-sœur qu’il trouva en compagnie de Mme de Châtillon et d’une marchande de mode. La princesse avait souvent recours au goût sans failles d’Isabelle. Comme c’était l’une de leurs occupations préférées l’atmosphère n’était pas à la mélancolie. Les deux femmes riaient beaucoup. L’irruption du Roi les arrêta net. Il n’était pas difficile de deviner de quoi il allait être question et, par discrétion, Isabelle voulut se retirer.

— Restez, duchesse ! Vous n’êtes pas de trop car je suppose que vous savez ce qui s’est passé avant-hier chez ma mère, ainsi que la cruauté dont on a fait preuve envers Mlle de La Vallière ! Madame, à ce l’on rapporte, n’a pas de secrets pour vous !

— Mais l’auguste mère de Votre Majesté pourrait en avoir et…

— Restez, Babelle ! ordonna la princesse. Au surplus et puisqu’il est question de Mlle de La Vallière, il n’y a aucun secret ! Ses services ayant cessé de me convenir, j’y ai mis fin, comme c’était mon droit !

— Mais vous avez jugé bon de le faire chez ma mère et en présence de la Reine !

— Votre Majesté est mal renseignée, riposta-t-elle avec un froid sourire. C’est la Reine mère qui m’a appelée après avoir reçu une douloureuse plainte de sa belle-fille !

— Une plainte ? Il m’étonnerait ! La Reine ne se plaint jamais. C’est une sainte !

— Ou du bois dont on les fait, mais l’auréole étant encore loin, même une sainte peut trouver mauvais qu’un époux tendrement aimé la chasse de son cœur pour y donner place à une fille de pas grand-chose. Cela posé, aucune de nous trois ne sait où elle est, si c’est là où le Roi veut en venir !

— Au couvent de Chaillot ! Rien de mieux pour retrouver la paix de l’âme !… D’où j’entends la ramener, au plus vite aussi discrètement que possible !

— La ramener où, si je ne suis pas trop curieuse ?

— Mais chez vous, ma sœur ! N’est-elle pas de vos filles d’honneur ?

— Je ne vois pas l’honneur qu’il y a à être servie par elle et j’ose rappeler au Roi que je l’ai chassée ! lança Madame dont la colère montait crescendo… Maintenant si le Roi me dénie – à moi qui suis fille et sœur de roi ! – le droit d’être servie par qui m’agrée je réclame de me retirer chez mon frère. Là où il ne viendrait l’idée à personne de m’offenser comme vous vous le permettez !

— Voyons, ma chère sœur…

Devinant que le Roi entamait une plaidoirie plus qu’hasardeuse pour son orgueil, Isabelle choisit aussitôt de se retirer sur la pointe des pieds. S’il allait jusqu’à s’humilier, il ne lui pardonnerait pas d’en avoir été le témoin. C’était préférable aussi vis-à-vis de Madame. Sachant à quel point elle avait été proche du Roi – on ne peut plus proche d’ailleurs ! –, ces deux anciens amants pouvaient, dans le feu de la dispute, laisser échapper des paroles révélatrices et, par la suite, lui tenir rigueur de les avoir entendues…

Rentrée dans son logis, elle examina l’idée de retourner à Mello, son joli château qui ne l’avait pas vue depuis plusieurs mois. Pour factice qu’elle soit, la vie de Cour n’en était pas moins absorbante et le temps y passait si vite que c’était à peine si l’on remarquait les changements de saison! De là, en plus, elle pourrait aller voir Condé à Chantilly où il faisait de nombreux travaux dans le but – et quand viendraient les beaux jours ! – d’y recevoir le Roi et la Cour avec un faste digne des Condés.

Avec lui aussi les sentiments évoluaient. Les poussées de passion qui les jetaient l’un vers l’autre pour des étreintes quasi animales se transformaient en quelque chose de plus doux, une confiance mutuelle et une tendresse dont elle avait longtemps cru Condé incapable mais que tissait l’inébranlable confiance qu’il n’avait jamais cessé de lui porter. Il arrivait que le mal étrange dont il avait souffert dans sa jeunesse le reprît et bien que sa sœur, revenue des grandes aventures, séjournât parfois auprès de lui, elle était désormais trop tournée vers le Ciel pour attacher du prix à ce qu’elle considérait comme des malaises. Quant à son épouse qu’il détestait toujours autant, elle vivait dans l’une ou l’autre de leurs demeures mais de préférence dans celle où il n’était pas. La pauvre mère ne voyait pratiquement plus son fils, déjà fiancé à la princesse Anne de Bavière et qui ne quittait guère son père. Au surplus, Claire-Clémence présentait des signes étranges laissant supposer qu’en craignant l’hérédité d’une mère folle Condé ne s’était pas trompé.

Ce jour-là, Isabelle décida finalement de partir pour Mello et, en allant lui demander son autorisation, elle invita Madame à l’accompagner. Pour se changer les idées !

— Ce serait avec joie, lui répondit la princesse, mais inopportun ! Sans doute pour faciliter le retour de sa maîtresse, le Roi a décidé le départ de la Cour pour Saint-Germain…

— Cela n’oblige pas Son Altesse à les suivre !

— Si… dès l’instant où il en exprime le désir. Cela rendra les relations plus faciles étant donné que j’ai dû accepter de laisser La Vallière à sa place parmi mes filles d’honneur…

— Oh, non ?

— Oh, si ! Comme vous le savez, le Château Neuf qui nous est réservé est proche du Château Vieux puisque seul un jardin les sépare et la liberté y est moins restreinte. Il y a aussi nombre d’endroits où il est possible de se rencontrer à l’abri des regards, ajouta Madame avec une amertume qu’elle ne put retenir…

Elle garda un instant le silence puis cracha :

— Néanmoins nous nous sommes mis d’accord sur un point. Au cas où elle attendrait un enfant, elle serait retirée de mes filles d’honneur pour être rattachée à la Reine !

— La Reine ? L’épouse bafouée ? Je rêve !

— Non. Le service de ma belle-sœur compte davantage de monde que le mien. On ne l’y verra jamais, sinon brièvement et elle pourra vivre à l’écart jusqu’à… oh, et puis nous verrons bien ! s’écria-t-elle laissant libre cours à sa colère. Le jour où je ne pourrai plus la supporter… Mon Dieu !…

Portant soudain son mouchoir à ses lèvres, elle pâlit brusquement, vira sur ses talons et, avisant un vase vide qui se trouvait sur une console, s’en empara et vomit dedans, soutenue par Isabelle qui en même temps appelait à l’aide pour que l’on vienne coucher sa princesse qu’une fois au lit elle se mit à observer d’un œil inquiet. Depuis quelques jours Henriette avait mauvaise mine, se plaignait de lassitudes et refusait certains mets.