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L’assemblée se calma d’un seul coup quand les portes s’ouvrirent devant les moires violettes de l’évêque de Condom, Mgr Bossuet, que la mourante avait fait mander pour l’assister. Elle se souvenait des paroles si belles prononcées par lui au chevet de la Reine Henriette-Marie, sa mère, et ensuite durant ses funérailles. Se sachant perdue, la jeune femme ne voulait plus s’adresser qu’à Dieu !

Cependant, au nom du Roi, M. de Brissac interrogeait les domestiques et n’eut aucun mal à trouver le valet qui avait vu le marquis d’Effiat près de l’armoire. Ce serviteur révéla ce qu’il en était, en dépit des consignes que lui avait données à ce sujet Pernon, maître d’hôtel de Monsieur.

Conduit discrètement devant le Roi, celui-ci, en échange de la promesse de ne pas être mis en cause quoi qu’il ait laissé faire, raconta alors qu’un certain Morel, envoyé depuis peu au marquis d’Effiat par le chevalier de Lorraine, était intégré dans le personnel et que peut-être…

On fit venir l’homme qui semblait mal à l’aise.

Le Roi posa alors la question qui le tourmentait :

— Vous ne serez pas inquiété mais prenez garde de dire la vérité car nous parviendrons toujours à la connaître. Monsieur a-t-il eu connaissance de cette horreur ?

— Non, Sire ! Sur le salut de mon âme ! Il est trop brouillon pour qu’on lui confie un tel secret ! lâcha-t-il spontanément.

— C’est bien. Vous pouvez aller mais sachez vous taire à présent !…

Madame mourut au bout de quelques heures, le 30 juin à trois heures du matin5 faisant souffler sur la Cour un vent d’effroi. C’est lors des funérailles à l’abbaye royale de Saint-Denis que Bossuet prononça sa célèbre oraison funèbre.

Madame se meurt, Madame est morte…

Au retour des funérailles solennelles, Isabelle, plus bouleversée par cette fin tragique qu’elle ne l’aurait cru et mesurant l’affection qu’elle portait à la charmante princesse, se jeta dans les bras de Christian, secouée de sanglots :

— Emmenez-moi, mon ami ! Emmenez-moi chez vous, en Allemagne ! Je… je ne peux plus me supporter ici ! Je préfère vivre au milieu des Vandales que de ces gens prétendument civilisés capables de porter le poison jusqu’au trône !…

1 L’orthographe surréaliste de la duchesse ôtant beaucoup de l’intensité dramatique de ses écrits, j’ai jugé plus prudent de l’adapter.

2 Le second prénom d’Isabelle était Angélique.

3 L’asile psychiatrique.

4 Que l’on n’en déduise pas que la duchesse entretenait une relation amoureuse avec le ministre. Il ne s’agit là que d’un terme de politesse normal à cette époque.

5 En fait ce n’était pas l’eau de chicorée qui était empoisonnée mais la tasse elle-même. Effiat y aurait procédé en « essuyant » la tasse prétendument malpropre avec le papier contenant le poison.

ET POURTANT, QUELQUES ANNÉES APRÈS…

 La gloire… enfin !

Que Paris était donc beau quand, sous le soleil du début de l’automne, il se laissait emporter par l’enthousiasme et la joie de fêter un triomphe. Maisons pavoisées, fenêtres fleuries, costumes d’apparat, c’était un peuple entier qui s’adonnait à la griserie que seules peuvent apporter une série de victoires retentissantes qui allaient ajouter quelques rayons à la gloire de son Roi-Soleil !

Un peu partout on chantait, on dansait dans les rues, on buvait dans les auberges qui avaient fait toilette. Paris sentait le pain chaud, le fumet des rôtisseries aux portes grandes ouvertes.

Cependant c’était vers Notre-Dame que la foule semblait se diriger et les gardes de la prévôté avaient fort à faire pour garder libres les accès à la cathédrale dont les cloches sonnaient à toute volée mettant en fuite les pigeons de l’Hôtel-Dieu. C’est qu’on allait y chanter un « Te Deum » particulièrement glorieux pour remercier Dieu et Madame Marie de la série de victoires dont ils avaient bien voulu couronner les armes du maréchal de Luxembourg, alors le plus grand soldat du royaume !

Assise auprès de sa mère dans son carrosse d’apparat qu’entouraient des gardes, Isabelle avait glissé son bras sous celui de Mme de Bouteville dont elle avait tenu à ce qu’elle soit présente en ce jour magnifique couronnant la carrière de son fils. Une sorte de revanche, durement méritée par cette femme de quatre-vingt- cinq ans frappée en plein cœur soixante-six ans plus tôt par la mort, sous l’épée du bourreau, d’un époux bien-aimé jamais remplacé, jamais oublié… Entre le parvis de Notre-Dame et la place de Grève où s’était dressé l’échafaud, il n’y avait que la largeur d’un bras de la Seine… que son regard évitait de traverser.

Aux yeux d’Isabelle, le chemin suivi par sa mère au cours de ces années était d’une droiture dont rien ne l’avait fait dévier. Une ligne aussi droite que cette femme courageuse qui, lorsque son petit François avait eu sept ans, l’avait pris par la main pour le conduire au Louvre où elle l’avait fait incliner devant Louis XIII en disant :

— Sire, voilà le dernier des Montmorency, faites-en ce que vous voulez !

Puis était partie sans se retourner. Les Condés s’étaient alors chargés de lui et de ses deux sœurs et le résultat était là : duc de Luxembourg-Piney, prince de Tingry, maréchal et pair de France, le petit François avait dépassé toutes les espérances.

Qu’en était-il d’Isabelle elle-même ?

La douleur violente mais inattendue causée par la mort de Madame – elle ne croyait pas l’aimer autant ! –, l’horreur surtout du moyen ignoble dont on s’était servi pour la tuer et assurer l’impunité aux coupables l’avaient fait fuir le plus loin possible dans l’espoir de jouer tranquillement auprès de Christian de Mecklembourg-Schwerin son rôle d’épouse et de princesse souveraine. Un rôle qu’elle s’imaginait représentatif. Elle se voulait une sorte d’ambassadrice de l’élégance, de l’esprit, de l’art de vivre français. Son charme lui gagna bien des cœurs et le peuple accueillit chaleureusement cette grande dame pourvue d’un si joli sourire et d’un cœur si généreux.

Aimant le monde, elle en reçut beaucoup, donna des fêtes aussi bien dans les châteaux que pour le peuple, sur les places publiques où l’on se pressait ; se créa des amis mais aussi des ennemis, en particulier parmi ceux qui, profitant des nombreuses absences de leur duc, menaient le pays à leur guise. Le tout orchestré par un certain abbé de Lézignan dont elle eut quelque peine à s’accommoder, parce qu’il semait le doute et les hésitations chez un Christian qui n’avait guère de suite dans les idées et ne cessait de regretter la vie si agréable que l’on menait en France où il retournait sous les prétextes les plus variés, laissant sa duchesse se débrouiller comme elle l’entendait.

Dans les premiers temps, elle n’y vit pas d’inconvénients. Plus ami des fêtes et distractions en tout genre que des austérités du gouvernement, le cher Christian, découvrant les talents politiques de sa femme, trouva pratique – et tellement plus confortable  ! – de la laisser faire face aux imbroglios du gouvernement, et retourna voir ailleurs si l’herbe était plus verte.