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— Madame a souvent mal au cœur ? demanda-t-elle.

— Presque tous les matins ! Et aussi quand j’entends venir Monsieur !… et les parfums dont il s’inonde.

— Et que disent les médecins ?

— Rien ! Je ne veux pas les voir ! Ils m’importunent à un point dont vous n’avez pas idée…

Isabelle partit dans un joyeux éclat de rire qui eut pour effet de renfrogner Madame :

— Vous trouvez cela drôle ?

— Drôle, non, mais plutôt réjouissant : cela signifie que Madame attend un enfant… et que je suis infiniment heureuse d’être la première à la féliciter. Monsieur va être ravi !

— Cela j’en suis moins sûre… murmura la princesse en se laissant retomber dans ses oreillers où elle ferma les yeux manifestant ainsi son envie de dormir… ou de faire semblant.

Il est vrai que, jusqu’à son terme, Madame vivrait dans l’angoisse. Si c’était un garçon, on pouvait se demander quel visage il évoquerait. Si c’était Monsieur, tout irait pour le mieux. Il serait tout faraud et son épouse serait tranquille pour un bon moment, le joli prince ne portant aux femmes qu’un intérêt très limité. Si c’était le Roi, on pourrait jouer sur l’air de famille mais si c’était… quelqu’un d’autre ? Chez les Gramont, père et fils, les hommes étaient assez typés, et alors…

Et alors, ce pourrait aussi être une fille et Isabelle, en regagnant le petit appartement que son intimité avec la princesse lui avait fait attribuer aux Tuileries, se morigéna. Quelle idée que d’imaginer des suites aussi catastrophiques ! D’abord, il ne s’agissait que d’un début de grossesse, ce qui laissait largement le temps de voir venir ; ensuite, la princesse étant plutôt délicate, rien ne disait qu’elle la mènerait à son terme, enfin… rien ! Encore une fois on verrait bien ! Cependant elle ne put s’empêcher de se livrer à de subtils calculs d’où il ressortit que seul Guiche était à redouter puisque son absence n’avait guère duré. Quant au Roi, il s’intéressait ouvertement à La Vallière depuis plus longtemps. Restait à savoir à quel moment il en avait fait sa maîtresse. Et cela, une seule personne pouvait le lui apprendre : Saint-Aignan !

Certes il lui faisait la cour mais de là à trahir ce qu’il devait considérer comme un secret d’Etat si l’on en jugeait la mine importante qu’il arborait depuis quelque temps… Finalement, le géniteur était peut-être l’époux légitime, Monsieur, qui, s’il n’était pas attiré par les femmes – tant s’en faut ! –, ne cachait pas son intention d’avoir des enfants afin de continuer sa lignée au cas où « la branche aînée viendrait à s’éteindre ! ». C’est dire que les nuits avec lui n’avaient rien d’enivrant et que sa jeune épouse – elle se laissa aller à en faire la confidence à « Babelle » – les vivait comme autant de corvées…

Toutefois il était écrit qu’Isabelle devrait se désintéresser momentanément des amours royales pour mettre de l’ordre dans ses affaires de famille. Du moins essayer. Elle atteignait le grand escalier quand elle vit Bastille qui en montait les marches quatre à quatre. Il venait lui apprendre que sa mère, rentrant de Valençay souffrante, s’était arrêtée à Mello dans l’espoir de voir sa fille… mais ne la trouvant pas avait voulu continuer son chemin jusqu’à Précy en demandant qu’elle l’y rejoigne.

— Quelle idée ? Pourquoi n’être pas restée chez moi ? Je sais que Précy est avoisinant… Enfin ! Qui est venu me prévenir ?

— Le fils Grandier. Sa mère allait l’envoyer à Paris faire quelques emplettes et le message de Mme de Bouteville est arrivé juste à temps pour qu’il prenne le relais. Je l’ai envoyé à ses achats et je viens vous chercher.

— Bon ! Je vais avertir chez Madame et nous partons. Pour que ma mère veuille être chez elle il faut qu’elle soit sérieusement malade. Nous ne ferons qu’une halte à la maison pour que je prenne un bagage…

— Inutile ! Agathe en a préparé un et vous attend dans la voiture !

En dépit de son inquiétude, réelle : même si elle ne la voyait pas souvent, elle aimait beaucoup sa mère, Isabelle sourit :

— Qu’ai-je fait pour mériter des serviteurs tels que vous ? Attends-moi ici ! Juste le temps de voir Madame !

Elle y rencontra Mme de La Fayette qui revenait de chez la Reine mère, lui raconta brièvement ce qui s’était passé et la pria de l’excuser auprès de la princesse : elle devait s’absenter plusieurs jours.

— Partez tranquille, la rassura celle-ci. Madame aime trop sa propre mère pour ne pas vous excuser ; mais tâchez de ne pas attraper son mal ! Vous savez à quel point Monsieur redoute le moindre éternuement…

— Veillez bien sur Madame ! ajouta Isabelle en l’embrassant.

Récupérant Bastille, elle s’élança dans la galerie rejoignant l’escalier d’honneur qu’elle descendit en courant, au mépris de l’étiquette et sans se soucier de ce qui pouvait lui faire obstacle, ne remarquant même pas la double haie de Cent-Suisses alignée dans l’immense vestibule du palais. Chaque instant qui passait augmentait son angoisse au sujet de sa mère. Aussi, dès son arrivée, enverrait-elle à Chantilly demander à Condé de lui prêter Bourdelot1, le seul médecin en qui elle eut une confiance absolue.

Elle fonçait donc sur l’entrée principale du palais en tenant ses jupes légèrement relevées pour ne pas la gêner quand elle s’écroula avec la pénible impression d’avoir percuté un mur…

Un mur soutenu par de grands pieds ornés de larges nœuds de ruban incarnat mais qu’elle n’eut pas le loisir de contempler plus longtemps : des mains la remontaient le long d’un personnage vêtu de pourpre et d’or qui lui parut gigantesque jusqu’à ce qu’elle découvre un visage un peu rougeaud, encadré d’une vaste perruque et qui la contemplait avec émerveillement :

— Ach so !… Wie schöööön !…

Et pour mieux marquer son enthousiasme, l’inconnu lui plaqua sur la bouche un baiser du genre ventouse dont elle pensa perdre le souffle d’autant que le personnage, qui avait dû se livrer à de nombreuses libations, empestait le vin à plein nez.

L’indignation lui rendit aussitôt sa combativité coutumière :

— Oh !…. Espèce de malappris !

Et de toutes ses forces, elle lui appliqua une gifle retentissante dont il fut si surpris qu’il la lâcha.

A peine les pieds d’Isabelle eurent-ils retrouvé le contact du sol que sans s’attarder davantage à constater le résultat de sa réaction elle reprit sa course vers la sortie, aperçut son carrosse légèrement en retrait, courut grimper dedans sans laisser au cocher le temps de lui ouvrir la portière ni de baisser le marchepied et se jeta sur les coussins :

— A la maison ! lança-t-elle au cocher.

— Est-ce que madame la duchesse n’attend pas Bastille ? s’enquit celui-ci.

— Naturellement ! Mais que fabrique-t-il ?

Se penchant à la portière, elle s’aperçut que la cour d’honneur était pleine de militaires dont, pour la plupart, elle ne connaissait pas les uniformes et que ces gens la regardaient avec une indignation horrifiée qui ne lui fit ni chaud ni froid. Ce qu’elle voulait c’était Bastille et tout de suite ! On avait assez tardé !…

Quand enfin il apparut, Saint-Aignan l’accompagnait. Lui au moins ne la regardait pas d’un air scandalisé. Il avait même plutôt envie de rire. Mais elle le savait bavard et elle était pressée, elle lui envoya :

— Pas le temps de causer avec vous, mon cher comte ! Ma mère est malade et, comme elle ne l’est jamais, je suis inquiète. Aussi vais-je à Précy…

— Vous n’avez pas envie de savoir qui vous avez malmené ?