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— Il y a dedans la duchesse ma femme et mes deux enfants !

— Vous en avez déjà deux, alors que vous n’êtes marié que depuis dix-huit mois ?

— Le second est encore dans le ventre de sa mère ! Je me vois mal rentrer au château avec Mlle Beausoleil !

— En revanche vous ne voyez aucun inconvénient à chasser votre mère de son propre lit pour y batifoler avec Mlle… comment avez-vous dit ?

— Beausoleil, des comédiens de Monsieur. Vous devriez connaître !

— Eh bien non, je ne connais pas ! Je suis de l’entourage de Madame dont les goûts diffèrent nettement de ceux de son époux ! Les nôtres aussi sont différents !

— Je ne trouve pas, ricana François. Il aime les hommes et vous aussi ! Et on dirait même que vous aimez les mêmes !

— Où prenez-vous cela ?

— Chez le sulfureux marquis de Vardes. Monsieur l’apprécie parce qu’il est méchant comme teigne. Madame ne cesse de repousser ses avances et il est votre amant !

— Quoi ? Je ne nie pas que ce soit un ami, précieux parce qu’il est amusant, mais rien de plus !

— Allons donc ? Il aurait de vos lettres… fort tendres, selon la rumeur ?

La patience d’Isabelle était usée :

— C’est faux ! Il n’a jamais eu de moi que des billets amicaux. Il me fait rire et c’est une qualité que j’apprécie. Vous devriez le savoir : nous avons tant ri ensemble dans cet autrefois que je regrette infiniment… Quant à Vardes, il n’est pas mon amant, ne l’a jamais été et ne le sera jamais.

— Pourquoi ? Il est beau, il devrait vous plaire ?

— Disons qu’il m’a plu un temps mais qu’il me plaît moins !

— La raison ?

— Ne vous regarde pas ! Cela posé, j’espère que vous allez quitter cette maison ! Si Ligny vous semble trop éloigné, rentrez donc à Paris ! Vous y avez un hôtel, non ?

— En effet… Mais je préfère la campagne. Si vous voulez rester ici – chez moi ! – insista-t-il, prêtez-moi Mello !

— Certainement pas ! Surtout demandé de cette façon !

— Pourquoi ? C’est la Beausoleil qui vous gêne ?

— Vous avez changé, François ! Sinon vous ne poseriez pas ce genre de question !

— Si j’ai changé, vous aussi ! La Beausoleil est ce qu’elle est mais elle ne joue pas à la prude !

— Moi ? Je joue à la prude ?

— Et quoi d’autre ? Combien – en dehors de Condé – avez-vous eu d’amants depuis ce pauvre Nemours ? Voulez-vous que nous fassions l’addition ? fit-il en comptant sur ses doigts : Hocquincourt. Un. L’abbé Fouquet. Deux…

— Ni l’un ni l’autre ! Le seul nom de ce misérable abbé pourrait me faire vomir et je reconnais que je dois toute ma gratitude à son frère Nicolas. Sans lui je ne sais pas ce que je serais devenue…

— Vos deux voisins anglais…

— Il est facile de nommer des absents. Vous savez pertinemment que, fidèles amis du roi Charles au temps de l’exil, il les a rappelés en Angleterre auprès de lui ! Et puis les deux à la fois, c’eût été une performance de ma part. Il n’empêche qu’ils me soient d’excellents amis. Vous en avez encore en réserve ? persifla-t-elle. Je ne me savais pas si riche !

— La Rochefoucauld…

— Pauvre garçon, devenu quasi aveugle par amour ! Je reconnais qu’il m’a proposé de nous venger ensemble, quand notre cousine Longueville l’a délaissé pour Nemours. C’est fini ?

— Oh, que non ! Bussy-Rabutin…

— Le cousin de cette charmante marquise de Sévigné avec qui je me suis liée récemment ? Vous rêvez ! C’est d’elle dont il est amoureux et, de plus, nous n’éprouvons nulle sympathie réciproque ! Je déteste les fats et, en outre, il a tendance à fabuler !

— Vardes et…

— Non, non et non ! Il suffit ! explosa Isabelle. Parmi la liste que vous avez énumérée, aucun d’eux n’est entré dans mon lit. Qu’ils s’en vantent, c’est possible. Qui donc pourrait être capable de retenir les potins de cour ? Quant à vous, essayez donc de vous souvenir de ceci, ajouta-t-elle abandonnant les cris de la colère pour un ton plus mesuré : depuis l’enfance j’aime Condé et, depuis la mort de mon cher Gaspard, j’ai rêvé d’être son épouse, au cas où il deviendrait veuf ! Et jamais il n’épouserait une femme ayant passé de mains en mains ainsi que vous le prétendez…

Il eut un petit rire sec parfaitement déplaisant :

— Confrontée à eux, vous changeriez peut-être de ton ?

Les yeux plantés dans ceux de son frère, elle le regarda un instant en silence puis :

— Et ce sont eux que vous croiriez ? Vous qui, jusqu’à ce que vous deveniez duc et pair de France, étiez mon cher petit frère ! Combien je le préférais à Monseigneur le duc de Piney-Luxembourg… cet inconnu ! Le premier ne possédait plus que son épée et l’eût tirée cent fois plutôt que me laisser insulter comme font ces vantards… et comme vous le faites vous-même !… Aussi je vous cède la place !

— Vous partez ?

— Dans l’instant ! Et j’emmène notre mère. Mello n’est qu’à deux pas et Bastille va la conduire, soigneusement emmitouflée, jusqu’à ma voiture ! Vous souffrirez que j’emporte aussi mon père ! conclut-elle en se dirigeant vers une commode sur laquelle le portrait était adossé contre le mur, mais il se précipita pour lui barrer le passage :

— Tenez-vous tranquille ! C’est moi qui m’en vais… sans quoi vous seriez capable de clamer que j’ai chassé notre mère de sa demeure !

— Si ce n’est pas ce que vous étiez en train de faire, cela lui ressemblait à s’y méprendre !

Elle n’essaya pas de le retenir. Dix minutes plus tard, enfournant sa comédienne dans son carrosse, François prenait le chemin de Paris. Isabelle et sa mère en firent autant peu après. La duchesse avait l’impression que la chère femme guérirait plus sûrement dans la belle chambre de Mello qui ne servait que pour elle, plutôt qu’en réintégrant le lit dont les ébats de son fils l’avaient chassée… Ensuite on verrait…

1 Médecin de Condé, voir tome 1, La Fille du condamné.

10

Isabelle et les aléas du mariage

— Si vous saviez à quoi vous en tenir, mère, pourquoi être venue seule ? Ma sœur, mon beau-frère ne pouvaient-ils vous accompagner ?

Le nez et les yeux de Mme de Bouteville se levèrent au-dessus du bol de tisane qu’elle était en train d’absorber sans le moindre plaisir :

— Qu’est-ce que votre Bourdelot vous a fait mettre là-dedans ? C’est amer comme chicotin ! J’aurais de beaucoup préféré du lait… ou un bon vin chaud à la cannelle !

— Vous en aurez après ! Les deux si vous voulez mais si, telle que je vous connais, vous ne voulez pas vous éterniser au lit, il faut en avaler trois fois par jour ! Dans dix minutes vous aurez droit à une cuillerée de miel !

— Pourquoi ne pas l’avoir ajoutée à cette mixture infernale ? Ce serait plus simple !

— Peut-être mais moins efficace… et vous n’avez pas répondu à ma question. Pourquoi être venue seule ?

— Dominique vient de recevoir des bois précieux pour l’un de ses salons et Marie-Louise a… des nausées !

— Encore ! Mais ils veulent combien d’enfants ?

— Ce sont des choses qui arrivent quand on suit à la fois la loi du Seigneur et celle de la Nature !… Et puis François est mon fils et je préfère ne pas mettre de tiers entre nous. Le malheur a voulu que je tombe malade pendant le trajet sinon je ne vous aurais pas dérangée !