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Je me retournai pour le regarder. « C’est le terme approprié, Courane. Terrible.

— Ça m’a vraiment bouleversé. » Il hocha la tête pour me prouver combien il était sincère.

« Vodka-citron », annonçai-je. Ça le fit détaler.

Je tirai une chaise et m’installai à la table des autres. Je les regardai mais sans rien dire. La dernière fois que je m’étais trouvé avec eux, ma cote de popularité était au plus bas. Je me demandai si les choses avaient changé.

Jacques était le chrétien toujours trop heureux de souligner avec condescendance qu’il avait quand même plus de sang européen que moi. Cet après-midi, il se contenta de fermer un œil et de hocher la tête. « Paraît que t’as sorti Papa d’un bâtiment en flammes. »

Courane arriva avec ma consommation. En guise de réponse, je levai mon verre et bus une gorgée.

« J’ai déjà été dans un incendie, dit le demi-Hadj. Enfin, à vrai dire, j’étais dans un immeuble qui a été entièrement détruit par les flammes une heure après que je l’ai quitté. J’aurais pu être tué. »

Mahmoud, en vrai mâle sexchangiste, renifla. « Eh bien, Marîd, dit-il, je suis impressionné.

— Ouais, fis-je. En fait, je voulais juste vous impressionner, bande de naves. » Je pressai ma tranche de citron vert dans la vodka. Pour la vitamine C, vous comprenez.

« Non, sans blague, poursuivait Mahmoud, tout le monde parle que de ça. C’était vraiment bien vu. »

Jacques haussa les épaules. « Surtout quand on songe que t’aurais pu t’en sortir avec toute la grosse galette de Friedlander bey pour toi tout seul. Simplement en laissant frire ce vieux salaud.

— Est-ce que t’y as pensé ? demanda Mahmoud. Sur le coup, je veux dire ? »

Il était temps d’avaler une bonne lampée de vodka parce que je commençais à m’énerver sérieux. Quand j’eus reposé mon verre, mon regard passa de l’un à l’autre. « Vous connaissez Indihar, hein ? Eh bien, depuis la mort de Jirji, elle arrive plus à régler toutes ses factures. Elle ne veut pas entendre parler d’un prêt venant de moi ou de Chiri, et elle ne gagne pas assez avec son poste de barmaid dans la boîte. »

Mahmoud arqua les sourcils. « Elle veut venir bosser pour moi ? Elle a un joli cul. Elle pourrait se faire des ronds. »

Je fis non de la tête. « Ça l’intéresse pas. Ce qu’elle veut, c’est que je lui trouve un nouveau foyer pour l’un de ses gosses. Elle a deux garçons et une fille. Je lui ai dit qu’elle pouvait toujours placer un des garçons. »

Là, ça leur cloua le bec un moment. « Peut-être, dit enfin Jacques, peut-être que je pourrais poser la question autour de moi, on ne sait jamais.

— C’est ça. Renseigne-toi. Indihar a dit qu’elle pourrait même éventuellement se séparer aussi de la fille. S’ils sont pris ensemble et si le prix est correct.

— Quand veux-tu savoir ? demanda Mahmoud.

— Dès que vous aurez trouvé. Bon, faut que j’y aille. Saïed, ça t’embête de venir faire un tour avec moi ? »

Le demi-Hadj lança un coup d’œil d’abord à Mahmoud, puis à Jacques, mais aucun des deux n’avait rien à dire. « Je suppose que non…»

Je sortis vingt kiams de ma poche et les laissai tomber sur la table. « C’est ma tournée. »

Mahmoud me lança un regard circonspect. « On a peut-être été un peu durs avec toi, ces derniers temps…

— J’avais pas remarqué.

— Eh bien, on est tous contents que tout ça soit arrangé entre nous. Pas de raison que les choses recommencent pas comme avant, hein ?

— Bien sûr, dis-je. Tout juste. »

Une petite tape sur l’épaule de Saïed pour lui dire de sortir, et nous nous retrouvons au grand jour. Je l’arrêtai avant qu’il monte en voiture. « J’ai besoin que tu me dises comment on se rend au Che-Gay. »

Il devint subitement livide. « Merde, qu’est-ce que tu veux aller foutre là-bas ?

— J’en ai entendu parler, c’est tout.

— Eh bien, j’ai pas envie d’y aller. J’suis même pas sûr de pouvoir te donner l’itinéraire.

— Oh que si, tu peux, mon pote, dis-je sur un ton menaçant et résolu. Tu le connais parfaitement. »

Saïed avait horreur qu’on le pousse. Il se redressa, cherchant à se donner l’avantage de la taille. « Tu crois pouvoir me forcer à t’accompagner ? »

Je me contentai de le fixer, le visage dénué d’émotions. Puis, très lentement, je portai ma main droite à ma bouche. Je l’ouvris et me mordis sauvagement. Je m’arrachai un petit fragment de chair à l’intérieur du poignet et le crachai sur le demi-Hadj. Mon propre sang dégoulinait au coin de mes lèvres. « Écoute un peu, connard, grognai-je, la voix rauque. Ça, c’est ce que je me fais à moi. Attends de voir ce que je vais te faire, à toi ! »

Saïed frémit et s’éloigna à reculons sur le trottoir. « T’es cinglé, Marîd. T’es complètement cinglé.

— Monte ! »

Il hésita. « Tu portes Rex, c’est ça ? Tu devrais pas porter ce mamie. J’aime pas l’effet qu’il te fait. »

Je rejetai la tête en arrière pour éclater de rire. Je ne faisais jamais que me comporter comme lui quand il portait le même mamie. Et il le portait souvent. J’avais pas de mal à comprendre pourquoi – il commençait à me plaire un max.

J’attendis qu’il se fût glissé à la place du passager puis je contournai la voiture et me mis au volant. « Direction ? demandai-je.

— Sud. » D’une voix lasse et sans espoir.

Je conduisis un moment sans rien dire, le laissant se tracasser sur l’étendue de mes informations. « Et alors, dis-je enfin, c’est quoi, comme genre de boîte ?

— Oh, pas grand-chose. » Le demi-Hadj était maussade. « Un lieu de ralliement pour cette bande de tordus, les Jaïsh.

— Ah ouais ? » D’après le nom, j’imaginais la clientèle du Che-Gay dans le style du mec que j’avais aperçu chez Chiri quelques semaines plus tôt, le zouave en futal de vinyle avec la main enchaînée dans le dos.

« L’Armée des Citoyens. Ils portent des uniformes gris, organisent des défilés et distribuent tout un tas de tracts. Je crois qu’ils veulent débarrasser la ville des étrangers. À bas la vermine franj. Tu connais le topo.

— Hon-hon. D’après il-Manhous, j’ai comme dans l’idée que t’y passes pas mal de temps. »

Saïed n’aimait pas du tout la tournure que prenait la conversation. « Écoute, Marîd », commença-t-il, puis il se tut. « D’abord, est-ce que tu vas croire tout ce que te raconte Fouad ? »

Je rigolai. « À ton avis, qu’est-ce qu’il m’a raconté ?

— J’en sais trop rien. » Il se coula encore un peu plus loin de moi, jusqu’à se coller contre la portière du passager. Je l’aurais presque plaint. Il ne rouvrit plus la bouche, sauf pour me donner des indications.

Arrivé à destination, je glissai la main sous mon siège, où j’avais dissimulé mon arsenal. J’avais un petit paralyseur confié, il y a une éternité, par le lieutenant Okking, et l’électrostatique que m’avait donné Shaknahyi. « C’est un coup monté, Saïed ? T’es censé m’amener ici pour que les sbires d’Abou Adil puissent me refroidir tranquilles ? »

Tronche terrorisée du demi-Hadj. « Qu’est-ce que c’est que ces histoires, Marîd ?

— Raconte-moi seulement pourquoi t’as dit à Fouad de me montrer ce chargeur de calibre .45 ? »

Il s’affala tristement au fond de son siège. « Je suis allé voir cheikh Reda parce que je me sentais largué, Marîd, c’est tout. Peut-être qu’il est trop tard maintenant, mais je regrette vraiment. J’avais juste du mal à supporter de rester là, les bras ballants, tandis que tu devenais un grand héros, que tu devenais le favori de Friedlander bey. Je me sentais abandonné. »