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Or, la paix installée depuis la prise de pouvoir par Louis XIV s’effritait. La guerre de Hollande avait repris et, menacé d’une coalition des princes allemands, le Roi apprit avec stupeur que le duc de Mecklembourg, se souciant peu de son presque royaume, menait joyeuse vie à Paris et que seule Mme la duchesse régnait sur la modeste cour de Schwerin où elle s’efforçait, non seulement de faire apprécier la France, mais aussi de nouer de bonnes relations avec les princes voisins. Il s’en entretint avec ses ministres Louvois et Pomponne… qui lui déconseillèrent fortement de convoquer le duc et de lui laver la tête avant de le renvoyer faire son métier de souverain en Mecklembourg.

— Mme la duchesse a l’air de s’en tirer au mieux, dit Pomponne. Elle a appris l’allemand en un temps record (le français, langue diplomatique, était parlé pratiquement partout dans les chancelleries et les cours mais pas au niveau du peuple) et, malgré qu’elle ne soit plus toute jeune, son charme reste entier et elle sait toujours s’en servir. Elle est, à mon sentiment, la meilleure ambassadrice que nous ayons là-bas ! Elle a réussi à évincer l’abbé de Lézignan.

— Pas de liaison amoureuse ?

— Pas que l’on sache, sinon par écrit, ajouta le secrétaire d’Etat avec un sourire. Le courrier avec Chantilly garde toute son importance !

— Je n’y vois pas d’inconvénients. Néanmoins il faut aider la duchesse ! Le marquis de Feuquières doit partir pour la Suède. Qu’il passe par Schwerin afin de lui conseiller de l’accompagner à Celle chez le duc de Brunswick-Lunebourg dont l’influence est importante parmi les princes. Il n’est pas très malin mais il a épousé une Française, Eléonore d’Olbreuse, et notre duchesse pourrait les séduire tous les deux1 !

Ainsi fut fait. Peu avant Noël, par un froid polaire, Isabelle fit en compagnie de Feuquières une majestueuse entrée à Celle. Elle arriva annoncée par des trompettes et au son des tambours, en grand équipage comme il convenait à une souveraine et pendant six jours ce ne furent que fêtes et divertissements. Et le traité que souhaitait Louis XIV fut signé. Le célèbre charme avait joué une fois de plus… et Isabelle ne pouvait s’empêcher de sourire au souvenir de ce temps où, privée d’un mari qui l’insupportait de plus en plus mais qui, certainement, passerait bientôt à l’état de souvenir, elle se considérait comme abandonnée… donc malheureuse !

Elle goûta la joie orgueilleuse de gouverner, de nommer des ministres, de passer en revue des soldats gigantesques sous leurs bonnets de fourrure, de recevoir des délégations de son peuple, d’apposer le gros cachet de cire rouge sur des papiers d’Etat. Elle régnait ! Quoi de plus grisant ?

Malheureusement, toutes ces splendeurs finirent par aller percer les fumées de l’alcool et de la débauche où son époux s’enfonçait au fil des jours. En outre, lui au moins laissait ses sujets vivre à leur guise et, un triste matin, les grenadiers commis à la garde de ses portes croisèrent leurs armes devant la duchesse par ordre de son seigneur époux. Elle devait se considérer comme prisonnière… Il était temps pour elle d’apprendre à se considérer comme une honnête ménagère allemande et rien de plus ! Quand Monseigneur daignerait rentrer, il déciderait de son sort…

De rentrer quand ? On n’en savait rien ! L’important pour lui était qu’elle se tienne tranquille et cesse de se prendre pour ce qu’elle n’était pas… Mais Isabelle n’en avait nullement l’intention. La nuit suivante, Bastille, convenablement nanti d’or et du meilleur cheval des écuries, partait pour la France.

On attendait le duc. Ce fut une ambassade solidement armée conduite par le marquis de Feuquières qui vint solennellement prier Mme la princesse, duchesse de Mecklembourg-Schwerin, de se rendre auprès de Sa Majesté le Roi Louis XIV mais, comme il ne s’agissait pas que l’on se méprît sur cette invitation, Feuquières tout au long du chemin lui fit rendre les honneurs dus à un souverain en déplacement. Isabelle laissait d’ailleurs derrière elle le comte de Leinsberg dont elle s’était acquis le dévouement pour régler les affaires courantes car à Schwerin on attendait toujours Christian peu séduit par l’idée de revenir au milieu des tracas alors qu’il vivait si agréablement à Paris. Ce qu’il ne voulait pas c’était que sa femme règne à sa place, même si elle s’en tirait beaucoup mieux que lui…

C’est grosso modo ce que lui fit entendre Louis XIV qui la reçut en tête à tête pour la féliciter :

— On m’a dit que vous aviez entrepris de civiliser ce peuple ! Est-il vraiment aussi sauvage qu’on le prétend ?

— Plus encore, Sire, et j’en ai été la première surprise. A entendre mon époux aucun pays n’est plus évolué que l’empire allemand.

— Que n’y est-il plus souvent alors ?

— Il préfère la vie parisienne ! Et on peut le comprendre. Je fais de mon mieux pour améliorer la vie quotidienne, imitant en cela la jeune épouse morganatique du duc Ernest-Auguste de Brunswick-Lunebourg, une ravissante Poitevine, Eléonore d’Olbreuse, qui a obtenu quantité d’améliorations. Pour les repas, par exemple, il est à présent interdit au château de Celle de s’insulter à table, de se jeter du pain, des os, voire une assiette pleine à la figure en proférant des injures. Interdit aussi de s’enivrer au point que les valets doivent, le matin venu, ramener leurs maîtres chez eux dans des brouettes.

— Vous vous moquez ?

— A Dieu ne plaise, Sire, que je m’oublie de la sorte ! De même : elle améliore la cuisine franchement détestable : des choux, encore des choux, toujours des choux !… C’est assez lassant !

— Vous entretenez donc de bonnes relations avec la cour de Celle ?

— Excellentes, Sire…

— Alors il vous faudra repartir, ma chère. Vous seule êtes capable de mener à bien certaines missions délicates auprès des princes allemands… Peut-être même l’Empereur !

— Mais, Sire… Le duc Christian ne me permettra plus de sortir de Schwerin si je reviens !

— Il recevra mes ordres… à moins qu’il ne veuille renoncer à notre alliance ?

— Je crois sincèrement qu’il aimerait mieux mourir. Il ne déborde pas d’idées mais celle-là il y tient... ajouta-t-elle avec un sourire.

Se retrouvant ainsi chargée de mission – ou ambassadrice occulte ! –, Isabelle effectua plusieurs voyages, séjournant au palais de Schwerin ou de Ratisbonne quand il le fallait, se disputant avec son mari quand il leur advenait de se rencontrer jusqu’à ce qu’enfin Christian la fasse arrêter par ses gardes et mettre en prison.

Pour la première fois de sa vie, peut-être, elle se prit à désespérer. Une fois de plus Bastille s’était enfui et gagnait la France à francs étriers, mais pourrait-il arriver à temps ? En outre, elle ne voyait plus autour d’elle que les visages hostiles des geôliers, aussi en venait-elle à craindre, sinon la peine capitale, du moins d’être assassinée dans sa prison…

Toutefois Louis XIV tenait à sa duchesse et envoya à son secours une ambassade puissamment armée que commandait… Condé assisté de… François !

En se retrouvant en face des deux seuls hommes qu’elle n’eût jamais cessé d’aimer, elle dut faire appel à toute sa volonté pour ne pas se précipiter à leur cou en sanglotant de bonheur mais elle restait la souveraine de ces gens encore à demi primitifs et devait se retenir. Elle les remercia d’un sourire et d’un « je vous attendais » comme si c’eût été le geste le plus naturel, et ce fut la tête haute qu’elle rejoignit le carrosse en compagnie d’Agathe qu’on venait de lui rendre. Ensuite ce fut trompettes sonnant, canon tonnant et avec tous les honneurs dus à une souveraine qu’elle quitta le Mecklembourg pour n’y plus revenir ! Sur son visage immobile des larmes coulaient lentement mais c’étaient des larmes de joie. Tout à l’heure elle pourrait serrer dans ses bras son petit frère qu’elle croyait perdu à jamais…