Le retour à Paris fut glorieux. Il y eut fête dans les jardins de Versailles. Isabelle y parut seule, son époux ayant dû retourner à Ratisbonne régler un problème créé par des mécontents – il y en a toujours ! – attirés par les charmes un peu rudes des Suédois… Il est vrai que gouverner le nord de l’Allemagne depuis Paris présentait des difficultés évidentes. Peut-être allait-il falloir que le couple ducal songe à faire acte de présence un peu plus souvent et que les indigènes du pays pussent enfin constater combien leur nouvelle souveraine était charmante. Or, pour l’instant, Isabelle n’en avait pas la moindre envie. La vie à la Cour était tellement agréable !
En outre, les liens d’amitié se resserraient entre elle et Madame. Monsieur, amadoué par un lot de fourrures rares, semblait n’y plus voir d’inconvénient bien qu’il eût entrepris de mener la vie dure à sa femme.
En effet, depuis la reprise des villes du Nord, l’entente semblait moins cordiale entre la France et l’Angleterre. Celle-ci, toujours à court d’argent, paraissait écouter les sirènes hollandaises avec un certain plaisir. Mais, pour Louis XIV, la Hollande c’était l’ennemie dont il espérait fermement venir à bout avec le temps… Que l’Angleterre oublie ce qu’elle devait à la France au bénéfice de ces gens-là ne se pouvait supporter.
Or, dans ce jeu diplomatique, Louis XIV possédait un atout majeur parce que, lié à son frère par une profonde tendresse, celui-ci refusait de lui causer une peine même légère. C’est ainsi que le Roi reprit des relations plus étroites avec sa délicieuse belle-sœur d’autant plus facilement qu’il lui resterait toujours des réminiscences des tendres instants vécus sous les ombrages de Fontainebleau peu après le mariage avec Monsieur. Et Madame devint tout naturellement la conseillère privilégiée de Louis avec qui elle avait de longs et nombreux entretiens. Entretiens dont Monsieur son époux était naturellement exclu. Brouillon, bavard, incapable de garder une confidence, il aurait naufragé le plus solide accord.
Malheureusement, derrière Monsieur veillaient ses amis, le marquis d’Effiat, le comte de Beuvron et surtout le chevalier de Lorraine, beau comme un ange et pervers comme une légion de démons. Tant que Madame ne s’était occupée que de ses amours, de ses plaisirs et de ses toilettes, elle ne les avait pas beaucoup gênés. On luttait d’ajustements avec elle mais dès l’instant où elle devenait une tête politique et prenait le premier rang auprès du Roi, il fallait sinon l’éliminer du moins la remettre à sa place. Et l’existence de Madame dans ses palais se fit plus difficile tandis que l’on excitait la jalousie de Monsieur.
Quoi ? il y a un secret d’Etat et Monsieur n’en connaît rien ?… Le Roi prépare un grand projet avec Madame, et Monsieur n’y a point part ?… Sa femme jouit d’un crédit qu’on lui refuse, à lui, frère du Roi ?
Petit à petit Monsieur devint insupportable. Non seulement envers son épouse mais envers le Roi auquel il montrait de plus en plus d’insolence.
C’est ainsi qu’à un bal chez la Reine alors que Madame venait de danser avec le Roi et que tous deux se mettaient légèrement à l’écart pour continuer leur conversation, Monsieur monta sur ses ergots. Il déclara haut et fort qu’il s’ennuyait, voulait rentrer chez lui au Château Neuf et ordonna à sa femme de le suivre.
— Quelle mouche vous pique, mon frère ? gronda Louis XIV dont le sourcil venait de se froncer. Si vous êtes las, allez vous reposer !
— C’est ce que je vais faire ! Venez, Madame !
— Laissez donc Madame tranquille ! Nous avons à parler d’affaires sérieuses !
— Soit ! Alors parlons-en ! Cela m’intéresse ! fit-il en se dandinant d’un pied sur l’autre avec un sourire goguenard.
— Mon frère, vous vous oubliez !
Aussitôt Monsieur se mit à glapir :
— Je veux seulement être le maître chez moi et si cela ne convient pas à Madame je n’ai aucune raison de la garder dans ma maison et la renverrai en Angleterre !
— Quelle bonne idée ! Je songe justement à l’envoyer en Angleterre auprès du Roi Charles, qui aime infiniment sa sœur, mettre au point avec lui les bases d’un traité…
— Alors j’irai aussi !
— Non, mon frère ! Ce ne serait pas la même chose et les liens de famille s’en ressentiraient !
De toute évidence, Monsieur allait piquer une nouvelle colère quand le chevalier de Lorraine et le marquis d’Effiat s’approchèrent, saluèrent le Roi et prirent chacun un bras de Monsieur en priant aimablement Sa Majesté de ne pas permettre à Monsieur de gâcher un aussi joli bal. Le Roi accepta d’un sourire et l’on s’en tint là !
Comme Mme de La Fayette et bien d’autres, Isabelle avait observé la scène avec inquiétude. On se demanda même si Monsieur n’avait pas trop bu alors qu’il se montrait habituellement aimable, enjoué souvent, en particulier quand il inaugurait une nouvelle parure ou recevait quelque bel objet pour la décoration de son château de Saint-Cloud qui lui prenait les trois quarts de son temps. Fin de l’incident !
L’orage éclata à propos de l’évêque de Langres, Louis Barbier de La Rivière, décédé récemment et qui avait été aussi l’aumônier de Madame. Il laissait deux riches abbayes situées sur l’apanage de Monsieur et Lorraine prétendait s’en faire attribuer les importants bénéfices. Ce qui n’avait rien de choquant à l’époque mais le chevalier ne se contenta pas des bénéfices, il voulut aussi les titres et cela c’était impossible. Malheureusement, quand il voulait quelque chose, le beau Lorraine savait comment s’y prendre avec Monsieur sinon avec le Roi qui refusa net ! Monsieur piqua alors une colère contre son frère, interdit à Madame de se rendre chez Louis qui, cette fois, se fâcha : le 30 janvier 1670, il faisait arrêter le chevalier de Lorraine par le comte d’Ayen, fils du duc de Noailles et lieutenant aux gardes du corps – assisté pour plus de prudence par le comte de Lauzun.
Fureur de Monsieur qui régala son frère d’une de ces scènes dont il avait le secret et dont le Roi avait horreur, surtout en présence de Madame à qui son époux donna l’ordre de rentrer chez elle et de n’en plus sortir jusqu’à ce que Lorraine quitte la Bastille.
— Il ne va pas à la Bastille où vous passeriez votre temps sans souci du ridicule, coupa le Roi.
— Où donc alors ? Où l’envoyez-vous ?
— A la forteresse de Pierre-Encise près de Lyon…
Monsieur faillit s’étrangler :
— Si loin ? Oh, mon Dieu !
Il n’en dit pas plus, prit Madame par la main et sortit du cabinet royal en courant. Une heure après il avait quitté Saint-Germain pour Paris d’abord puis pour son château de Villers-Cotterêts où Madame n’eut droit qu’à ses serviteurs mais aucune de ses dames ou de ses gentilshommes habituels et d’où le Roi reçut un véritable ultimatum : Madame ne serait autorisée à revoir son beau-frère qu’une fois Lorraine rendu à Monsieur !
Cette situation dura un mois pendant lequel Louis laissa Monsieur mijoter son désespoir – et Madame dans une atmosphère infernale ! – avant d’envoyer au rebelle l’ordre de réintégrer Saint-Germain s’il ne voulait pas que son chevalier soit mis au secret… et au régime ! Nouvelle tempête chez Monsieur – dont Madame fit les frais bien entendu ! – mais enfin on rentra.