Ce fut pour apprendre que Charles II d’Angleterre, songeant à conclure un traité avec la France, désirait que Madame – la jeune sœur qu’il chérissait ! – vînt en discuter les termes avec lui ! Monsieur ne pouvait pas refuser : raison d’Etat !
— Elle peut y aller, grogna Monsieur. Et même y rester ! Souvenez-vous que je voulais la répudier, mon frère !
— Ambassadrice de France, donc sur ordre, elle échappe pour un temps à ses devoirs d’épouse !
— En ce cas, j’irai avec elle. Ou plutôt elle viendra avec moi et je serai votre ambassadeur, ce qui sera plus convenable !
— Vous n’avez rien d’un diplomate ! Vous êtes beaucoup trop brouillon et agité pour mener à bon terme un traité !
— Soit ! Je lui accorde trois jours… à condition que Lorraine quitte Pierre-Encise !
— Il n’y manquera pas…. Mais ce sera pour le château d’If !
— Cette horrible prison en pleine mer, battue par la fureur des flots ? Il en mourrait ! gémit Monsieur au bord des larmes tandis que le Roi se mettait à rire. Et vous trouvez cela drôle, mon frère ? Je ne vous savais pas cruel !
— Et moi je ne vous savais pas si ignare en géographie. Le château d’If, en face de Marseille, est sur la Méditerranée qui a plus de soleil que de tempêtes sauf peut-être en hiver. Il est vrai que certains cachots peuvent être pénibles à supporter… Surtout si la mer empêche le ravitaillement d’arriver. Et comme je m’attendais à votre réaction, sachez que votre ami est déjà en route ! Alors, si vous voulez réfléchir, hâtez-vous ! Madame doit passer la Manche dans six jours ! Et pour trois semaines !
— Et Lorraine quittera cette affreuse prison librement ?
— Vous avez ma parole !
Infiniment heureuse de revoir son frère et son pays, heureuse aussi d’échapper à l’espèce d’enfer qu’était devenue sa vie dans les châteaux de Monsieur son époux, Madame partit pour l’Angleterre où elle allait retrouver ce frère qu’elle aimait tant et nombre d’amis. Elle emmenait une partie de sa maison mais, à son grand regret, il lui fut impossible de se faire accompagner d’Isabelle, Monsieur s’y opposa alléguant qu’une princesse étrangère n’avait rien à faire dans une ambassade française, même quand on lui eut dit que Charles appréciait particulièrement l’ex-duchesse de Châtillon. Et il n’en voulut pas démordre, mettant dans son refus un entêtement d’enfant gâté bien qu’on lui eût promis que Lorraine était sur le point de quitter le château d’If !
Ce ne fut pas sans un serrement de cœur qu’Isabelle vit partir la princesse à laquelle l’attachait à présent un lien solide. Peut-être parce que, obscurément, elle la sentait menacée. Qu’en serait-il au retour en France, même si l’ambassade récoltait un franc succès ? Le Roi, pris par de multiples tâches, réussirait-il à lui assurer la protection dont elle aurait besoin quand elle se retrouverait en face du chevalier de Lorraine auquel ses prisons conféreraient aux yeux de Monsieur l’auréole du martyre ?
Il est probable que, satisfait du traité que Madame ne manquerait pas de rapporter, son frère ne sachant rien lui refuser, le Roi l’en remercierait chaleureusement et s’en retournerait à ses amours passionnées avec la belle Montespan, sans plus se soucier du ménage Orléans…
— Vous avez tort de vous tourmenter à ce point, lui dit Mme de La Fayette à qui Isabelle confiait ses inquiétudes… Monsieur est comme un gamin à qui l’on a pris son jouet favori. Son bien-aimé chevalier retrouvé, il se désintéressera de son épouse !
— Je n’en suis pas certaine ! Le chevalier n’oubliera pas aisément ses geôles et il est loin de posséder une belle âme… Nous verrons bien quand il reviendra…
Mais il n’était pas question qu’il revienne. Tandis que Madame s’embarquait avec une partie de sa suite, le chevalier quittait, en effet, le château d’If… pour l’Italie. Il y était exilé le temps qu’il plairait au Roi…
Monsieur en hurla comme un loup malade, pria, supplia son frère de permettre qu’il revienne auprès de lui. En vain. Louis se contenta de conseiller un peu plus de modération à son cadet et, surtout, de « vivre mieux qu’il ne l’avait fait jusqu’à présent offrant à sa cour un comportement indigne d’un prince ».
Le résultat en fut qu’à son retour, véritablement triomphal car elle avait accompli pleinement la mission dont elle était chargée, Madame trouva un mari plus acariâtre que jamais, refusant même les cadeaux fastueux que Charles II lui envoyait pour le « remercier d’avoir permis à Madame de revoir son pays natal ».
Avec l’entêtement buté des faibles, il signifia à son épouse qu’elle n’avait aucun bon procédé à attendre de lui tant qu’on ne lui aurait pas rendu son Lorraine bien-aimé… Et celle-ci se retrouva seule avec de rares amis assez courageux pour braver l’humeur agressive du mari. Isabelle était de ceux-là.
Liée à Mme de Gamaches, la première femme de chambre de la princesse, elle s’efforçait, avec Mademoiselle, de lui rendre goût à une vie qu’elle semblait perdre. Dès le retour d’Angleterre, Monsieur l’avait emmenée hors de Saint-Germain pour passer quelques jours à Paris puis on alla s’installer à Saint-Cloud, affirmant ainsi une résolution d’éloigner Madame de la Cour et surtout du Roi… Il aurait volontiers chassé les dames qui venaient la visiter. Mademoiselle par exemple, ce qui était difficile, et Isabelle, mais son rang de princesse étrangère la préservait. Au moins de se voir refuser l’accès aux appartements de Madame.
Ce dimanche 29 juin Madame rejoignit Monsieur pour entendre la messe. Il faisait déjà très chaud et sachant que la princesse aurait besoin de se désaltérer dans la journée, un garçon de service vint déposer dans une armoire « fraîche » de son antichambre un plateau contenant une tasse et deux pots. L’un contenait de l’eau de chicorée et l’autre de l’eau pure au cas où le breuvage serait jugé trop amer.
Or, dans la journée, le même garçon fut surpris de voir le marquis d’Effiat près de l’armoire en train d’essuyer la tasse avec du papier.
— Monsieur, demanda-t-il, que faites-vous donc à notre armoire et à la tasse de Madame ?
— Je crève de soif, mon ami, mais je n’ai bu qu’un peu d’eau, et voyant la tasse malpropre je préfère l’essuyer…
Vers cinq heures de l’après-midi, alors qu’elle bavardait avec Mme de La Fayette et Isabelle à l’ombre d’un salon aux rideaux tirés, la princesse demanda son eau de chicorée… on la servit et, après en avoir offert à ses visiteuses qui refusèrent – Isabelle parce qu’elle détestait cette mixture –, Henriette en but une pleine tasse et presque aussitôt poussa un cri en portant les mains à son ventre avant de rouler à terre en se tordant de douleur. Comme les deux dames s’empressaient, elle balbutia :
— Du poison !… On m’a donné du poison… oh, que j’ai mal !
On l’emporta sur son lit crachant le sang tandis que faisant preuve d’un beau courage Isabelle prenait le pot d’eau suspect et allait en boire à même le goulot quand Mademoiselle l’arrêta :
— Vous n’êtes pas folle ? Vous voulez ingérer de ce breuvage dont Madame dit qu’il l’a empoisonnée ?… Regardez comme elle est !
Et pour plus de sûreté, elle fit enlever le plateau mais en donnant l’ordre de ne pas y toucher, le contenu devant être examiné par les médecins.
Isabelle aurait voulu s’asseoir au chevet de Madame, lui tenir la main, mais la chambre s’emplissait d’instant en instant comme si la Cour entière voulait s’y montrer.
Le Roi vint avec la Reine mais aussi La Vallière et Montespan et la comtesse de Soissons, si dangereuse. Monsieur aussi, évidemment, qui pensait qu’on exagérait un embarras gastrique et préconisait du lait. On ne l’avait pas attendu pour en administrer à la malheureuse, sans résultat. Tout ce monde papotant comme dans un salon, à l’exception du couple royal qui ne s’attarda pas. Très sombre, Louis avait des questions à poser, des ordres à donner, ce qui n’était guère possible au milieu de cette volière caquetante dont Isabelle tentait vainement d’obtenir un peu de silence par respect pour les souffrances de Madame… Et la chaleur était à tomber.