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J’avais du mal à respirer. « Enculés », dis-je, d’une voix sifflante.

Umar encliqueta la prise chromée sur ma broche corymbique antérieure. « Là… il s’agit d’une procédure totalement indolore, indiqua-t-il.

— Vous allez crever, marmonnai-je. Putain, je vous ferai crever. »

Abou Adil braquait toujours sur moi le pistolet à aiguilles, mais de toute façon je n’étais guère en état de jouer les héros. Umar s’agenouilla et m’attacha les mains derrière le dos avec les menottes. J’avais l’impression que j’allais m’évanouir et je ne cessais de secouer la tête pour rester conscient. Je n’avais pas envie de tomber dans le cirage et de me retrouver entièrement à leur merci, même si c’était sans doute déjà le cas.

Après m’avoir immobilisé les poignets, Umar passa les menottes sous le crochet et tira sur la corde jusqu’à ce que je me redresse en titubant. Puis il lança la corde au-dessus d’une barre ancrée au mur bien au-dessus de ma tête. Je vis ce qu’il s’apprêtait à faire. Il poussa un « Yallah ! » et me hissa avec la corde jusqu’à ce que je me retrouve sur la pointe des pieds, les bras levés dans le dos. Alors il tira encore un petit peu et là, mes pieds ne touchèrent plus le sol. J’étais suspendu de tout mon poids, ce poids qui lentement me désarticulait les bras au niveau des épaules.

Le supplice était tel que j’étais juste capable de respirer par saccades haletantes. J’essayai de faire taire l’horrible douleur ; je priai, implorant d’abord la pitié, puis réclamant la mort.

« Branche le mamie, maintenant », dit Abou Adil. Sa voix semblait venir d’un autre monde, provenir du sommet d’une montagne ou bien des profondeurs de l’océan.

« Je cherche refuge auprès du Seigneur de l’Aube », murmurai-je. Et je répétai sans arrêt cette phrase comme une incantation magique.

Umar monta sur la chaise avec le mamie gris à la main, le mamie du syndrome D que j’avais acheté. Il l’enficha dans ma broche postérieure.

Il était pendu au plafond mais il ne savait plus pourquoi. Il souffrait un terrible martyre. « Au nom de Dieu, aidez-moi ! » s’écria-t-il. Il se rendit compte que crier ne faisait qu’accroître la douleur. Pourquoi était-il ici ? Il n’en savait rien. Qui lui avait fait ça ?

Il n’en savait rien. Il ne se souvenait de rien. De rien du tout.

Le temps passa, peut-être avait-il perdu conscience. Il éprouvait la même sensation qu’on a au sortir d’un rêve particulièrement intense, quand monde réel et onirique se superposent momentanément, quand des aspects de l’un déforment les images de l’autre, et que l’on doit faire un effort pour les trier et choisir auquel donner l’avantage.

Comment expliquer sa situation actuelle, seul et ligoté de la sorte ? Il n’avait pas peur de la souffrance, mais il avait peur en revanche de n’être pas à la hauteur de la tâche d’appréhender sa situation. Il y avait le bourdonnement assourdi d’un ventilateur au-dessus de sa tête, et l’air avait un vague parfum épicé. Son corps pivota légèrement au bout de la corde et la douleur le taillada de nouveau. Ce qui le tracassait le plus, toutefois, c’était l’idée de se trouver impliqué dans un drame épouvantable et d’en ignorer totalement le sens.

« Loué soit Dieu, Seigneur des Mondes, murmura-t-il. Le Bienfaiteur, le Miséricordieux, Seul Maître du Jour du Jugement. Toi seul, nous te louons. Toi seul, nous t’implorons. »

Le temps passa. La douleur s’accrut. Finalement, il ne se rappelait même plus suffisamment son état pour gémir ou se plaindre. Bruits et visions traversaient ses sens engourdis, passant loin au-dessus de son esprit à la dérive. Il avait passé le cap du jugement ou de la réaction mais il n’était pas encore tout à fait mort. Quelqu’un lui parla mais il ne réagit pas.

« Comment va ? »

Horriblement mal, si vous voulez savoir. Tout d’un coup, conscience et compréhension me revenaient en avalanche. Chaque fragment de douleur jusque-là tenu à distance me déboula dessus avec d’autant plus de force. Je devais avoir gémi car l’autre n’arrêtait pas de dire : « Tout va bien, tout va bien. »

Je levai les yeux : c’était Saïed. « Hé », fis-je. Je ne pus sortir un mot de plus.

« Tout va bien », répéta-t-il. Je ne savais pas si je devais le croire. Il avait l’air passablement inquiet.

Je gisais au fond d’une impasse, entre deux immeubles en ruine abandonnés. Je ne savais pas comment j’avais atterri ici. Pour l’heure, je m’en foutais.

« Sont à toi ? » me demanda-t-il. Il ouvrit la main, révélant une petite poignée de papies et trois boîtiers de mamies.

Dans le paquet il y avait Rex ainsi que le module du syndrome D. Je fondis presque en larmes en reconnaissant le papie bloque-douleur. « Passe-le-moi. » Mes mains tremblaient quand je le saisis et l’enfichai. Presque instantanément, je me sentis à nouveau en pleine forme, même si j’étais conscient de souffrir de terribles lacérations et d’avoir au moins une clavicule brisée. Le papie agissait encore plus vite qu’une tonne de soléine. « Va falloir que tu m’expliques ce que tu fiches ici », dis-je à Saïed. Je m’assis par terre, envahi d’une illusion de bien-être et de santé.

« J’étais venu te chercher. J’voulais m’assurer que tu n’allais pas au-devant d’ennuis ou quoi. Le vigile à la porte me connaît, Kamal aussi. Je suis entré dans la maison et là, j’ai vu ce qu’ils te faisaient ; alors j’ai attendu qu’ils te traînent dehors. Ils ont dû te croire mort, ou alors peu leur importe que tu t’en sortes ou pas. J’ai récupéré les puces et je les ai suivis. Ils t’ont jeté dans cette impasse répugnante, et je suis resté planqué au coin jusqu’à leur départ. »

Je lui posai la main sur l’épaule. « Merci.

— Hé, fit le demi-Hadj avec un sourire en coin, inutile de me remercier. Entre frères musulmans et tout ça, d’ac ? »

Je n’avais pas envie de discuter avec lui. Je récupérai le troisième mamie qu’il avait ramassé. « C’est quoi, celui-ci ?

— Tu sais pas ? Il est pas à toi ? »

Je fis non de la tête. Saïed me prit le module des mains, le porta à sa nuque, l’enficha. En un instant, son expression changea. Il avait l’air terrifié. « Que les couilles de mon père rôtissent en Enfer ! s’exclama-t-il. C’est Abou Adil. »

17.

Le demi-Hadj tint absolument à m’accompagner jusqu’à l’immeuble où se planquait Paul Jawarski. « T’es une vraie ruine, me dit-il en secouant la tête. Retire ce papie, et tu verras l’état lamentable dans lequel tu es. Tu devrais aller à l’hôpital.

— J’en sors à peine.

— Eh bien, manifestement, ça n’a pas pris. Faut que t’y retournes.

— D’accord, j’irai dès que cette histoire avec Jawarski sera réglée. Jusque-là, je garde le papie. Et j’aurai sans doute besoin de Rex. »

Saïed loucha sur moi. « C’est pas seulement Rex qu’il te faudrait. Mais une bonne demi-douzaine de tes copains flics. »

J’eus un rire amer. « J’ai pas l’impression qu’ils se pointeraient. J’ai même pas l’impression qu’Hadjar les enverrait. »

Nous progressions lentement le long de la principale avenue nord-sud d’Hâmidiyya. « Que veux-tu dire ? demanda Saïed. Tu crois qu’Hadjar veut se charger lui-même de la capture de Jawarski ? Pour y gagner de l’avancement et une médaille ? »