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« Celui-ci m’a l’air en aussi piteux état que celui que tu as apporté hier, me dit-il. En outre, je vais être obligé de lui trouver un endroit pour le parquer ici toute la journée. Mais je vais te dire ce que je vais faire. Je vais te donner un gros pot de miel en échange. C’est un excellent miel.

« Bon, c’était une bonne affaire parce que ma maman avait quatre autres poulets, mais elle n’avait pas de miel. Alors je lui prends son pot de miel et m’en retourne à la maison. Je venais de traverser le pont quand je me souviens de ce que m’avait dit ma maman. J’ouvre le pot et verse le miel dans ma poche. Le temps d’escalader la dernière colline, tout le miel était parti.

« Alors, ma maman pique de nouveau sa crise. La prochaine fois, dit-elle, pose-le en équilibre sur ta tête.

« — Ah, fais-je, j’aurais dû y penser. Et le troisième matin, je me lève et capture un autre poulet, l’emporte au marché et le présente au marchand.

« Tous tes poulets sont-ils en aussi piteux état ? me dit-il. Enfin, au nom d’Allah, je m’en vais t’offrir mon dîner en échange de cette volaille. Et le marchand me donne un bloc de fromage caillé.

« Bon, je me souviens de ce que m’avait dit ma maman et je le pose en équilibre sur ma tête. Je parcours les rues, traverse le pont, descends la colline, remonte la colline. Quand j’arrive à la maison, ma maman me demande ce que j’avais obtenu en échange du poulet. Assez de lait caillé pour faire notre dîner, lui dis-je.

« — Eh bien, où l’as-tu mis ? demande-t-elle.

« — Sur ma tête, fais-je. Elle jette un coup d’œil et me traîne jusqu’au lavabo. Elle me verse un plein broc d’eau froide sur le crâne et me récure les cheveux à la brosse de chiendent. Et tout le temps, elle criait et me reprochait d’avoir perdu le lait caillé.

« La prochaine fois, porte-le délicatement dans tes mains, me dit-elle.

« — Ah, fais-je, j’aurais dû y penser. Alors, le lendemain matin, très tôt, bien avant le lever du soleil, j’entre dans le poulailler et choisis le plus gros, le plus beau des poulets qui restaient. Je quitte la maison avant que ma maman se réveille et emporte le poulet en bas de la colline et par les rues jusqu’au souk des Volaillers.

« Bonjour, mon ami, dit le marchand. Je vois que tu as encore un vieux poulet édenté.

« — Il s’agit d’un fort beau poulet, fais-je, et je veux en avoir ce qu’il vaut, rien de moins.

« Le marchand examine de près le poulet tout en marmonnant. Tu sais, dit-il enfin, ces plumes m’ont l’air diablement bien collées.

« — N’est-ce pas ainsi qu’elles doivent être ? fais-je.

« Il m’indique alors une rangée de poulets morts et décapités. Tu leur vois des plumes, par hasard” ?

« — Non, fais-je.

« — Déjà mangé un poulet rôti avec des plumes ?

« — Non, fajs-je.

« — Alors, je suis désolé. Cela va me coûter bien du temps et du labeur pour décoller toutes ces plumes. Je ne puis, en échange, que t’offrir ce gros matou vigoureux.

« Je pense que c’est une bonne affaire parce que le matou attraperait les souris et les rats qui se faufilent dans le poulailler pour voler le grain des volailles. Je me souviens de ce que m’a dit ma maman et j’essaye de porter le matou délicatement entre mes mains. Juste après avoir descendu la colline et juste avant de gravir la colline, le matou se met à gronder, cracher, gigoter et griffer jusqu’à ce que je ne puisse plus le tenir. Il m’échappe d’un bond et s’enfuit.

« Je savais que ma maman allait encore être très fâchée. “La prochaine fois, me dit-elle, attache-le avec une ficelle et traîne-le derrière toi.

« — Ah, fais-je, j’aurais dû y penser.À présent, il ne restait plus que deux poulets, aussi me faut-il plus longtemps le lendemain matin pour en capturer un, même si peu m’importe lequel. Quand j’arrive au souk, le marchand est très content de me voir.

« Loué soit Allah que nous allions bien l’un et l’autre ce matin, dit-il en me souriant. Je vois que tu as un poulet.

« — Ouais, tu as raison, fais-je. Et je dépose le poulet sur la planche voilée qui lui servait de comptoir.

« Le marchand prend le poulet et le soupèse, et le tâte du pouce comme on tâte un melon. Ce poulet ne pond pas d’œufs, n’est-ce pas ? demande-t-il.

« — Pour sûr, qu’il pond des œufs ! C’est même la meilleure pondeuse qu’ait jamais eue ma maman.

« L’homme secoue alors la tête et plisse le front. Vois-tu, me dit-il, il y a un problème. Chaque œuf pondu, c’est moins de chair sur les os de cette poule. Ç’aurait peut-être été une jolie poule dodue si elle n’avait pas pondu autant d’œufs. C’est une bonne chose que tu me l’aies apportée maintenant avant qu’elle n’ait entièrement dépéri.

« — Tous ces œufs devraient bien valoir quelque chose, fais-je.

« — Je ne vois d’œufs nulle part. Je vais te dire ce que je vais faire. Je t’échange ce poulet tué, nettoyé, prêt à cuire, contre ta poule pondeuse. Tu ne trouveras pas meilleure affaire auprès des autres volaillers. Sitôt qu’ils auront appris que ce poulet est une aussi redoutable pondeuse, ils ne t’en donneront pas deux fîqs en cuivre.

« J’étais vraiment content que cet homme m’ait pris en amitié parce qu’il me révélait des choses qu’aucun autre marchand ne m’aurait dites. Aussi, sans plus tarder, j’échange ma poule sans valeur contre son poulet vidé, bien qu’il me paraisse plutôt étique, qu’il sente drôle et soit aussi d’une drôle de couleur. Je me souvenais de ce que m’avait dit ma maman et lui passe donc une ficelle avant de m’en retourner chez nous en le tirant derrière moi.

« Vous auriez dû entendre crier ma maman quand je suis arrivé ! Ce pauvre poulet plumé était complètement gâté. Par la prunelle de mes yeux ! s’écria-t-elle. Tu es le plus grand imbécile de toutes les terres de l’Islam ! La prochaine fois, porte-le sur ton épaule !

« — Ah, fais-je, j’aurais dû y penser.

« Or donc, il ne restait plus qu’un poulet et je me promets d’en tirer le meilleur parti le lendemain. À nouveau, je n’attends pas que ma maman me tire du lit. Je m’éveille tôt, me lave le visage et les mains, enfile mes plus beaux habits et pénètre dans le poulailler. Il me faut une heure pour attraper le dernier poulet, qui avait toujours été le préféré de ma maman. Il s’appelait Mouna. Finalement, je mets la main sur la volaille, qui bat des ailes et se débat. Je la sors du poulailler, et l’amène, par le pied de la colline, le sommet de la colline, par le pont et par les rues jusqu’au marché.

« Mais ce matin-là, le marchand de volaille n’était pas à son stand. J’attends plusieurs minutes, à me demander où pouvait bien être passé mon ami. Finalement, une jeune fille m’aborde. Elle était vêtue avec la réserve qui sied à une chaste femme musulmane, et je ne pouvais distinguer son visage à cause du voile ; mais quand elle se met à parler, je sais à sa voix qu’elle est sans doute la plus belle jeune fille que j’aie jamais rencontrée.

— Tu sais que c’est le meilleur moyen de s’embringuer dans les pires ennuis, fis-je remarquer à Fouad. J’ai déjà fait l’erreur de tomber amoureux au téléphone. Plus d’une fois. »