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J’étais déjà de meilleure humeur en redescendant au rez-de-chaussée. Et quand je me retrouvai au soleil déclinant de la fin d’après-midi, je me sentais presque normal.

Presque. J’étais toujours prisonnier de ma propre culpabilité. J’avais prévu de rentrer à la maison déterrer de nouveaux détails sur les relations entra Kmuzu et Abou Adil mais je me surpris à marcher dans la direction opposée. Quand j’entendis l’appel à la prière du soir, je laissai la voiture rue Souk el-Khemis. Il y avait une petite mosquée au coin, et je m’arrêtai dans la cour pour ôter mes chaussures et procéder aux ablutions rituelles. Puis j’entrai dans l’édifice et priai. C’était la première fois que je le faisais sérieusement depuis des années.

Me joindre aux autres fidèles du quartier ne me lava pas de mes remords et de mes doutes. Je ne l’avais pas escompté. Je ressentis néanmoins une authentique chaleur, éprouvai un sentiment d’appartenance dont ma vie avait été dépourvue depuis que j’étais enfant. Pour la première fois depuis mon arrivée dans cette ville, je pouvais approcher Allah en toute humilité, et peut-être qu’avec un repentir sincère mes prières seraient acceptées.

Après le service religieux, je m’entretins avec un ancien de la mosquée. Nous parlâmes quelques minutes et il me dit que j’avais eu raison de venir prier. Je lui fus reconnaissant de ne pas me faire la leçon mais de m’avoir au contraire accueilli et mis à l’aise.

« Il y a encore une chose, ô vieillard respecté, dis-je.

— Quoi donc ?

— Aujourd’hui, j’ai tué un homme. »

Il ne parut pas choqué outre mesure. Il caressa plusieurs secondes sa longue barbe. « Raconte-moi pourquoi tu as fait une telle chose », dit-il enfin.

Je lui racontai tout ce que je savais de Jawarski, son passé de crimes violents avant son arrivée dans notre ville, l’assassinat de Shaknahyi. « C’était un homme mauvais, dis-je, mais même ainsi je me sens moi-même criminel. »

L’ancien posa la main sur mon épaule. « Dans la sourate de la Vache, me dit-il, il est écrit que le talion est de règle en matière de meurtre. Ce que tu as accompli n’est pas un crime aux yeux de Dieu, loué soit Son nom. »

Je plongeai le regard dans les yeux du vieillard. Il n’essayait pas simplement de me réconforter. Il ne cherchait pas simplement à soulager ma conscience. Il me récitait la loi telle que l’Envoyé de Dieu l’avait révélée. Je connaissais le passage du Qur’ân qu’il avait mentionné[8], mais j’avais besoin de l’entendre de la bouche d’une personne dont je respectais l’autorité. Je me sentis entièrement absous. J’en pleurai presque de gratitude.

Je quittai la mosquée, en proie à un étrange mélange de sentiments : j’étais empli d’une colère sans partage envers Abou Adil et Umm Saad, mais en même temps j’éprouvais un bonheur et un bien-être parfaitement indescriptibles. Je décidai de faire un autre arrêt avant de rentrer à la maison.

Chiri prenait le service de nuit quand j’entrai dans la boîte. Je pris mon tabouret habituel à la courbure du bar. « Une Mort blanche ? demanda-t-elle.

— Non, dis-je, je ne peux pas rester longtemps. Chiri, t’aurais pas un peu de soléine ? »

Elle me dévisagea plusieurs secondes. « Je crois pas. Qu’est-ce que tu t’es fait au bras ?

— Des Paxium, alors ? Ou des beautés ? »

Elle posa le menton sur sa main. « Chéri, je croyais que t’avais juré de plus y toucher. Je croyais que t’avais décidé d’être clean.

— Et merde, Chiri, commence pas à faire chier. »

Sans un mot de plus, elle glissa la main sous le comptoir et en ressortit sa petite boîte à pilules noire. « Prends ce que tu veux, Marîd. Je suppose que tu sais ce que tu fais.

— Sûr que oui. » Et je me pris une douzaine de capsules et de comprimés. Je saisis un verre d’eau et avalai le tout, sans même faire attention à ce que c’était.

18.

Je ne fis rien de bien foulant durant une bonne semaine ; en revanche, mon esprit cavalait comme un greyhound en folie. Je mitonnais ma vengeance contre Umar et Abou Adil de cent manières différentes : je les ébouillantais dans des cuves de liquides caustiques ; je les infectais de germes hideux en comparaison desquels leurs mamies d’Enfer à la carte n’étaient que vulgaires rhumes de cerveau ; j’engageais des équipes de ninjas sadiques chargés de s’insinuer dans leur grande demeure pour les massacrer lentement avec de savantes blessures au couteau. Dans l’intervalle, mon corps recouvrait ses forces, même si toutes les meilleures amplifications cérébrales au monde restaient impuissantes quand il s’agissait d’accélérer la soudure des os brisés.

L’attente était presque plus que je ne pouvais supporter, mais j’avais une merveilleuse infirmière : Yasmin m’avait pris en pitié. C’était à Saïed que je devais la divulgation du récit de mes exploits. À présent, tout le Boudayin savait que j’avais terrassé Jawarski à moi tout seul. On racontait également que la haute tenue morale de mon exemple lui avait infligé une telle honte qu’il avait sur-le-champ embrassé la foi islamique ; et que, tandis que nous étions tous les deux en train de prier, Abou Adil et Umar avaient tenté de s’immiscer pour me tuer ; c’est alors que Jawarski avait bondi pour s’interposer, trouvant ainsi la mort en sauvant la vie de son nouveau frère musulman.

Puis il y avait l’épisode ultérieur, au cours duquel Umar et Abou Adil me capturaient pour me ramener dans leur château maléfique, où ils me torturaient, me soumettaient au viol mental, puis me forçaient à signer des chèques en blanc et de fausses factures jusqu’à ce que Saïed le demi-Hadj débarque soudain à ma rescousse. Oh, et puis merde ! Je ne voyais pas en quoi enjoliver un peu la réalité pouvait nous faire du mal.

Quoi qu’il en soit, Yasmin se montrait si pleine d’attentions et de sollicitude que je crois bien que Kmuzu était un peu jaloux. Je ne voyais pas pourquoi. Une bonne partie des attentions dont me gratifiait Yasmin n’entraient pas le moins du monde dans les attributions de Kmuzu. Je m’éveillai un beau matin et la retrouvai à califourchon sur moi, en train de me masser la poitrine. Elle n’avait pas le moindre vêtement sur la peau.

« Eh bien, fis-je d’une voix endormie, à l’hosto, les infirmières ôtent rarement leur blouse.

— Elles ont plus d’entraînement que moi, dit Yasmin. Je ne suis qu’une débutante. Je ne sais pas encore très bien ce que je fais.

— Tu le sais parfaitement, ce que tu fais. » Son message descendait lentement vers le sud. Je me réveillais à grande vitesse.

« Bon, tu n’es pas censé trop te fatiguer, alors laisse-moi faire tout le boulot.

— Parfait. » Je levai les yeux pour la contempler et me rappelai soudain à quel point je l’aimais. Je me rappelai également à quel point elle pouvait me rendre dingue au pieu. Avant d’être complètement parti, je parvins à dire : « Et si jamais Kmuzu entre ?

— Il est parti à l’église. Et par ailleurs, ajouta-t-elle, vicieuse, même les chrétiens doivent un jour ou l’autre connaître les choses du sexe. Sinon, d’où viendraient les nouveaux chrétiens ?

— Les missionnaires les recrutent en convertissant les gens qui s’occupent de ce qui les regarde. »

Mais Yasmin n’avait pas vraiment envie de se lancer dans un débat religieux. Elle se souleva pour se glisser sur moi. Elle laissa échapper un soupir bienheureux. « Ah, ça faisait un sacré bout de temps, fit-elle.

— Ouais. » Je ne voyais pas quoi dire d’autre ; j’avais la tête ailleurs.

« Quand mes cheveux auront repoussé, je pourrai te titiller comme t’aimais bien.

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8

Ce sont précisément les versets 178–179 de la IIe sourate : « Vous qui croyez, on vous prescrit le talion pour les tués : homme libre pour homme libre, esclave pour esclave, femme pour femme. Mais celui à qui son frère pardonne un peu, qu’on le poursuive selon la coutume et qu’il paie de bon gré (…) » (N.d.T.)