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« Assez de ces bêtises, dit Umar. Tu es venu ici pour troquer des mamies. Terminons la transaction, et ce qui pourra advenir dans le futur est entre les mains d’Allah. »

Sans cesser de braquer mon arme sur Abou Adil, je bus une gorgée de café. « Les rafraîchissements sont absolument délicieux, ô cheikh, dis-je en reposant ma tasse. Je veux que tu détruises le dossier Phénix. J’ai porté ton mamie, je sais où il se trouve. Kmuzu et Saïed peuvent te tenir en respect le temps que j’aille le chercher. »

Abou Adil ne semblait pas le moins du monde ennuyé. « Tu bluffes, dit-il en écartant les mains. Si tu as porté mon mamie, tu sais que j’en ai des copies. Le module t’indiquera où se trouvent un ou deux exemplaires, mais Umar en a d’autres, et tu ne sauras jamais où ils sont.

— Merde, dit le demi-Hadj. Je parie que je peux le faire parler.

— Laisse tomber, Saïed. » Je me rendis compte qu’Abou Adil avait raison ; nous étions dans une impasse. Détruire une mémoire à bulles par ici, une sortie d’imprimante par là, ne nous mènerait à rien. Je ne pouvais détruire le concept même de dossier Phénix, et à ce point Abou Adil n’accepterait jamais de l’abandonner.

Kmuzu se pencha vers moi. « Vous devez le convaincre d’y renoncer, yaa sidi.

— T’as une idée ?

— Malheureusement, non. »

J’avais bien un dernier atout à jouer, mais je n’étais pas chaud pour l’utiliser. Si jamais il foirait, Abou Adil gagnait la partie et je n’étais plus en mesure de me protéger ou de protéger les intérêts de Friedlander bey contre lui. Pourtant, il n’y avait pas d’autre choix. « Cheikh Reda, dis-je avec lenteur, il y a quantité d’autres choses enregistrées sur ton mamie. J’ai lu des informations étonnantes sur ce que tu as fait et sur ce que tu prévois de faire. »

Pour la première fois, l’expression d’Abou Adil marqua une certaine préoccupation. « De quoi parles-tu ? »

J’essayai de prendre un air dégagé. « Tu sais, évidemment, que les chefs religieux stricts désapprouvent les implants cérébraux. Je n’ai pu trouver un seul imam qui en ait un, de sorte qu’aucun n’a pu s’enficher ton mamie pour en faire directement l’expérience. Mais j’ai quand même eu un entretien avec le cheikh Al-Hadj Muhammad ibn Abdurrahman qui dirige la prière à la mosquée de Chimaal. »

Abou Adil me fixa avec des yeux ronds. La mosquée de Chimaal était la plus vaste et la plus puissante congrégation de cette cité. Les déclarations de son clergé avaient souvent force de loi.

Je bluffais, bien entendu. Je n’avais jamais mis le pied dans la mosquée de Chimaal. Et je venais à l’instant d’inventer le nom de cet imam.

Cheikh Reda bredouilla : « De quoi as-tu discuté avec lui ? »

Je souris. « Eh bien, je lui ai fourni une description détaillée de tous tes péchés passés et de tes crimes en projet. Cela dit, il reste une question technique fascinante qui n’a pas encore été éclaircie. Je veux dire, les doyens de la foi n’ont pas encore établi si oui ou non un module mimétique enregistré à partir de la personnalité d’un individu vivant pouvait être admis comme preuve devant un tribunal islamique. Tu sais comme moi qu’un tel mamie est parfaitement fiable, bien plus que toute forme de détecteur de mensonge. Mais les imams, béni soit leur cœur vertueux, ne cessent de débattre de la question. Il peut s’écouler un long moment avant qu’ils n’édictent une règle, mais, encore une fois, il se peut également que tu sois déjà en bien mauvaise posture. »

Je marquai une pause pour lui laisser le temps d’assimiler. Je venais à l’instant d’improviser cet imbroglio juridico-religieux, mais il était entièrement plausible. C’était une question à laquelle l’islam allait bien devoir se frotter, au même titre que la foi avait déjà dû se prononcer sur toutes les autres formes de progrès technique. Il s’agissait simplement de décider en quoi la science de la neuro-amplification se conformait aux enseignements du prophète Mahomet, faveurs et bénédictions divines sur lui.

Abou Adil se trémoussait sur son coussin. Il était manifestement en train de se battre avec deux options également désagréables : détruire le dossier Phénix ou se voir dénoncé aux représentants notoirement implacables de l’Envoyé de Dieu.

Finalement, il laissa échapper un gros soupir. « Écoute ma décision : je t’offre Umar Abdoul-Qawy à ma place. »

J’éclatai de rire. Umar laissa échapper un couinement horrifié. « Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse d’un type pareil ? demanda le demi-Hadj.

— Je suis certain que le mamie t’a appris qu’Umar était à l’origine de la plupart de mes pratiques commerciales les moins honorabies, dit Abou Adil. Sa culpabilité est presque aussi grande que la mienne. J’ai toutefois du pouvoir et de l’influence. Peut-être pas assez pour contenir l’ire de l’ensemble de la communauté islamique de cette cité, mais certainement assez pour la détourner. »

Je fis semblant de réfléchir. « Oui, dis-je avec lenteur, il serait bien difficile de te déclarer coupable.

— Mais pas difficile du tout en ce qui concerne Umar. Cheikh Reda considéra son assistant. Je suis désolé, mon garçon, mais tu ne dois t’en prendre qu’à toi-même. Je suis au courant de toutes tes misérables manigances. Quand je portais le mamie de cheikh Marîd, n’ai-je pas découvert ta conversation avec lui ? Celle au cours de laquelle il a décliné ta proposition de vous débarrasser de moi et de Friedlander bey ? »

Le visage d’Umar était devenu d’une pâleur mortelle. « Mais je n’ai jamais eu l’intention…»

Abou Adil ne semblait pas fâché, simplement très triste. « Croyais-tu vraiment être le premier à avoir eu cette idée ? Où sont tes prédécesseurs, Umar ? Où sont tous les ambitieux jeunes gens qui ont occupé ta fonction ces cent cinquante dernières années ? Presque tous ont comploté contre moi, tôt ou tard. Et tous ont aujourd’hui disparu, oubliés. Tout comme toi bientôt.

— Il faut voir les choses en face, Himmar, persifla Saïed. Tu vas être obligé d’endosser la tunique que tu t’es cousue. Quelle chierie, les dettes, pas vrai ? »

Abou Adil secoua la tête. « Ça me fera de la peine de te perdre, Umar. Je ne t’aurais pas mieux traité si j’avais été ton véritable père. »

J’étais amusé et bien content de voir les événements tourner comme je l’avais prévu. Une citation de roman américain me revint à l’esprit : « Quand on perd un fils, il est toujours possible d’en trouver un autre – mais il n’y aura jamais qu’un faucon maltais. »

Umar, toutefois, n’était pas de cet avis. Il bondit et hurla à Abou Adil. « Plutôt vous voir morts ! Tous ! »

Saïed tira avec le paralyseur avant qu’Umar ait eu le temps de dégainer son arme. Umar s’effondra, pris de convulsions, le visage déformé par une hideuse grimace. Enfin, il ne bougea plus. Il resterait inconscient plusieurs heures ; il s’en remettrait, mais il allait se sentir vraiment mal pendant un bon bout de temps par la suite.

« Eh bien, dit le demi-Hadj, il se ratatine gentiment. »

Abou Adil émit un soupir. « Ce n’est pas ainsi que je voyais se dérouler cet après-midi.

— Vraiment ? dis-je.

— Je dois l’admettre, je t’ai sous-estimé. Désires-tu le prendre avec toi ? »

Je n’avais pas franchement envie de m’encombrer d’Umar car, après tout, je n’avais pas réellement parlé à l’imam. « Non, répondis-je, je crois que je vais le laisser entre tes mains.

— Tu peux être assuré qu’il y aura une justice », dit cheikh Reda. Le regard dont il gratifia son assistant trop rusé donnait froid dans le dos. J’en plaignis presque Umar.

« La justice, dis-je, paraphrasant un dicton arabe, consiste à remettre les choses à leur place. À présent, j’aimerais récupérer mon mamie.