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Les quelques amis en question résidant le plus souvent à Paris, Isabelle dont la santé s’améliorait choisit de se réinstaller dans son hôtel de la rue Saint-Honoré. Condé, qui la surveillait comme du lait sur le feu, avait repris ses quartiers dans sa demeure proche du Luxembourg. Il se disposait d’ailleurs à gagner Saint-Germain pour essayer d’adoucir un Roi trop jeune encore pour savoir composer avec ses sentiments quand, enfin, Lionne vint, en personne quoique discrètement, lui apprendre que, craignant de perdre les bonnes dispositions de Christian de Mecklembourg envers la France, il avait donné ordre avec ses correspondants outre-Rhin d’appuyer auprès de l’Empereur les réclamations du duc. En même temps il exigeait des Suédois – au nom du Roi ! – de se retirer du Mecklembourg…

Tandis que les courriers galopaient entre Paris et Saint-Germain, une autre bonne nouvelle arriva chez Isabelle : son interminable procès contre le maréchal d’Albret venait de se terminer à son avantage en validant la transaction faite en 1661 avec Mme de La Suze. Désormais Isabelle pouvait traiter sans crainte avec sa belle-sœur pour le rachat de tous les biens des Coligny. Ce qui représentait tout de même la coquette somme de un million six cent treize mille cent quatre-vingt-treize livres… qu’elle paya, lui permettant ainsi de récupérer les terres de Châtillon, Aillant et Chauffour… plus la totalité de la fortune des Coligny. Et comme par enchantement, les visiteurs se firent moins rares chez elle. Isabelle ne reçut pas pour autant avec plaisir ces gens dont elle pouvait, à juste titre, soupçonner la chaleur des sentiments. Elle savait que les plus mauvaises langues continuaient de chuchoter sous le manteau que son mariage avec Christian était nul et qu’elle n’avait aucun droit au titre de « princesse des Vandales » – voire reine ! – dont elle était visiblement heureuse de se parer.

Mais cette fois, le Ciel qui, apparemment, avait pris à tâche de s’occuper d’elle, lui fit un beau cadeau en rappelant à lui le brandon de discorde : la princesse Christine venait de mourir à Wolfenbüttel d’une maladie qui avait une forte chance d’être la peste. Isabelle n’en demandait pas tant ni d’ailleurs Christian qui annonça lui-même cette délivrance à sa femme :

« C’est un grand bonheur pour nous que nos plus grands ennemis soient trépassés. Le bon Dieu nous assistera et nous fera vivre ensemble. Ce que je souhaite de tout mon cœur. Il me tarde si fort de vous revoir que vous ne le sauriez croire. Quand je serais une fois avec vous, je ne vous laisserai plus car la vie est trop courte et je voudrais bien encore avoir du plaisir et contentement avant que de mourir… »

Ceux qui espéraient que l’écervelé en viendrait à oublier sa femme en furent pour leurs frais !

Cependant, Christian dut encore retarder son retour pour en finir avec la succession de sa première épouse. Il le déplorait d’autant plus que Louis XIV, s’étant enfin résolu à signer son contrat de mariage avec Isabelle, venait d’inviter Mme la duchesse de Mecklembourg-Schwerin à reparaître à la Cour, où elle recevrait désormais les honneurs dus à son rang.

Isabelle crut s’évanouir de joie. Cette fois, elle avait gagné et la longue correspondance avec Lionne venait de payer puisque que, grâce à elle, le Roi n’ignorait rien de ce qu’elle pensait. Elle hésita un instant à différer jusqu’au retour de Christian mais Condé s’y opposa :

— Vous n’êtes pas un peu folle ? C’est vous qui avez remporté cette bataille. C’est à vous d’en recevoir la récompense et vous êtes très attendue ! Madame en particulier est impatiente de vous revoir !

— Que ne l’a-t-elle dit plus tôt ? Un simple billet de sa main m’aurait été d’un tel réconfort !

— C’était impossible ! Si elle ne vous a pas retiré son affection, Monsieur, lui, vous déteste plus que jamais ! Songez qu’il a perdu à cause de vous deux de ses amis : Vardes et Guiche ! Ceux qui lui restent vous craignent comme le feu.

— Et qui sont ?

— Le chevalier de Lorraine et le marquis d’Effiat !

— Que leur ai-je fait ?

— Rien mais vous êtes l’amie dévouée de Madame. Votre éclipse les arrangeait passablement et ils vont sûrement méditer quelque mauvais tour…

— Dans ce cas, vous avez raison : il n’y a pas une minute à perdre !

— Répondez que vous viendrez demain. Je vous attendrai à votre descente de carrosse !

Et, le 23 janvier, Isabelle, velours noir, satin blanc, sous un déluge de perles, l’ensemble recouvert de précieuses zibelines envoyées en ligne droite du Mecklembourg, prenait le chemin de Saint-Germain où elle allait être reçue avec les honneurs militaires. Ce qui, tout compte fait, ne lui procura qu’un plaisir mitigé en lui rappelant le temps de la Fronde où Mazarin les accordait à une trop jeune ambassadrice dont, en réalité, il se jouait.

Cette fois c’était sérieux et ce fut au milieu des révérences qu’elle se rendit chez Madame laquelle, bravant la colère de son époux, avait décidé de la présenter elle-même au Roi et aux deux Reines qui lui réservèrent un accueil aussi chaleureux que si rien ne s’était passé.

Le continuateur du bon Loret, parti pour un monde meilleur, n’en trempa pas moins sa plume dans l’encre de l’enthousiasme :

Aussi dit-on en haut de gamme

Que la belle et brillante dame

[…] a toujours pour escorte

Les grâces, les ris et les jeux

Et le plus beau de tous les dieux !

Ce qui en surprit plus d’un et surtout plus d’une : à quarante ans, Isabelle n’avait rien perdu de sa beauté ni de son charme, et son célèbre sourire demeurait irrésistible. Madame, elle, lui tomba dans les bras !

— Babelle ! Enfin ! Vous n’imaginez pas ma joie à vous voir de retour.

— Elle ne saurait être plus grande que la mienne, et Votre Altesse me comble de bonheur. J’ai si souvent pensé à elle, dans les jours difficiles que j’ai vécus durant tout ce temps !

Malheureusement, il fallut aussi saluer Monsieur. Soutenu par sa cour de trop beaux gentilshommes, il l’attendait de pied ferme et, quand elle lui fit sa révérence, il lui tourna le dos purement et simplement.

Elle n’eut pas le loisir de se relever : la voix du Roi se faisait entendre.

— Il est à craindre que vous n’ayez pas compris, mon frère ! Vous vous occupez à offenser la souveraine d’un Etat allemand dont l’amitié nous est aussi utile qu’agréable !

Comme si une balle l’avait frappé dans le dos, le prince se figea puis se retourna lentement et lâcha :

— Mille pardons, madame ! Mon erreur vient de votre ressemblance extrême avec une dame pour laquelle je n’éprouve aucune sympathie !

— Ce sera donc à moi de faire en sorte que Monseigneur ne nous confonde plus ! fit-elle avec un grand sourire. Et j’espère de tout mon cœur qu’il ne verra en moi que sa dévouée servante !

Difficile sous les yeux du Roi de garder une attitude hostile ! D’ailleurs un détail venait de lui souffler une sorte de terrain d’entente pour le moins inattendu. Opérant un demi-tour sur ses talons, Monsieur considéra, l’œil brillant d’intérêt, l’une des mains d’Isabelle :

— Vous avez là un fort beau manchon ! C’est de la martre, je présume ?

— De la zibeline, Monseigneur ! J’avoue que je deviens frileuse et il est indélicat d’offrir à ses amis une main glacée.