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Au bas du majestueux escalier, Isabelle trouva M. de Saint-Vallier, lieutenant aux gardes du corps, qui se précipita à sa rencontre :

— Vous m’attendiez ? fit-elle, surprise.

— Mais naturellement je vous attendais ! Votre exactitude est connue, madame la duchesse ! Ainsi que votre connaissance des usages de la Cour. Etant donné le chemin à parcourir, le Roi pensait que vous arriveriez… maintenant ou à une minute près ! ajouta-t-il en levant un doigt pour souligner l’écho de l’horloge du château qui sonnait quatre heures ! Magnifique !

Isabelle se retint de rire. C’était la première fois qu’on lui reconnaissait une qualité autre que sa beauté et son esprit ! Et n’en fut que plus intriguée. Qu’est-ce que Sa Majesté pouvait donc lui vouloir ? Elle y avait songé tout le long de la route en espérant qu’il n’allait pas être question de la petite La Vallière !

Un instant plus tard, les portes du cabinet royal inondé par un rayon de soleil des plus encourageants s’ouvraient devant elle. Louis XIV était à son bureau où il écrivait, mais, à l’entrée de sa visiteuse, il abandonna sa plume tandis qu’elle plongeait dans sa plus belle révérence.

— Merci d’être venue si vite, duchesse ! Je n’en attendais pas moins de vous !

— Quand le Roi appelle, il me paraît normal de ne pas l’obliger à répéter !

— C’est donc parfait ainsi ! Asseyez-vous et causons ! commença-t-il en rejoignant son fauteuil et en désignant un siège en face de lui.

Une duchesse, ayant le droit de s’asseoir en présence du Roi, n’avait pas besoin qu’on l’y invite. Isabelle obéit plus intriguée que jamais. Sa Majesté semblait de charmante humeur. Ce qui était déjà un bon point ! Mais au lieu de parler, il la contempla quelques instants sans rien dire, avec un demi-sourire. Enfin, il se décida :

— Depuis combien de temps êtes-vous veuve, madame ?

Elle n’attendait pas cette question-là et se livra à un rapide calcul :

— … Treize ans, Sire !

— Et toujours aussi belle ! L’idée ne vous est jamais venue de vous remarier ? Les prétendants n’ont pas dû vous manquer pourtant ?

Evidemment que si ! Mais il était difficile de confier à ce jeune potentat qu’elle espérait depuis des années le rappel à Dieu de Claire-Clémence afin de prendre sa place !

— Certains ont fait quelques travaux d’approche dans ce sens, Sire, mais je tournais ces tentatives en plaisanteries ! fit-elle avec un sourire qu’elle effaça d’ailleurs aussitôt. J’aimais profondément mon époux et un homme tel que lui ne se remplace pas aisément !

— D’autant que votre cœur n’a pas connu le vide. Vous aimez mon cousin Condé…

Ce n’était pas une question.

— Depuis l’enfance, Sire ! coupa-t-elle, alertée par un subtil changement de ton.

— Ce qui laisse supposer un amour fraternel. Or, il n’en est rien n’est-ce pas ?

Mais où voulait-il en venir, sacrebleu ! Elle le connaissait suffisamment pour savoir que finasser avec lui n’était pas de bonne politique :

— Tant qu’a vécu le duc Gaspard, je l’ai aimé totalement. Je n’apprendrai rien à Votre Majesté en précisant que je n’ai pas été seule à l’aimer et que d’autres ont versé des larmes. Il possédait toutes les séductions dont le Seigneur peut parer un homme !

— Pourtant vous êtes revenue à Condé…

— Non, Sire ! Je ne l’ai accueilli que plusieurs années après. J’ai fait le maximum pour le retenir…

— Sur le chemin de la trahison ! Je sais cela aussi. Et vous l’aimez encore ?

Elle eut un sourire qui s’adressait plus à elle-même qu’au Roi :

— Nous en sommes à un point où la tendresse l’emporte et où il est malaisé de démêler la part d’habitude.

— Mais vous avez eu d’autres amants.

Cela non plus n’était pas une question.

— Je sais que l’on m’en a prêté…

— Et on ne prête qu’aux riches n’est-ce pas ?

Aussitôt elle fut debout, maîtrisant difficilement une colère grandissante :

— Le Roi ne m’a-t-il fait l’honneur de me convoquer toutes affaires cessantes que pour m’insulter ?

— Je ne vous ai pas autorisée à vous lever et je ne vous insulte pas. Je voulais seulement savoir où vous en êtes de vos affaires de cœur : alors, en dehors de Condé, point d’amants ?

— Aucun, Sire !

— Voici donc la raison de votre présence. J’ai reçu pour vous une demande en mariage ! Et des plus sérieuses. En un mot comme en cent : le duc de Mecklembourg-Schwerin demande votre main. Qu’en pensez-vous ?

— Rien, Sire ! Je ne le connais pas… et même je ne l’ai jamais vu !

— Cela me paraît improbable car lui se dit passionnément amoureux de vous, duchesse ! Et puisque nous en sommes aux titres, j’ajoute qu’il est duc souverain en ses états et qu’il est prince des Vandales…

— Des quoi ? s’effara fort peu respectueusement Isabelle qui crut avoir mal entendu : Des Vandales ?…

— Ne riez pas, c’est très sérieux ! Ils composent une importante partie des peuplades du nord de l’Allemagne mais leur origine se situe plutôt en Europe centrale et, s’ils sont intégrés à l’Empire, ils n’en reconnaissent pas pour autant sa souveraineté. Chez eux, le duc Christian est roi ! Voulez-vous être reine ?

— Alors ce sont des… sauvages ?

— Ils ont peu évolué, naturellement, mais je reconnais qu’à l’origine ils n’avaient rien à envier aux autres peuplades barbares. Genséric qu’ils considèrent comme leur fondateur a ravagé Rome et une partie de l’Italie, l’Afrique du Nord y compris Carthage et… et j’en passe.

La culture, surtout géographique, d’Isabelle se révélant hermétique – à l’exception de Rome ! –, elle ne lui permettait pas de situer, même vaguement, ce qu’elle entendait. Le Roi, qui pour une fois s’amusait franchement, attendit tranquillement sa réaction qui se borna à penser à voix haute en levant sur le Roi un regard candide :

— Mais qu’est-ce que ce seigneur barbare fait chez nous ?

— Il y réside la plupart du temps parce qu’il s’y plaît. Schwerin, sa capitale, proche de la mer Baltique et entourée d’un lac, est glaciale en hiver ! Il possède chez nous un hôtel, deux ou trois châteaux – j’allais oublier de vous dire qu’il est très riche ! Il admire énormément la France… au service de laquelle il met volontiers les cinq ou six mille hommes de son armée. Composée uniquement de soldats d’élite ! Vous voyez, duchesse, que ce n’est pas un moindre sire qui recherche votre alliance !

— Comment se fait-il que je ne le connaisse pas ? Je n’ai aucun souvenir de l’avoir jamais rencontré alors qu’apparemment il n’en est pas de même pour lui ?

— Quoi qu’il en soit, que répondez-vous ?

— Que les bras m’en tombent, Sire…

— Et que vous souhaitez d’abord le rencontrer et lui permettre ainsi de plaider sa cause ?

— Le Roi est la compréhension même… mais quelle langue parle ce… ?

— Un excellent français, rassurez-vous ! A présent allez saluer Madame qui est en peine de vous et accompagnez-la, ce soir, à notre jeu ! Mecklembourg vous sera présenté !

Il n’y avait rien à ajouter comme le signifiait le retour au pluriel de majesté. Isabelle remercia son souverain, plongea dans sa révérence et s’en fut rejoindre Madame.

Elle trouva la princesse au jardin entourée de Mme de La Fayette et de Mme de Gamaches, achevant la promenade qu’elle avait coutume de faire à cette heure et l’accueillit avec un évident plaisir :