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Du coup, Vardes demanda réparation à Guiche, sur le terrain. Très expert à l’épée autant qu’au pistolet, il comptait sur son adresse pour se débarrasser de lui. Guiche aussi se battait à la perfection mais, craignant qu’il ne lui arrivât malheur, Isabelle fit prévenir discrètement le Roi qui ne perdit pas une seconde, convoqua les deux belligérants et leur ordonna de se saluer, devant lui, et de se tenir cois s’ils ne voulaient pas se retrouver au fond d’une prison en attendant peut-être une sentence plus radicale. Le résultat fut qu’ils devinrent ennemis irréconciliables mais d’accord sur un seul point : la rancune tenace qu’ils gardèrent à Isabelle.

Qui, sur le moment, ne s’en soucia pas. Elle était bien trop malade et n’avait envie de voir personne. Ceux dont elle aurait aimé la compagnie gardaient eux aussi la chambre : la vieille mais toujours alerte Mme de Brienne affligée d’une grosse bronchite, Marie de Saint-Sauveur qu’elle n’avait pas vue depuis longtemps mais avec qui elle correspondait régulièrement et qui préparait son remariage en Normandie, et le cher Condé aux prises avec l’une de ces étranges crises qui survenaient par périodes depuis le désastre qu’avait été son mariage. Aussi se fit-elle transporter à Mello, tellement plus agréable que la rue Saint-Honoré par cet été chaud et humide, particulièrement déprimant…

C’est là qu’au mois d’août, son époux, de retour d’Allemagne, vint la rejoindre. Peu satisfait de son voyage, mécontent de n’avoir pas obtenu de l’Empereur le ferme soutien qu’il en espérait dans cette affaire où sa propre famille employait contre lui les pires moyens puisqu’ils n’hésitaient pas à fermer les yeux sur les déprédations que les Suédois infligeaient à ses domaines.

Et pas plus satisfait de constater que Louis XIV ne s’était pas encore décidé à reconnaître officiellement sa belle épouse en dépit des promesses faites au moment du mariage. Cependant le couple trouva tout de même de la douceur à se retrouver. Dans son état de moindre résistance Isabelle appréciait d’avoir auprès d’elle cette force masculine dont la présence lui faisait l’effet d’un rempart contre le mauvais sort. Ils firent ensemble quelques visites, allèrent assister à Maubuisson aux funérailles de l’abbesse de Notre-Dame-la-Royale qui était déjà remplacée par une princesse du Palatinat, se rendirent plusieurs fois à Chantilly, goûtèrent les agréments du coin du feu quand arriva l’automne. Mais Isabelle n’allait pas mieux, elle souffrait et s’affaiblissait de jour en jour, inquiétant sérieusement son entourage… jusqu’à cette nuit du 20 novembre où elle accoucha prématurément d’un enfant mort-né qui faillit lui coûter la vie.

Elle en éprouva une peine amère. C’était un fils et Christian partagea sa douleur en compagnie de Mme de Bouteville venue s’installer au chevet de sa fille tandis que celle-ci se remettait lentement, trop faible pour accompagner, comme ils l’espéraient tous deux, Christian à Ratisbonne afin d’y défendre ses intérêts devant les commissaires nommés par l’Empereur. Et le 10 décembre, il partait seul, non sans regrets ni inquiétude puisque Isabelle gardait encore le lit. Ce qui ne l’empêchait pas d’écrire lettre sur lettre à Lionne lequel ne savait plus trop à quel saint se vouer. Pourtant, si affaiblie qu’elle fût, elle conservait un courage intact, envoyait de l’argent à son époux et aussi des conseils et des bonnes paroles dont il avait le plus grand besoin : les Suédois avaient pris leurs quartiers d’hiver en Mecklembourg et y vivaient comme en pays conquis tandis que l’on palabrait interminablement à Ratisbonne.

En France, les affaires d’Isabelle non seulement ne s’arrangeaient pas mais s’aggravèrent singulièrement par un fait qui, à première vue, ne la concernait pas. Alors que le chevalier de Lorraine se plaignait à Vardes des « rigueurs excessives » que lui faisait endurer l’une des filles d’honneur de Madame, celui-ci lui rit au nez et répliqua :

— Adressez-vous donc plutôt à la maîtresse qu’à ses suivantes, vous y trouverez plus de facilité !

La voix arrogante du chevalier portait loin. Le propos insultant fut entendu, rapporté à la princesse qui, naturellement, alla s’en plaindre au Roi, lequel envoya aussitôt le coupable à la Bastille où il put recevoir toutes les visites qu’il voulait n’étant pas au cachot puisque n’ayant tué personne ni porté atteinte au secret de l’Etat… dont beaucoup de femmes, évidemment, mais aussi d’hommes à commencer par Monsieur.

Pour se venger de Madame, Vardes dénonça Guiche comme l’auteur toujours inconnu de la fameuse lettre anonyme sur La Vallière adressée à la Reine et que Maria Molina avait remise au Roi. Le jeune comte avoua avoir écrit sous l’impulsion de la comtesse de Soissons. Celle-ci raconta le « complot » en riant et en expliquant qu’il s’agissait de faire plaisir à Madame, vraiment désolée, au surplus, d’avoir peiné la Reine en passant pour la maîtresse du Roi.

On en revenait donc à Madame mais celle-ci avait trop de fierté pour se laisser mêler aux cancans de la Cour. Elle se rendit droit chez le Roi aux pieds duquel elle se jeta en expliquant toute l’histoire. Madame était bien charmante dans ses larmes. Louis XIV pardonna et embrassa une belle-sœur restée très chère à son cœur. On s’en tint là !

Mais pas pour les coupables. Vardes, la langue de vipère, reçut l’ordre de partir s’enfermer lui-même dans son gouvernement d’Aigues-Mortes d’où il ne revint que dix-huit ans plus tard, usé et quasi inconnu de la Cour où il ne tint pas longtemps.

Cependant le Roi continuait à faire le ménage : Guiche fut expédié en Hollande et la comtesse de Soissons exilée sur ses terres champenoises.

Mais tout n’était pas dit en ce qui concernait Madame ! Vardes incarcéré, on perquisitionna chez lui où l’on trouva la fameuse cassette confiée par Guiche à celui qu’il croyait son ami. Elle n’était d’ailleurs pas cachée mais bien en évidence au contraire. Ce qui, déjà, en soi était bizarre.

Le contenu l’était plus encore. A quelques lettres de Madame et d’autres personnes se joignait une incroyable collection de lettres d’Isabelle. Lettres sans importance mais aussi lettres d’amour et surtout épîtres venimeuses dans lesquelles la duchesse « exécutait » à peu près la totalité de ce qui comptait à la Cour : le Roi, la Reine, Madame, Monsieur et sans oublier le duc de Luxembourg, le petit frère si tendrement aimé, et naturellement Condé. L’orthographe extravagante de la duchesse donnait à rire et permettait de cacher certaines différences d’écriture qui auraient dû, normalement, faire songer à des faux. Vardes avait eu largement le temps de s’exercer. Toujours est-il que, du jour au lendemain, la pauvre Isabelle se retrouva à l’index de toute la Cour. Le Roi l’exila à Mello, Madame lui fit savoir qu’elle ne voulait plus la voir. François ne se manifesta pas, gardant sans doute un silence méprisant… Seul Condé apparut un soir, assez tard, et repoussant Agathe qui prétendait lui barrer le passage en disant sa maîtresse trop souffrante pour le recevoir :

— Laissez-la tranquille, Monseigneur ! osa-t-elle dire. On lui a fait assez de mal sans que vous en rajoutiez !

— Et si vous vous mêliez de vos oignons ? Si je lui voulais du mal j’aurais écrit ! Une feuille de papier peut être plus meurtrière qu’une franche dispute face à face !