Выбрать главу

— Oui, bien sûr. » Il se pencha au-dessus de la forme inerte d’Umar Abdoul-Qawy et me déposa le module dans la main. « Et prends l’argent.

— Non, je ne crois pas, répondis-je. Par contre, je vais garder le mamie de ta personnalité. Pour garantir ta coopération.

— S’il le faut, dit-il, pas réjoui. Il est bien entendu que j’ai refusé d’abandonner le dossier Phénix.

— C’est entendu. » Puis une idée soudaine me frappa. « J’ai quand même une dernière requête.

— Oui ? » Il était méfiant.

« J’aimerais voir mon nom rayé du fichier, ainsi que les noms de mes parents et amis.

— Bien sûr », dit Abou Adil, heureux que mon dernier vœu soit si facile à exaucer. « Je le ferai avec plaisir. Envoie-moi simplement une liste complète à ta convenance. »

Plus tard, alors que nous regagnions la voiture, Kmuzu et Saïed me congratulèrent. « Une victoire totale, dit le demi-Hadj.

— Non, répliquai-je. J’aurais bien voulu. Abou Adil et Papa détiennent toujours ce fichu dossier Phénix, même si nos noms vont en être retirés. Je me fais l’impression d’avoir troqué la vie de mes amis contre celle d’autres gens innocents. En fait, j’ai dit à cheikh Reda : Vas-y, tue ces autres mecs, je m’en fous.

— Vous avez fait le maximum possible, yaa sidi, dit Kmuzu. Vous devriez en rendre grâce à Dieu.

— Je suppose. » J’éjectai Rex et rendis le mamie à Saïed qui le récupéra avec un grand sourire. On reprit la route de la maison ; Kmuzu et Saïed discutèrent en long et en large des événements récents, mais je gardai le silence, perdu dans mes sombres pensées. Quelque part, je ressentais le goût de l’échec. L’impression d’avoir signé un compromis indigne. L’impression aussi, fort désagréable, que ce ne serait pas mon dernier.

Tard cette nuit-là, je fus réveillé par quelqu’un qui ouvrait la porte de ma chambre. Je levai la tête et vis une femme entrer, vêtue d’un déshabillé moulant.

La femme souleva les couvertures et se glissa dans le lit à mes côtés. Elle me posa une main sur la joue et m’embrassa. Un baiser profond. Je m’éveillai pour de bon. « J’ai persuadé Kmuzu de me laisser entrer », chuchota-t-elle. Surpris, je reconnus Indihar.

« Ah ouais ? Kmuzu ? Et comment t’as fait ?

— Je lui ai dit que je soulagerais ton esprit de sa souffrance.

— Il sait que j’ai des pilules et des logiciels pour ça. » Je roulai sur le flanc pour la dévisager. « Indihar, qu’est-ce que tu fiches ici ? Tu as dit que tu ne coucherais pas avec moi.

— Eh bien, j’ai changé d’avis. » Elle n’avait pas l’air trop enthousiaste. « Me voici. J’ai réfléchi à mon comportement quand… après la mort de Jirji.

— Qu’Allah ait pitié de lui », murmurai-je. Je passai mon bras autour d’elle. Malgré ses efforts pour être brave, je sentais la chaleur des larmes sur son visage.

« Tu as fait beaucoup pour moi, et pour les gosses. »

Gloups. « Et c’est pour ça que t’es ici ? Par reconnaissance ?

— Eh bien… oui. J’ai une dette envers toi.

— Tu ne m’aimes pas, n’est-ce pas, Indihar ?

— Marîd, fit-elle. Ne te méprends pas. Je t’aime bien, mais…

— Mais ça ne va pas plus loin. Écoute, je n’ai pas vraiment l’impression qu’être là ensemble soit une si bonne idée. Tu m’as dit que tu ne coucherais pas avec moi, et j’ai respecté ce désir.

— Papa veut qu’on se marie. » Elle avait dit ça avec une pointe de colère dans la voix.

« Il croit que cela porte le discrédit sur sa maison si nous vivons ensemble autrement. Même si, enfin tu sais, nous ne… dormons pas ensemble.

— Même si mes enfants ont besoin d’un père et qu’ils t’aiment bien, je ne t’épouserai pas, Marîd. Je me fiche de ce que Papa peut penser. »

Pour tout dire, j’avais toujours pensé que le mariage était une chose qui n’arrivait qu’aux autres, comme la mort dans les accidents de la route. Je me sentais toujours l’obligation de m’occuper de la veuve et des enfants de Shaknahyi, et s’il fallait que j’épouse quelqu’un, j’aurais pu tomber plus mal que sur Indihar. Mais malgré tout…

« Je crois qu’il y a des chances que Papa ait oublié tout ça d’ici qu’il soit sorti de l’hôpital.

— Espérons que tu dis vrai. » Elle me donna un autre baiser – chaste, celui-ci, sur la joue – puis se glissa vivement hors de mon lit et regagna sa chambre.

Sous mes airs nobles, je me faisais l’effet d’un beau salaud. Je l’avais rassérénée, mais au tréfonds de moi je doutais fort que Friedlander bey oublierait sa décision. Une seule idée m’obnubilait : Yasmin. Est-ce qu’elle accepterait toujours de sortir avec moi après que j’aurais épousé Indihar ?

Impossible de retrouver le sommeil. Je me tournais et me retournais, emberlificoté dans les draps. Finalement, en désespoir de cause, je me levai et gagnai le bureau. Je m’installai dans le confortable fauteuil en cuir et pris le mamie du Sage Conseiller. Je le contemplai quelques secondes, en me demandant s’il pourrait débrouiller les événements récents. « Bismillah », murmurai-je avant de me l’embrocher.

Audran semblait se trouver dans une ville déserte. Il errait dans les ruelles étroites et encombrées – assoiffé, affamé, épuisé. Au bout d’un moment, il tourna un angle et se retrouva sur une grande place de marché. Les stands et les étals étaient déserts, vides de marchandises. Pourtant, Audran reconnut où il se trouvait. Il était revenu en Algérie. Il cria : « Ohé ? » Il n’y eut pas de réponse. Il se souvint d’un vieux dicton : « Je suis venu sur les lieux de ma naissance et j’ai crié : “Les amis de ma jeunesse, où sont-ils ?” L’écho a répondu : “Où sont-ils ?” »

Il se mit à pleurer de tristesse. Puis un homme parla, et Audran se retourna. Il reconnut en l’homme l’Envoyé de Dieu. « Cheikh Marîd », dit le Prophète, faveurs et bénédictions divines sur lui, « ne me considères-tu pas comme l’ami de ta jeunesse ? »

Et Audran sourit. « Yaa Hazrat, tout homme ne désire-t-il pas ton amitié ? Seulement, mon amour pour Allah emplit si complètement mon cœur qu’il na pas de place pour l’amour ou la haine de quiconque.

— Si cela est vrai, dit le prophète Mahomet, alors tu es béni. Rappelle-toi, cependant, que ce verset a été révélé : “Et vous n’atteindrez pas la piété à moins de donner de ce que vous aimez[9] “Qu est-ce que tu aimes le plus, ô cheikh ? »

Je m’éveillai, mais cette fois je n’avais pas de Jirji Shaknahyi pour m’expliquer la vision. Je me demandai quelle pourrait être la réponse à la question du Prophète : le confort, le plaisir, la liberté ? L’idée de renoncer à l’un ou l’autre me répugnait, mais j’avais peut-être intérêt à m’y faire. Ma vie avec Friedlander bey était rarement compatible avec les notions d’aisance et de liberté.

Mais ma vie n’avait pas besoin de recommencer avant le matin. D’ici là, j’avais le problème de passer la nuit. Je me mis en quête de ma boîte à pilules.

вернуться

9

Sourate III, « La Famille d’Amram », verset 92. (N.d.T.)