Pourquoi quinze jours ?
Simplement parce que, plus têtus que des ânes rouges, les membres de la tribu Mecklembourg-Güstrow, Gustave-Adolphe en tête, se déclaraient les champions de Christine, la répudiée, et allaient jusqu’à reprocher au Roi de France d’avoir donné son consentement à un mariage proprement scandaleux, ajoutant même que la famille offensée comptait sur lui pour déclarer « le mariage nul et invalide comme étant fait contre les formes et au préjudice de l’autorité absolue qu’Elle [Sa Majesté !] possède dans son royaume »…
Grosse perplexité de Louis XIV et de son ministre Hugues de Lionne ! Ce qui était assez inattendu chez le Roi qui allait mettre un bon mois à concocter une réponse un brin tirée par les cheveux ne faisant pas vraiment honneur à un souverain tellement imbu de sa grandeur. Il y proclamait en effet que son seul désir était de ramener la paix et la concorde dans la famille de Mecklembourg. Après il osait ajouter sans rougir qu’il « n’[avait] pas été prévenu du mariage en question et ne l’[avait] appris que par bruit commun ». Et de conclure qu’on allait expédier un « envoyé spécial », le sieur Heiss, pour conférer avec les princes des « moyens de conduire le tout à une bonne fin pour le bien et la sûreté des uns et des autres ». On croyait rêver !
Isabelle, pour sa part, ne s’en accordait pas le temps. Tandis que son époux se lamentait parce qu’il ne savait plus de quel côté se tourner, elle retroussait moralement ses manches, se lançait dans une bataille épistolaire et trempait sa plume dans l’encre pour faire connaître son point de vue :
« […] Je vous envoie une lettre par laquelle vous verrez que l’Empereur fait son devoir et que, si vous aviez fait le vôtre, je ne serais pas dans un état aussi violent que celui où je suis. Vous savez, monsieur, que je vous ai déclaré que je vous gronderais tant que cela durerait. Faites en sorte que cela finisse le plus tôt qu’il se pourra afin que je suive l’inclinaison que j’ai d’être votre très humble servante1. »
Elle ajoutait, en post-scriptum, avoir été « avertie de bonne part que les Suédois s’entend[aient] avec les Mecklembourg-Güstrow et les pouss[aient] à d’injustes réclamations pour en profiter ».
Cette épître embarrassa d’autant plus Lionne que le duc Christian apprit deux ou trois jours après que son Etat était menacé une fois de plus. Il se montra consterné par « tant de méchanceté », ce qui mit son épouse hors d’elle :
— Vous n’allez pas rester là à pleurer et à gémir sur la cruauté des hommes et l’injustice de vos sujets ? Il vous faut les mettre au pas !
— Mais je l’ai déjà fait avant notre mariage et tout allait au mieux lorsque je suis revenu !
— Je ne sais pas ce que vous appelez au mieux mais je soupçonne qu’une note d’incompréhension s’est glissée dans vos propos ! Quelle langue parlent vos Vandales ?
— Le bon allemand comme tout le monde !
— J’aurais tendance à penser que cela ne doit pas être le même et si les Suédois s’en mêlent cela doit donner une assez jolie cacophonie. En tout cas, ce qui est certain, c’est qu’il faut que vous régliez ce problème vous-même. Prenez congé du Roi et mettez-vous en route !
— Venez avec moi, au moins ! Votre beauté, votre charme et votre grâce devraient faire merveille sur des gens un peu frustes !
— A condition qu’ils ne commencent pas par me lapider telle la pécheresse de l’Evangile, puisque je ne suis pas votre épouse reconnue ! Evidemment, si vous souhaitez devenir veuf, c’est une idée à retenir !
— Isabelle ! Comment pouvez-vous être aussi cruelle ? Comme si vous ne saviez pas que je vous adore !
— Eh bien, voilà l’occasion de me le prouver ! Faites-moi reconnaître par vos barbares et je vous rejoindrai sans hésiter ! Je préfère les fleurs aux pavés !
Une mauvaise nouvelle n’arrivant jamais seule, on apprit presque simultanément qu’un « mandement » impérial, sous l’approbation de la vieille duchesse douairière, autorisait la saisie des biens de Christian et que les Suédois, d’accord avec le duc de Saxe, son beau-frère, s’apprêtaient à se saisir d’une de ses forteresses.
Ce fut magique. Christian courut chez Louis XIV afin de lui exposer la situation, rassembla son monde, embrassa sa femme et sauta en selle voler au secours de ses fidèles sujets. Non sans avoir laissé à Isabelle une procuration pour qu’elle puisse faire face – en tant que duchesse de Mecklembourg ! – à la nouvelle difficulté qui s’annonçait : le maréchal d’Albret réactivait le procès à propos de la possession du château de Châtillon qu’elle était « autorisée à occuper », mais seulement en tant que duchesse de Châtillon. Une princesse germano-vandale n’y avait plus rien à voir. Aussi comme la dernière héritière des Châtillon-Coligny, Mme de La Suze, persistait dans son refus de lui rendre les cinq cent mille livres qu’il lui réclamait, il exigeait la mise en vente du château…
Isabelle reprit sa plume pour adresser au Roi une longue épître – trop longue peut-être ! – où elle exposait l’étendue de ses problèmes et se plaignait d’être « abandonnée par son souverain vénéré et pas mieux écoutée de lui que si elle parlait aux rochers » !…
Hélas ! Conseillé par Lionne qui voulait ménager les princes allemands, Sa Majesté calqua son attitude sur celle des rochers en question… et ne répondit pas. Isabelle en pleura de rage. Le silence royal lui interdisait tacitement de paraître à la Cour où, d’ailleurs, elle n’avait guère envie de se montrer étant tourmentée par les malaises d’un début de grossesse qui, en d’autres circonstances, l’eût enchantée. Elle n’avait même pas la ressource de se réfugier auprès de Madame, elle-même souffrante en dehors du fait que Monsieur et ses chers amis, le chevalier de Lorraine et le marquis d’Effiat qui la haïssaient, avaient entrepris de l’isoler autant qu’il était possible.
Mais il était écrit quelque part que ce mois de juin 1664 n’en avait pas fini avec Isabelle et qu’il lui gardait encore un mauvais tour en réserve…
Le détonateur en fut le comte de Guiche que l’on n’avait pas vu depuis deux ans mais toujours aussi éperdument amoureux de Madame, prouvant ainsi la véracité de l’une des plus belles maximes du pauvre La Rochefoucauld presque aveugle et inspiré par sa passion dévorante pour Mme de Longueville :
L’absence est à l’amour ce que le feu est au vent.
Il éteint le petit mais attise le grand.
Guiche revenait de Pologne où il s’était conduit fort brillamment et entendait reprendre sa place parmi les gentilshommes de Monsieur… à qui ce retour ne causa aucune joie. Tout au contraire : il interdit à Madame de recevoir Guiche et même de le revoir, fût-ce de loin.
L’amour étant ingénieux, le beau comte réussit, sous des déguisements divers, à rencontrer brièvement sa bien-aimée. Il apprit d’elle certains détails qui lui firent soupçonner Vardes de l’avoir trahi et exigea des explications. Celui-ci, pour s’en tirer et rester auprès de Madame, inventa une histoire tellement biscornue que personne n’y comprit rien et, se sentant perdre pied, il proposa de s’en remettre à l’arbitrage de Mme de Mecklembourg. Madame et Monsieur acceptèrent ce choix et Isabelle fut mise en demeure de se prononcer entre Guiche – qu’elle savait trahi – et Vardes dont elle se méfiait à présent comme de la peste après avoir été à deux doigts de lui céder. Madame, évidemment, approuva le choix de son amie mais celle-ci, de plus en plus indisposée, ne demandait qu’une chose : qu’on la laisse en paix et, après avoir envoyé Bastille à sa princesse nanti d’un mot lui expliquant son état de santé, elle refusa fermement de se prononcer entre les deux hommes et leur ferma sa porte.