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— L’épouser ! » J’étais si abasourdi que j’en oubliai toute attitude respectueuse.

« Et quand je serai rétabli de cette maladie…» Il bâilla, presque incapable de maintenir les yeux ouverts avec les calmants qu’on lui avait donnés. Je baissai la tête pour saisir ses paroles. « Quand je serai rétabli, nous irons à La Mecque. »

Ça non plus, je ne m’y étais pas attendu. J’imagine que je dus laisser échapper un gémissement. « La Mecque, fis-je.

— Le pèlerinage. » Il ouvrit les yeux. Il avait l’air terrorisé, pas par la perspective de l’intervention mais par l’inaccomplissement de son obligation envers Allah. « Il est plus que temps », dit-il, puis ils l’emportèrent.

20.

Je décidai que le plus sage était d’attendre qu’on ait ôté le pansement de mon bras avant d’aller affronter Abou Adil. Après tout, le grand Salah Ad-Dîn n’avait pas reconquis Jérusalem et chassé les Croisés Franj en se jetant dans la bataille avec la moitié de son armée. Même si je n’envisageais pas de me lancer dans un pugilat avec cheikh Reda ou son sbire Umar, j’avais toutefois suffisamment pris de coups et d’égratignures ces derniers temps pour qu’ils m’enseignent un minimum de prudence.

Les choses s’étaient apaisées considérablement. Pendant un certain temps, je m’étais inquiété pour la santé de Friedlander bey et j’avais prié Allah pour son rétablissement. Il avait survécu à l’opération que le Dr Lisân avait qualifiée de succès ; mais Papa dormait quasiment vingt-quatre heures sur vingt-quatre, jour après jour. Il s’éveillait parfois et nous parlait quoiqu’il eût beaucoup de mal à nous reconnaître ou à savoir en quel siècle on était.

Avec Umm Saad et son fils disparus de sous notre toit, l’atmosphère était devenue nettement plus chaleureuse. Je m’occupais des affaires de Papa, agissant en son nom pour régler les différends entre les divers fournisseurs des impies. Je fis comprendre à Mahmoud que je serais dur mais juste dans mon rôle d’émissaire de Friedlander bey, et il parut l’accepter. Du moins oublia-t-il son ressentiment. Ce n’était peut-être qu’une façade. On ne peut jamais savoir avec Mahmoud.

Je devais également m’occuper d’une crise importante à l’étranger, le nouveau tyran d’Érythrée étant venu pour exiger de savoir ce qui se passait dans son propre pays. Je réglai ce foutoir, grâce aux archives impeccablement tenues de Papa et à la parfaite connaissance de celles-ci qu’avaient Tariq et Youssef.

Ma mère continuait de se comporter avec des alternances de pudeur mesurée et d’effronterie délirante. Parfois, quand nous bavardions, nous regrettions l’un comme l’autre de nous être mutuellement fait du mal par le passé. À d’autres moments, nous étions prêts à nous sauter mutuellement à la gorge. Kmuzu me disait que ce genre de relation n’avait rien d’inhabituel entre parents et enfants, en particulier quand l’un et l’autre avaient atteint un certain âge. J’acceptai le fait, et cela cessa de me préoccuper.

Le club de Chiriga continuait à rapporter des masses d’argent, ce qui n’était pas pour nous déplaire, Chiri et moi. Je suppose qu’elle aurait été encore plus satisfaite si je lui avais revendu la boîte, mais j’avais trop de plaisir à en être propriétaire. Je décidai donc de m’y accrocher encore un peu, tout comme j’avais décidé de m’accrocher à Kmuzu.

Quand venait l’appel à la prière du muezzin, j’y répondais une bonne partie du temps, et je me rendis à la mosquée à une ou deux reprises, le vendredi. Je commençais à avoir la réputation d’un homme généreux, pas seulement dans le Boudayin mais dans toute la ville. Partout où j’allais, les gens m’appelaient cheikh Marîd al-Amîn. Je n’avais toutefois pas complètement renoncé aux drogues, parce que j’étais encore blessé et que je ne voyais pas l’intérêt de risquer de souffrir sans raison.

L’un dans l’autre, ce premier mois hors des services de police se révéla une période de calme et de paix bienvenus. Tout prit fin un mardi toutefois, juste avant déjeuner, quand je répondis au téléphone. « Marhaba, dis-je.

— Loué soit Dieu. Umar Abdoul-Qawy à l’appareil. »

Je ne dis rien durant quelques secondes. « Qu’est-ce que vous voulez encore ?

— Mon maître s’inquiète de l’état de santé de Friedlander bey. J’appelais pour prendre de ses nouvelles. »

Je n’allais pas tarder à bouillir. Je ne savais franchement pas quoi dire à Umar. « Il va bien. Il se repose.

— Alors, il est en état de s’occuper de ses affaires ? » Il y avait chez lui un ton suffisant qui m’était parfaitement détestable.

« J’ai dit qu’il allait bien, vu ? Maintenant, j’ai du travail.

— Une seconde, monsieur Audran. » Et là, le ton devint franchement moralisateur. « Nous avons tout lieu de croire que vous pourriez détenir un objet appartenant en fait à cheikh Reda. »

Je savais de quoi il voulait parler et ça me fit sourire. J’aimais mieux être le baiseur que le baisé. « Je ne vois pas à quoi vous faites allusion, cher Himmar. » Je ne sais pas pourquoi, mais quelque chose me poussa à lui dire ça. Je savais que ça allait lui hérisser la barbe.

« Le mamie, cracha-t-il. Ce satané mamie. »

Je marquai un temps d’arrêt pour savourer ce que je décelais dans sa voix. « Ça alors ! fis-je enfin. Vous vous trompez du tout au tout. Autant que je me souvienne, c’est vous qui détenez ce satané mamie. Allons, vous ne vous rappelez pas, mon bon Himmar ? Vous m’avez attaché les mains dans le dos, puis vous m’avez battu jusqu’au sang, et ensuite vous m’avez branché ce connecteur à mamie pour me lire le cerveau. Vous en avez déjà fait le tour ? »

Silence dans l’écouteur. Je crois bien qu’Umar espérait que j’aurais oublié ce mamie. Ce n’était pas de cela qu’il voulait parler. Je m’en foutais, j’avais l’avantage.

« Alors, qu’est-ce qu’il donne, espèce de fils de pute ? Tu mets mon cerveau pendant que tu te fais enfiler par ce salopard de cinglé ? Ou bien est-ce l’inverse ? Je suis comment, Himmar ? Je vaux Honey Pilar ? »

Je l’entendis essayer de se dominer. « Peut-être que nous pourrions envisager un échange, dit-il enfin. Cheikh Reda désire sincèrement s’amender. Il désire se voir restituer son module d’aptitude mimétique. Je suis sûr qu’il serait d’accord pour vous rendre l’enregistrement que nous avons fait de votre personnalité, assorti d’une somme raisonnable à convenir entre nous.

— Une somme ? dis-je. Combien ?

— Je ne puis m’avancer avec certitude, mais je suis certain que cheikh Reda se montrerait très généreux. Il est conscient de vous avoir occasionné beaucoup d’inconvénients.

— Pour sûr. Mais les affaires sont les affaires et le boulot, c’est le boulot. Combien ?

— Dix mille kiams », dit Umar.

Je savais que si je chipotais il proposerait un chiffre plus élevé ; mais ce n’était pas leur argent qui m’intéressait. « Dix mille ? fis-je, tâchant d’avoir l’air impressionné.

— Oui. » De nouveau ce ton suffisant. J’allais le lui faire payer. « Si nous nous retrouvions ici, dans une heure ? Cheikh Reda m’a chargé de vous dire que notre personnel préparait un déjeuner spécial en votre honneur. Nous espérons que vous ferez fi de nos différends passés, cheikh Marîd. Cheikh Reda et Friedlander bey doivent s’unir désormais. Vous et moi devons être des partenaires collaborant en harmonie. N’êtes-vous pas d’accord ?

— Je témoigne avec force qu’il n’est d’autre dieu qu’Allah, répondis-je, solennel.