Выбрать главу

— Tu sais, dis-je en me mettant à respirer plus fort, j’ai toujours eu ce fantasme…»

Yasmin ouvrit grand les yeux. « Pas avec mes cheveux, quand même ! » Bon, on a tous nos inhibitions, pas vrai ? Mais franchement, je n’aurais pas cru pouvoir suggérer quelque chose d’assez tordu pour choquer Yasmin.

Je ne prétendrai pas que nous avons baisé toute la matinée jusqu’à ce que j’entende Kmuzu rentrer dans le séjour. Primo, je n’avais plus baisé personne depuis des semaines ; secundo, se retrouver à nouveau seuls tous les deux nous avait rendus plutôt frénétiques. Ce fut une étreinte brève, mais très intense. Après, nous restâmes dans les bras l’un de l’autre sans dire un mot. Je me serais bien rendormi mais Yasmin n’apprécie pas.

« T’as jamais regretté que je sois pas une grande fille blonde et svelte ? me demanda-t-elle.

— Moi, ça n’a jamais bien marché avec les vraies filles.

— T’aimes bien Indihar, je le sais. Je t’ai vu la reluquer.

— Ça va pas ? Elle est simplement pas aussi moche que les autres nanas. »

Je sentis Yasmin hausser les épaules. « Mais est-ce que t’as pas regretté, des fois, que je sois pas grande et blonde ?

— T’aurais pu. Quand t’étais encore un garçon, t’aurais pu le demander aux chirurgiens. »

Elle enfouit son visage dans mon cou. « Ils m’ont dit que je n’avais pas le squelette, fit-elle, d’une voix assourdie.

— Je trouve que t’es parfaite telle que tu es. » J’attendis un quart de seconde. « Sauf que t’as les plus grands pieds que j’aie jamais vus de ma vie. »

Yasmin se redressa d’un bond. Ça ne l’amusait pas du tout. « Tu veux que je te casse l’autre clavicule, bahim ? »

Il me fallut une demi-heure et un long séjour avec elle sous une douche brûlante pour restaurer la paix. Je me vêtis puis regardai Yasmin se préparer à sortir. Pour une fois, elle ne serait pas à la bourre. Elle n’avait pas besoin de reprendre le boulot avant huit heures du soir. « Tu passeras au club ? » demanda-t-elle, en regardant mon reflet dans le miroir au-dessus de la commode.

« Absolument. Je dois faire sentir ma présence, sinon tout le personnel va s’imaginer que je dirige une station balnéaire. »

Yasmin sourit. « Tu diriges rien du tout, chou. C’est Chiri qui dirige la boîte, comme elle l’a toujours dirigée.

— Je sais. » J’avais fini par goûter mon rôle de propriétaire. Mon intention première avait été de restituer le club à Chiri dans les meilleurs délais, mais à présent j’avais décidé de laisser un peu traîner les choses. Ça me remontait d’avoir droit à un traitement de faveur de la part de Brandi, Kandy, Pualani et les autres. J’aimais assez jouer les patrons.

Après le départ de Yasmin, j’allai m’asseoir à mon bureau. Mon appartement initial avait été réparé et repeint, et j’occupais à nouveau le second étage de l’aile ouest. Vivre juste à un couloir de distance de ma mère avait été une épreuve pour les nerfs, même l’espace de quelques jours, après notre réconciliation surprise.

Je me sentais à présent suffisamment d’attaque pour reporter toute mon attention sur cette affaire restée pendante avec Umm Saad et Abou Adil.

Quand j’eus finalement décidé que je ne pouvais différer le problème plus longtemps, je saisis le mamie de couleur beige, l’enregistrement d’Abou Adil. « Bismillah », murmurai-je, puis, d’un geste hésitant, je levai la main et me l’embrochai.

Folie, par la vie du Prophète !

Audran avait l’impression de lorgner par un tunnel étroit, de contempler le monde avec les œillères du regard égoïste et malsain d’Abou Adil. Les choses n’étaient que bonnes pour Abou Adil ou mauvaises pour Abou Adil ; en dehors de cela, elles n’existaient pas.

La seconde chose qu’Audran remarqua fut son état d’excitation sexuelle. Bien sûr ; Abou Adil trouvait son seul plaisir sexuel à se baiser lui-même, ou du moins sa copie conforme. C’est ce qu’était Umar : une coque vide pour recevoir ce double électronique. Et Umar était trop stupide pour se rendre compte qu’il n’était que ça, qu’il n’avait pas d’autres qualifications qui le rende valable. Le jour où il déplairait à son maître, ou commencerait à l’ennuyer, Umar serait aussitôt remplacé, comme tant d’autres avant lui au cours des ans.

Et le dossier Phénix ? Que signifiaient les lettres A.L.M. ?

Bien sûr, la réponse était là, dans sa mémoire… Alif. Lâm. Mîm.

Ce n’étaient pas du tout des initiales. Ce n’était pas quelque acronyme mystérieux. Les lettres provenaient du Qur’ân. Bon nombre de sourates du Qur’ân commençaient par des lettres de l’alphabet. Personne ne savait ce qu’elles signifiaient. Peut-être symbolisaient-elles quelque phrase mystique. Ou les initiales d’un scribe. Leur sens s’était perdu dans la nuit des siècles.

Il y avait plus d’une sourate qui commençait par Alif, Lâm, Mîm, mais Audran sut immédiatement laquelle en particulier. C’était la sourate XXX, intitulée « Les Romains » ; la phrase importante était celle-ci : « C’est Dieu qui vous a créés, vous a nourris et vous fera mourir puis revivre. » Il était évident que, tout comme Friedlander bey, cheikh Reda imaginait ses propres traits quand il prononçait le nom de Dieu.

Et soudain Audran sut que le dossier Phénix, avec sa liste de gens sans méfiance qui pouvaient à tout moment se faire tuer pour leurs organes, était enregistrée sur une plaque-mémoire en alliage de cobalt dissimulée dans la chambre privée d’Abou Adil.

Et d’autres points lui devinrent également évidents. Quand il songeait à Umm Saad, les souvenirs d’Abou Adil relataient qu’elle n’avait, en réalité, aucun lien de parenté avec Friedlander bey mais qu’elle avait accepté de l’espionner. Sa récompense serait l’effacement de son nom et de celui de son fils du dossier Phénix. Elle n’aurait plus jamais à s’inquiéter qu’un beau jour un parfait inconnu pût avoir un besoin urgent de son cœur, son foie ou ses poumons.

Audran apprit que c’était Umm Saad qui avait engagé Paul Jawarski et qu’Abou Adil avait par la suite accordé sa protection au tueur américain. Umm Saad avait amené Paul Jawarski en ville puis transmis les instructions de cheikh Reda de tuer un certain nombre de personnes inscrites au dossier Phénix. Umm Saad était en partie responsable de ces morts, ainsi que de l’incendie et de l’empoisonnement de Friedlander bey.

Audran était écœuré, et l’horrible impression de folie ambiante menaçait de le submerger. Il porta la main à sa nuque, saisit le mamie et l’arracha de la prise.

Waouh ! C’était la première fois que j’utilisais un mamie enregistré sur une personne vivante. L’expérience avait été répugnante. Comme une immersion dans la vase, sauf que la vase, on pouvait toujours s’en nettoyer ; mais sentir son esprit ainsi pollué était une épreuve à la fois plus intime et plus terrible. Je me promis que, dorénavant, je me cantonnerais aux personnages imaginaires et aux reconstructions électroniques.

Abou Adil était encore plus ravagé que je ne l’avais imaginé. Malgré tout, j’avais appris deux ou trois choses – ou du moins mes soupçons avaient été confirmés. Fait surprenant, j’arrivais à comprendre les motivations d’Umm Saad. Si j’avais été comme elle au courant du dossier Phénix, j’aurais tout fait moi aussi pour que mon nom en soit retiré.

J’avais envie de discuter un peu de toute cette histoire avec Kmuzu, mais il n’était pas encore revenu de son service du sabbat. En attendant, je me dis que je pourrais voir si ma mère avait par hasard autre chose à me raconter là-dessus.