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Elle s’attendait à une déception, à des protestations, voire à des larmes car il semblait très épris mais rien ne vint :

— La belle affaire ! déclara-t-il avec désinvolture. Je me ferai catholique et voilà ! L’important n’est-il pas d’adorer Dieu ?

En vérité, ce grand diable était de plus en plus intéressant et Isabelle décida d’en savoir davantage :

— Pardonnez-moi si je me montre indiscrète mais je m’étonne, Monseigneur, que vous ne soyez pas encore marié ?

— Oh, je l’ai été mais il y a si longtemps qu’il m’arrive de l’oublier. En… 1650 ?… Oui, c’est cela ! En 1650, donc, j’ai épousé ma cousine Christine-Marguerite de Mecklembourg-Güstrow, déjà veuve et plus âgée que moi. Elle était laide et ennuyeuse comme la pluie. J’en ai eu vite assez. Aussi ai-je fait réunir un consistoire qui a prononcé la dissolution de ce mariage inepte ! Depuis Christine-Marguerite vit chez sa sœur, la duchesse de Brunswick, et moi j’ai recouvré ma liberté. Ce qui me permet, belle dame, de vous l’offrir… avec mon cœur !

— Je n’ai pas encore répondu oui. C’est si soudain !

— Pour vous peut-être mais pas pour moi ! Il y a longtemps que je vous aime et…

— Que ne l’avez-vous dit plus tôt ?

Il s’arrêta, posa un doigt sur son front ce qui était signe pour lui d’intense réflexion et finalement déclara :

— Ma foi, je l’ignore ! Cela avait dû me sortir de l’esprit ! Vous savez comme moi que le temps passe vite ! Après une idée en vient une autre, puis une autre et finalement on se retrouve au bout de la journée sans avoir accompli rien qui vaille !

Quand Isabelle lui eut fait part de cette étrange demande en mariage, Madame éclata de rire :

— N’allez pas en tirer des conclusions hasardeuses, Babelle ! Christian de Mecklembourg est peut-être le meilleur homme du monde et vous aurez en lui un excellent époux. Seulement il a un gros défaut !

— Je me disais aussi que c’était trop beau !

— Allons, allons, ne faites pas de mauvais esprit ! Il a de grandes qualités et vous allez être princesse souveraine mais il faut que vous corrigiez ce bon Christian d’oublier la moitié des choses qu’il a à faire. On n’est pas plus distrait !

— Si j’entends Votre Altesse, il est capable de m’oublier dans un coin une heure après m’avoir épousée ?

— Pas à ce point, je vous rassure. Enfin j’ose l’espérer ! Un conseil, cependant : avant de signer votre contrat de mariage veillez à ce qu’il soit entièrement conforme à vos espérances !

En attendant, le « bon Christian » donna une belle réception, en son hôtel de la rue de Cléry, pour annoncer ses fiançailles. Le Roi et les Reines y vinrent et Isabelle, ravie, put faire étalage de la splendide émeraude entourée de diamants qui sanctionnait ces accordailles… Après quoi, alors que Christian était à la veille de son départ pour Schwerin afin d’y préparer les fêtes du mariage et l’installation au palais de sa nouvelle épouse… ce bel édifice s’écroula ! Un courrier de M. de Gravel, ambassadeur de France en Mecklembourg, accourut prévenir que la sentence du Consistoire démariant le prince venait d’être déclarée nulle par l’université de Rinthel et que le duc ne pouvait songer à un second mariage avant d’avoir fait annuler le premier !…

Colère du fiancé. Comme pour la plupart des gens paisibles, elles étaient chez lui rares mais spectaculaires. Il cracha feux et flammes et monta en voiture remettre de l’ordre dans son fief… en passant par Rome afin d’y abjurer entre les mains du pape et se faire bon catholique avant de prendre la route de Schwerin.

— On ne peut pas dire que ce soit le plus court chemin, observa Monsieur que l’histoire amusait fort. N’aimant pas sa femme, il détestait de ce fait sa confidente. Je me demande ce qu’il va en résulter !

Isabelle se le demandait aussi et n’arrivait pas à comprendre pourquoi les choses semblaient se compliquer dès qu’il était question d’un mariage pour elle. Il était difficile d’oublier la triple bénédiction nuptiale qu’il avait fallu pour l’unir à Gaspard de Châtillon mais au moins étaient-ils ensemble et en riaient parce qu’ils ne se quittaient pas et que l’amour meublait leurs longs tête-à-tête…

Il n’en allait pas de même cette fois où des centaines de lieues les séparaient et Christian devait se battre seul n’ayant même pas pour réconfort le souvenir ne serait-ce que d’une nuit d’amour, Isabelle n’entendant pas couronner la flamme de son admirateur avant d’être elle-même couronnée princesse souveraine. Quelle revanche que ce mariage somptueux pour l’ancienne petite Montmorency pauvre ! Elle espérait seulement avoir bien « ferré » sa prise. Avec un homme aussi distrait que lui, on pouvait craindre d’être purement et simplement oubliée…

A Schwerin, Christian se battait. Il s’était d’abord converti au catholicisme, ce qui lui permettait de recourir au pape pour annuler une union « hérétique » avec sa cousine. Puis, sans respirer et pour s’assurer la protection toute- puissante du Roi de France, il expédiait à Paris un ambassadeur, le marquis de Gudanes, muni d’un traité secret donnant au souverain l’administration de ses avoirs et possessions s’il se mariait en France et mettait en outre à sa disposition quatre mille cavaliers et fantassins prêts en permanence à s’ébranler au moindre signe de sa part.

Louis XIV et Hugues de Lionne, son ministre, étaient très séduits à la pensée de disposer d’un allié aussi solide au nord de l’Allemagne. De son côté, Isabelle, flattée par l’ardeur de son soupirant, avait écrit au Roi afin d’obtenir son autorisation officielle pour conclure cette union. Ce fut Lionne qui répondit tout aussi officiellement :

« Le Roi agrée et trouve fort bon le mariage proposé et sera même très aise qu’il puisse réussir et que les parties demeurent d’accord entre elles. »

Aux anges, Christian revint en France retrouver enfin sa bien-aimée et être reçu en audience privée à Saint-Germain mais – eh oui, il y avait un mais, et de taille ! – le bruit de ce mariage princier avait fait le tour de l’Allemagne où les cousins Mecklembourg-Güstrow criaient au scandale avec, en tête, Gustave-Adolphe et Christine, la répudiée, qui adressa une lettre à Louis XIV niant la répudiation et s’affirmant épouse authentique depuis douze ans. En même temps l’ensemble de la famille Mecklembourg se rangeant à ses côtés faisait comprendre que, si Christian passait outre, on le déclarerait bigame, sans conteste, et on s’arrangerait de manière qu’il perde un trône où Christine entendait être seule à avoir le droit de s’asseoir auprès de lui.

Prudents Louis XIV et son ministre distribuèrent quelques bonnes paroles destinées à l’apaisement des parties : il convenait de laisser le temps au temps pour débrouiller une affaire de famille aussi délicate.

Une façon comme une autre de se sortir – au moins s’accorder un répit ! – d’un imbroglio difficile. Or, avec le printemps qui revenait, le Roi songeait surtout à ses amours avec La Vallière et n’appliquait son attention qu’à la fête sublime qu’il voulait donner, en son honneur, dans les jardins du (encore modeste) château de Versailles dont il entreprenait de faire ce que l’on sait.

Les « Plaisirs de l’île enchantée », féerie qui devait durer plusieurs jours, allaient s’offrir à l’admiration de ceux qui y étaient invités et l’amertume de ceux qui ne l’étaient pas. Isabelle en fut, emmenée par Madame dont, par discrétion, elle s’était un peu écartée durant cet hiver où son mariage avait défrayé nombre de conversations. La princesse pensait que son amie avait un urgent besoin de se distraire. Or, elle allait sans le vouloir lui créer de nouveaux soucis.