Le marquis de Vardes qu’Isabelle n’avait guère vu ces temps derniers avait avancé quelque peu ses affaires auprès de Madame et osa, à l’occasion de la fête, déclarer sa « passion » à la princesse qui – selon Mme de La Fayette – « ne le rebuta pas entièrement ». Isabelle se retrouva confidente de cette nouvelle intrigue. Sa position privilégiée en éveillant des jalousies lui valut des inimitiés solides et, en premier lieu, de Françoise Athénaïs de Rochechouart ancienne fille d’honneur (récemment devenue marquise de Montespan en épousant le marquis) qui n’avait jamais aimé Mme de Châtillon et la comtesse d’Armagnac qui – toujours d’après Mme de La Fayette – « employait volontiers le peu d’esprit qu’elle avait à faire du mal ». Ces dames entreprirent de perdre Isabelle aux yeux de la Reine mère, et surtout aux yeux de Monsieur, chose on ne peut plus facile : il suffisait d’en faire une entremetteuse au service des deux amants. Ce qui n’était sans doute pas loin de la réalité.
Quoi qu’il en soit Monsieur prit feu et prétendit interdire à la duchesse l’accès à l’appartement de Madame.
Pour une belle bagarre ce fut une belle bagarre : aucun de ces époux si mal assortis ne voulant céder ! Enfermée chez elle, Anne d’Autriche refusait d’intervenir dans une « querelle de ménage » ! Charles II d’Angleterre, alerté par « Minette3 », y mit son grain de sel. Toujours fidèle au flirt de ses dix-sept ans, il écrivit pour confirmer ses fidèles amitié et confiance à Mme de Châtillon, augmentant de la sorte les fureurs de Monsieur.
Vint le moment où l’on put supposer qu’une guerre ouverte allait éclater chez les Orléans où chacun prenait parti pour l’un ou l’autre des deux époux, jusqu’à ce que Louis XIV, exaspéré, assenât un coup de poing sur la table : Mme de Châtillon recevrait des excuses, garderait son poste auprès de Madame où ses accusatrices retrouveraient le leur. Encore Mme d’Armagnac devait-elle l’indulgence royale à son association avec Mme de Montespan qui constituait l’un des plus beaux ornements de la Cour, ce dont le Roi s’était avisé même s’il était toujours fort épris de La Vallière. Quant à Mme de Châtillon, elle sortait de l’incident plus en faveur que jamais.
Pendant ces péripéties, Christian de Mecklembourg n’était pas resté les bras croisés. Il avait enfin obtenu du pape la promesse d’un bref cassant son premier mariage dès qu’il aurait procédé à son abjuration publique devant le cardinal Antoine spécialement délégué pour la recevoir. Elle eut lieu dans l’hôtel de la Nonciature en présence de plusieurs évêques et quelques personnalités. Puis, à l’issue de la messe, le nouveau converti reçut le sacrement de confirmation sous le prénom de Louis qu’il avait choisi en hommage au Roi. Après quoi on festoya en compagnie des époux royaux. Enfin, le lendemain et dans la Sainte-Chapelle de Vincennes, le cardinal en vertu d’un bref du pape approuvé et confirmé par l’Empereur et après avoir absous le prince des peines et censures ecclésiastiques encourues pour avoir épousé sa cousine germaine – cas de nullité ! – prononça la cassation dudit mariage et remit le duc en pleine liberté de se remarier avec telle ou telle autre personne catholique choisie par lui.
Désormais plus rien ne pouvait s’opposer au mariage. Les « fiancés » et deux notaires furent chargés de préparer le contrat. Comble de bonheur, le Roi remit au duc le cordon de l’ordre du Saint-Esprit au cours d’une autre cérémonie et le 25 décembre, jour de Noël, le nouveau chevalier fut autorisé à offrir le pain bénit à la grand-messe solennelle qui fut magnifique.
Les deux fiancés rayonnaient. Le contrat était prêt. Il ne restait plus qu’à publier les bans et fixer la date du mariage.
Seulement on n’en eut pas le temps !…
Isabelle n’oublierait jamais ce matin de janvier où Christian, sous son équipement guerrier, vint lui faire ses adieux :
— Vos adieux ? Mais où allez-vous comme cela ?
— Je rentre à Schwerin, ma chère. Des nouvelles alarmantes me sont parvenues : les Suédois ont pris les armes pour envahir le Mecklembourg et je dois partir défendre mon pays…
— Vous allez vous battre à la veille de notre mariage ? Mais les autres Mecklembourg, vos beaux-frères, cousins ou je ne sais qui n’en sont-ils pas capables ?
— J’espère que si mais je ne suis pas tranquille !
— Alors qu’hier le Roi vous a reçu avec le faste réservé aux princes souverains ? En outre il vous aime fort, et vous déclarer la guerre c’est à présent la lui déclarer à lui ! Ces gens-là ne doutent de rien !
— Ils sont prêts à n’importe quoi pour faire échouer notre mariage mais rassurez-vous, mon cœur, ils n’y parviendront pas ! J’aimerais mieux mourir avec vous que régner sans vous ! ajouta-t-il en la prenant dans ses bras pour le baiser d’adieu…
Devant cette romantique perspective, Isabelle opposa un silence que son « promis » mit sur le compte de l’émotion grâce aux discrets reniflements dont elle l’accompagna. En fait elle n’avait envie de mourir ni avec Christian ni avec personne d’autre. Sincère au moins envers elle-même, elle n’éprouvait pour lui qu’un sentiment assez tiède et n’eût jamais accepté de l’épouser s’il avait été un seigneur obscur. Et cela pour deux raisons. D’abord il n’était pas très récréatif, même s’il avait la passion des fêtes, et avec sa manie d’oublier régulièrement quelque chose. Ensuite – et c’était le plus inquiétant ! – les quelques moments d’épanchement qu’elle lui avait autorisés n’avaient que de lointains rapports avec les folles griseries vécues avec son cher Gaspard, Nemours ou Condé et elle n’était pas sans appréhension lorsqu’elle évoquait sa prochaine nuit de noces. Rien que ses baisers étaient un rien prosaïques : ils étaient du genre succions et sentaient la bière – qu’elle détestait !
— Ne me dites pas que vous aimez cet ours vandale ? lui avait déclaré Condé que ce mariage agaçait au plus haut point. En ce qui me concerne je refuse de renoncer à ces heures aussi charmantes que discrètes que nous vivons ensemble quand nos solitudes se font pesantes ! Je crois ne je ne cesserai jamais de vous désirer !
— Qui vous le demande ? Encore que j’eusse préféré vous entendre employer le verbe aimer !
— L’âge venant, cela revient au même4 ! Au fond pourquoi vous mariez-vous ?
— Vous me connaissez suffisamment pour le savoir. Retrouver une vraie position dans le monde, ne plus être une veuve dédaignée à laquelle les ans arracheront peu à peu ses charmes et sa beauté. Une femme sans défenseur à la merci d’un gentillâtre qui pourra se croire permis des privautés odieuses à l’encontre de son orgueil !
— Vous avez un frère pourtant et Dieu sait qu’il a le cuir sensible, notre petit duc !
— Il est en train de se dissoudre dans la paix ! J’essaie de veiller sur lui de loin mais il accumule les sottises. Peut-être que, devenue presque reine, me sera-t-il possible de l’aider… discrètement. Songez donc qu’il s’adonne à l’alchimie depuis quelque temps !
— Il faut que je l’invite à Chantilly ! fit le Prince avec un bref éclat de rire. Nous chercherons la pierre philosophale ensemble !
— Combien j’aimerais y retourner moi aussi ! soupira-t-elle. Je suppose que votre sœur y est maîtresse ?
— Oh, que non ! Elle s’est entichée de Port-Royal ! D’ici qu’elle se change en mère de l’Eglise il n’y a pas loin ! Excessive, à son habitude, elle guigne la sainteté ! Ne m’a-t-elle pas dit l’autre jour qu’elle priait pour vous !
— Pour moi ?
— Eh oui ! Il me semble qu’elle est sensible à la détermination dont vous faites preuve à protéger Madame Henriette. Elle dit qu’il faut du courage face à Monsieur et à sa dangereuse clique de trop beaux amis…