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— Tu es un menteur ! » s’écria la femme.

Saad bondit vers moi mais Kmuzu s’était interposé. Il était amplement assez vigoureux pour retenir le garçon.

Je me retournai vers Umm Saad. « Ce que je ne comprends pas, en revanche, c’est pourquoi tu as essayé de tuer Papa. Je ne vois pas en quoi sa mort avait un intérêt pour toi.

— Alors, c’est que tu n’en sais pas autant que tu le penses. » Elle parut se détendre un petit peu. Ses yeux faisaient le va-et-vient entre moi et Kmuzu, qui maintenait toujours le garçon dans son étreinte inflexible. « Cheikh Reda m’a promis que si je découvrais les plans de Friedlander bey, ou si je l’éliminais de sorte qu’il ne constitue plus pour lui un obstacle, il soutiendrait mes prétentions sur cette maison. Je m’approprierais l’ensemble des biens et des avoirs commerciaux de Friedlander bey, pour ensuite restituer à cheikh Reda tout ce qui pourrait relever du domaine politique.

— Bien sûr, dis-je, et tout ce que tu as à faire, c’est de te fier à Abou Adil. À ton avis, combien de temps tiendras-tu avant qu’il t’ait éliminé comme tu as éliminé Papa ? Dès lors, il aura la voie libre pour réunifier les deux plus importantes maisons de cette ville.

— Tu affabules complètement ! » Elle se leva, se retourna pour fixer à nouveau Kmuzu. « Relâche mon fils. »

Kmuzu me regarda. Je fis non de la tête.

Umm Saad sortit de son sac à main un petit lance-aiguilles. « J’ai dit : relâche mon fils !

— Ma toute belle », dis-je en élevant les deux mains pour bien lui montrer qu’elle n’avait rien à redouter de moi, « tu as échoué. Pose cette arme. Si tu t’entêtes, même les ressources de cheikh Reda ne te protégeront pas de la vengeance de Friedlander bey. Je suis sûr qu’Abou Adil a cessé de s’intéresser à tes affaires. De ce côté, tu te berces simplement d’illusions. »

Elle tira deux ou trois fléchettes au plafond pour me faire comprendre qu’elle était prête à faire usage de son arme. « Relâche mon gosse, dit-elle, la voix rauque. Laisse-nous partir.

— Je ne sais pas si je peux faire ça. Je suis sûr que Friedlander bey aimerait bien…»

J’entendis une sorte de pfuit ! pfuit ! et me rendis compte qu’Umm Saad venait de me tirer dessus. J’inspirai profondément, les dents serrées, attendant de ressentir la morsure douloureuse annonçant que j’avais été touché, mais rien ne se produisit. Son état d’agitation lui avait fait manquer sa cible, même d’aussi près.

Elle tourna le canon du lance-aiguilles sur Kmuzu, qui demeura impassible, toujours protégé par le corps de Saad. Puis elle me visa de nouveau. Dans l’intervalle, toutefois, le Roc parlant avait franchi les quelques pas qui nous séparaient. Il leva la main et l’abattit sur le poignet d’Umm Saad qui laissa tomber son arme. Puis le Roc leva son autre poing serré, énorme.

« Non ! » m’écriai-je, mais il était trop tard pour l’arrêter. D’un revers de main puissant, il étendit Umm Saad raide par terre. Je vis un filet de sang briller sur son menton, sous la lèvre fendue. Elle gisait étendue, la tête inclinée selon un angle grotesque. Je sus aussitôt que le Roc l’avait tuée d’un seul coup de poing. « Et de deux », murmurai-je. À présent, je pouvais me consacrer entièrement à Abou Adil. Ainsi qu’à son jouet, Umar, qu’il avait bercé d’illusions.

« Fils de chien ! » glapit le gamin. Il se débattit un moment, puis Kmuzu le laissa aller. Il s’agenouilla et prit dans ses bras le corps de sa mère. « Ô mère, mère…», murmura-t-il, en larmes.

Nous le laissâmes, Kmuzu et moi, la pleurer quelques instants. « Debout, Saad, », dis-je enfin.

Il leva les yeux sur moi. Je ne crois pas avoir jamais vu pareille malignité sur un visage humain. « Je vous tuerai, lança-t-il. Je vous promets que je vous tuerai. Tous.

— Debout, Saad », répétai-je. Je n’aurais pas voulu que ça arrive, mais il était trop tard pour avoir des regrets.

Kmuzu posa la main sur l’épaule de Saad mais le garçon se dégagea d’une secousse. « Tu dois écouter mon maître, dit Kmuzu.

— Non », dit Saad. Puis sa main jaillit en direction du lance-aiguilles de sa mère. Le Roc lui piétina l’avant-bras. Saad s’effondra près de sa mère, tenant son bras en gémissant.

Kmuzu s’agenouilla et récupéra le lance-aiguilles. Il se redressa et me donna l’arme. « Que désirez-vous faire, yaa sidi ?

— Au sujet du gosse ? » Je regardai Saad, pensif. Je savais qu’il ne me voulait que du mal, mais je n’éprouvais que pitié pour lui. Il n’avait été qu’un pion dans le marché entre sa mère et Abou Adil, une dupe dans son plan vicieux d’usurpation du pouvoir de Friedlander bey. Je ne m’attendais pas à le voir comprendre cela, bien sûr. Pour lui, Umm Saad serait à jamais une martyre, la victime d’une cruelle injustice.

« Que doit-on faire ? demanda Kmuzu, m’interrompant dans mes pensées.

— Oh, laisse-le partir, c’est tout. Il a bien assez souffert, certainement. » Kmuzu s’écarta et Saad se releva, tenant son bras endolori contre sa poitrine. « Je me chargerai des formalités concernant les obsèques de ta mère », lui dis-je.

À nouveau, le mépris déforma ses traits. « Tu ne la toucheras pas ! C’est moi qui vais enterrer ma mère. » Il recula, gagna la porte en titubant. Une fois sur le seuil, il se retourna pour me faire face : « S’il existe des malédictions en ce monde, lança-t-il d’une voix enfiévrée, alors je les appelle sur toi et ta maison. Je te ferai payer au centuple ce que tu as fait. Je le jure par trois fois, sur la vie du prophète Mahomet ! » Et sur ces mots il s’enfuit de la salle à manger.

« Vous vous êtes fait un ennemi coriace, yaa sidi, observa Kmuzu.

— Je sais, mais je ne peux pas y faire grand-chose », dis-je en secouant tristement la tête.

Un téléphone grelotta sur la console et le Roc répondit. « Oui ? » fit-il. Il écouta quelques instants, puis me tendit l’appareil.

Je le lui pris des mains. « Allô, oui ? »

Mon interlocuteur ne prononça qu’un mot : « Venez. » J’avais reconnu l’autre Roc.

Je me sentis glacé. « Il faut qu’on aille à l’hôpital. » Je jetai un dernier regard au cadavre d’Umm Saad, ne sachant trop que faire.

Kmuzu avait saisi mon problème. « Youssef peut s’occuper des formalités, yaa sidi, si c’est ce que vous souhaitez.

— Oui, dis-je. Il se peut que j’aie besoin de vous deux. »

Kmuzu acquiesça et nous quittâmes la salle à manger, Labib (ou Habib) sur mes talons. Nous sortîmes, et Kmuzu alla chercher la berline pour venir nous prendre devant la maison. Je montai derrière. J’avais pensé que le Roc aurait plus de facilité à se tasser sur le siège à l’avant.

Kmuzu fonçait dans les rues à une allure presque aussi folle que Bill le taxi. Nous arrivâmes devant la suite n° 1 à l’instant même ou un infirmier quittait la chambre de Papa.

« Comment va Friedlander bey ? demandai-je, inquiet.

— Il est toujours en vie, dit l’infirmier. Il est conscient, mais vous ne pourrez pas rester longtemps avec lui. Il doit entrer sous peu en salle d’opération. Le médecin est avec lui en ce moment.

— Merci. Je me tournai vers Kmuzu et le Roc. Attendez-moi dehors.

— Oui, yaa sidi », dit Kmuzu. Le Roc ne broncha pas. Il jeta simplement un bref regard hostile à Kmuzu.

J’entrai dans la suite. Je vis un autre infirmier en train de raser le crâne de Papa, manifestement en vue de l’intervention. Tariq, son valet, se tenait à son chevet, l’air fort inquiet. Installés à la table à jouer, le Dr Yeniknani et un collègue discutaient à voix basse.