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— Nous vous attendions avec impatience afin de vérifier un bruit qui court : on vous marie ?

— On me propose un mariage mais je n’ai pas encore accepté…

— Si ce mariage agrée au Roi vous ne vous y soustrairez pas ! prophétisa-t-elle, une nuance d’amertume dans la voix qui n’échappa pas à la revenante. Qui est-ce ?

— Le duc de Mecklembourg-Schwerin.

— Doux Jésus ! s’exclama Mme de La Fayette, sur un ton qu’elle se hâta de corriger devant la mine inquiète d’Isabelle. Je veux dire…

— Je vous prie de vous taire ! intervint Madame avec autorité. Il faut laisser la duchesse juger par elle-même ! Ce que l’on peut seulement souligner c’est que de sa personne il est très grand, très… allemand, quoi qu’on en pense…

— Que Madame me pardonne ! s’écria Isabelle, saisie d’une soudaine illumination. Ne serait-il pas venu saluer Madame et Monsieur voici deux ou trois jours aux Tuileries ?

— Oui ! approuva Mme de La Fayette.

— Alors je sais de qui il est question ! Un rustre, un malotru, un…

— … Vandale ? proposa Mme de Gamaches.

— On m’a dit qu’il l’était et je n’en veux pas ! A aucun prix !

Et de raconter la collision subie dans le vestibule des Tuileries au moment où elle partait pour Précy… Récit qui fut salué d’un triple éclat de rire.

— Il faut avouer, corrigea Madame, qu’il ne s’est pas montré sous son aspect le plus séduisant…

— Séduisant ? Cette montagne tudesque ?

— C’est je pense un défaut d’éclairage, proposa Mme de Gamaches. Sachez, ma chère, que notre universel Loret lui a consacré des vers louangeurs :

Il n’est ni menu, petit ni mince

Mais grand, bien fait et bien formé,

Et digne, certes d’être aimé,

Son âme est généreuse et bonne…

— Loret devait avoir de sérieux ennuis d’argent quand il a écrit ces fadaises car il est en effet généreux et comme il est riche comme un puits cela ne lui coûte pas cher ! Epousez-le, chère Isabelle et il vous offrira les plus beaux bijoux de la terre. Vous aurez tout à foison… et vous vous ennuierez à mourir !

— Ce n’est pas tant cela qui me tourmente, reprit Isabelle. Nul mariage n’est parfait et celui-là pourrait en valoir un autre mais il y a un détail qui m’importe et c’est sa religion. Il est allemand et dans ce cas…

— Ma foi, je redoute qu’il ne soit protestant, avança Mme de La Fayette.

— Alors la cause est entendue. Je ne pourrai épouser qu’un catholique !

— Vous êtes bien formelle ! observa Mme de Gamaches.

— Simplement sincère ! C’est le seul point sur lequel je ne transigerai pas. Mon défunt époux a dû abjurer. Pourtant je l’aimais…

— Celui-là en fera peut-être autant ? plaida Madame. Et sa fortune pourrait vous être d’une certaine utilité, songez-y !

Elle avait on ne peut plus raison. Toujours empêtrée dans le procès de succession de Châtillon dont se mêlait le maréchal d’Albret, créancier d’une des parties, Isabelle éprouvait parfois quelques difficultés à maintenir son train de vie. Surtout ces derniers temps où Mme de La Suze et d’Albret bataillaient avec une ardeur accrue.

— Allons ! conclut Madame sur le mode apaisant. Attendez au moins d’avoir vu votre prétendant avant de jeter le manche après la cognée ! D’autant – et je crois que vous devez en être informée – que c’est un homme particulièrement obstiné. Quand il a une idée, il s’y tient ferme et vous aurez du mal à vous en débarrasser… au cas où il vous déplairait !

— Il doit être triste à périr !

— Absolument pas ! Il aime le faste, adore les fêtes, les spectacles, les grandes cérémonies à un point tel que l’on ne pourrait penser, comme disent certains, qu’il est « spectateur de profession1 » !

Cela dit, et n’en sachant pas plus, Isabelle décida à tout hasard d’apporter un soin particulier à sa toilette.

Elle en fut bien payée…

Quand elle apparut, ce soir-là, au jeu du Roi, un murmure admiratif salua son entrée en robe de satin gris et rose pâle, portant les superbes perles que lui avait léguées la princesse Charlotte, elle avait l’air d’être habillée dans une conque. Sa taille fine et sa tournure lui donnaient l’allure d’une jeune fille comme d’ailleurs son visage lisse où ses immenses yeux sombres brillaient comme des diamants noirs. Souriante et gracieuse, elle vint saluer le Roi et la Reine – Anne d’Autriche, souffrante, était restée chez elle – mais elle n’eut pas à chercher dans la foule des courtisans celui qui voulait l’épouser : il avait l’honneur de jouer avec le Roi et s’apprêtait visiblement à perdre gaiement les piles de louis d’or posées devant lui quand l’entrée en scène d’Isabelle le fit jaillir de son siège.

Loret n’avait pas tort en écrivant qu’il n’était ni petit ni mince. A cette différence près qu’il était somptueusement habillé de bleu et d’or, on pouvait facilement l’imaginer sous les peaux de bêtes et la ferraille d’un chef barbare. Mesurant plus de six pieds2 et taillé en conséquence, il avait une abondance de cheveux blonds qui le dispensait de porter perruque, de beaux yeux bleus, une bouche « gourmande » dont le sourire n’était jamais loin. Un grand nez et un menton têtu, plus une tendance à l’embonpoint complétaient le personnage.

En se retrouvant en face d’Isabelle il était devenu du plus bel écarlate tandis que sa gorge se serrait, lui interdisant tout discours. Il s’en tira en lui appliquant sur la main un baiser ventouse qui lui en rappela un autre mais cette fois, et au lieu de lui renvoyer une gifle, elle se déclara charmée de le rencontrer.

— Voulez-vous jouer, duchesse ? demanda Louis XIV.

— Je remercie le Roi… mais non !

— Alors faites à votre guise ! Le duc Christian vous tiendra compagnie  ! La nôtre ne l’intéresse pas ! ajouta-t-il en souriant.

Tandis que, main dans la main, ils traversaient les salons pour gagner la terrasse – le temps était extrêmement doux cette nuit-là – suivis des yeux par une foule chuchotante, Isabelle repassait mentalement ce que, dans la journée, elle avait pu apprendre de son soupirant : il avait trente-neuf ans, vivait en France plus souvent que dans son duché nordique, avait servi avec honneur dans les dernières guerres – côté français bien sûr ! – et professait une admiration sans limites pour Louis XIV auquel il avait adressé l’année précédente une lettre de sa main et en excellent français, langue qu’à la surprise d’Isabelle il maîtrisait parfaitement avec un accent tudesque assez prononcé mais écrivait encore mieux :

« Sire, je n’ai pas de paroles assez expressives pour pouvoir témoigner à Votre Majesté combien je me tiens honoré de l’honneur qu’elle me fait de m’accorder son estime et son amitié ; c’est une grâce que j’ai si peu méritée que, comme elle me met au comble de tous mes souhaits, elle m’engage aussi puissamment à Votre Majesté qu’elle peut absolument disposer de ma personne comme lui étant absolument acquise. »

Ayant écrit cette belle épître pour remercier le Roi de l’autoriser à faire sa cour à Mme de Châtillon, Christian de Mecklembourg l’avait si soigneusement lue et relue qu’il la savait par cœur et la récita à Isabelle tandis qu’ils se promenaient dans les jardins de Saint-Germain. Celle-ci l’écoutait avec un certain plaisir. Il n’était pas mal du tout, son prétendant, et ce ne fut pas sans un regret qu’elle lui fit connaître l’opposition majeure que la différence de religion mettait à leur mariage.