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– C’est très gentil à vous. La pluie m’a tenu compagnie.

– C’est ce que j’ai vu, j’ai pensé que vous n’aviez ni imperméable ni parapluie.

– Vous avez pensé à ça ?

– Oui.

– Je ne peux pas vous dire pourquoi, mais cela me fait plaisir, vraiment plaisir.

Elle marqua un temps.

– Jonathan, au sujet de notre soirée, je voulais vous dire quelque chose d’important.

Il se redressa sur le lit, serra un peu plus le combiné contre son oreille et retint sa respiration.

– Moi aussi, dit-il.

– Je sais que vous vous êtes retenu de m’en parler, ne dites rien, c’est tout à votre honneur et je comprends votre discrétion, je l’admire même. Je dois avouer que moi-même je ne vous ai pas facilité la tâche, enfin je veux dire que nous avons tourné tous les deux autour de cette question depuis nos premières discussions à la galerie. En vous écoutant ce soir, j’ai acquis une certitude et je crois que Vladimir aurait accepté ma démarche. Je crois même qu’il vous aurait fait confiance, en tout cas, moi j’ai décidé de le faire. On a dû vous monter une enveloppe, je l’ai déposée à la réception de votre hôtel en vous quittant. Elle contient un itinéraire. Louez une voiture et venez me rejoindre demain. J’ai quelque chose d’important à vous montrer, quelque chose que vous aurez plaisir à voir. Je vous attends à midi, soyez ponctuel. Bonsoir Jonathan, à demain.

Elle coupa la communication sans lui laisser le temps de répondre. Jonathan se dirigea vers le petit bureau, prit l’enveloppe et déplia le plan. Il réserva un véhicule pour le lendemain auprès de la réception de l’hôtel et en profita pour demander si aucune télécopie n’était arrivée pour lui. Le concierge répondit qu’une certaine Anna Valton avait cherché à le joindre dans l’après-midi, le seul message qu’elle avait laissé était de le prévenir de son appel. Jonathan haussa les épaules et raccrocha.

Le sommeil l’emporta dès qu’il fut couché et sa nuit fut tourmentée par un rêve étrange. Il déambulait à cheval sur les pavés glissants d’un vieux quartier de Londres. Avançant au pas, il détaillait les passants qui se bousculaient devant une maison dans une grande agitation. Tous portaient un habit d’un autre temps. Pour échapper à la foule qui se massait autour de lui, il se lançait au galop.

Au bout, la ruelle débouchait sur un paysage de campagne. Il ralentit au trot en pénétrant une allée bordée de grands arbres. Une femme qui chevauchait à ses côtés le rejoignit par sa droite. Une pluie fine se mit à tomber. « Vite, vite, dépêchez-vous », supplia-t-elle en relançant sa monture au grand galop.

*

Le réveil téléphoné qu’il avait commandé la veille le tira de son songe. Il quitta l’hôtel Dorchester au volant d’une voiture de location et prit l’autoroute par l’est de la ville. Suivant à la lettre les indications données par l’itinéraire de Clara, il emprunta une bretelle de sortie cent kilomètres plus loin. Une demi-heure plus tard, il naviguait sur une petite route de campagne, se remémorant sans cesse qu’en Angleterre il lui fallait tenir sa gauche. De longues barrières en bois bordaient de vastes plaines. Il repéra la fourche marquée sur le plan et plus loin la taverne qu’elle avait indiquée. Deux virages plus tard, il prit un petit sentier qui s’enfonçait dans la forêt épaisse. Les nids-de-poule ballottaient son véhicule, il ne ralentit pas son allure. Il entraînait dans son sillage de vastes gerbes de boue qui éclaboussaient les bas-côtés, ce qui n’était pas sans l’amuser. Puis le petit chemin s’éclaira sous une rangée de grands arbres. Il s’arrêta devant une grille en fer forgé. De l’autre côté de l’imposant portail, un chemin de graviers dessinait une courbe qui bordait à cent mètres un ravissant manoir anglais. Trois longues marches de pierre cernaient les pourtours de l’esplanade, au-devant de la demeure. Deux grandes portes vitrées encadraient, de chaque côté, l’entrée principale. Clara, en imperméable léger, tenait un sécateur à la main. Elle se dirigea vers un rosier qui grimpait le long du mur et en tailla quelques fleurs aux tonalités blanches. Elle coupa les tiges, huma les corolles, et commença à composer un bouquet. Elle était d’une beauté éblouissante. Le soleil qui jouait à cache-cache perça la fine couche de nuages. Clara laissa aussitôt glisser son imperméable à terre. Le tee-shirt blanc qui la serrait au corps découvrait ses épaules, soulignant ses formes.

Jonathan sortit de la voiture. Quand il s’approcha de la grille, Clara entra à l’intérieur de la demeure. En poussant le portail de sa main gauche, il vit à son poignet la montre qu’Anna lui avait offerte le jour de leurs fiançailles. Devant lui, un rai de lumière dorée entra par la porte-fenêtre du manoir et se répandit sur les parquets blonds du salon. Jonathan resta un long moment immobile avant de prendre une décision dont il savait déjà combien elle lui coûterait. Il retourna sur ses pas, s’engouffra dans la voiture et enclencha la marche arrière. Sur la route qui le ramenait vers Londres, il tapa rageusement sur le volant. Il regarda l’heure au tableau de bord, prit son téléphone portable et appela Peter. Il l’informa qu’il le rejoignait directement à l’aéroport et le pria de prendre son bagage dans sa chambre, puis il contacta British Airways et confirma sa réservation.

En route, son humeur était sombre, non à cause du rêve brisé de voir ce tableau qu’il avait attendu depuis tant d’années, mais parce qu’une idée l’obsédait. Plus les kilomètres l’éloignaient du manoir, plus la présence de Clara qu’il fuyait s’imposait à lui. En arrivant à Heathrow, il s’avoua la seule vérité qui s’imposait. Clara lui manquait.

5.

Peter trépignait en faisant les cent pas dans la salle d’attente. Si le vol pour Boston n’avait pas de retard, Jonathan serait chez lui en fin d’après-midi.

– Qu’est-ce que tu n’as pas compris ? demanda Jonathan.

– Vingt ans que tu m’entraînes dans tes congrès, que nous arpentons des couloirs de bibliothèques à éplucher des tonnes d’archives à la recherche du moindre indice qui te permettrait d’éclaircir le mystère de ton peintre, vingt ans que nous parlons de lui presque quotidiennement, et tu as renoncé à savoir si ce tableau existait ?

– Il n’y avait probablement pas de cinquième tableau, Peter.

– Comment le sais-tu puisque tu n’es pas entré dans ce château ? Il me le faut, Jonathan, j’en ai besoin pour que mes associés ne me virent pas. J’ai l’impression d’être enfermé dans un aquarium dont les parois rétrécissent à l’eau.

À Londres, Peter avait pris des risques énormes. Il avait réussi à convaincre le conseil de retarder l’impression du catalogue de la prestigieuse maison, ce qui revenait à envoyer un signal fort au monde de l’art, autant annoncer qu’un coup d’éclat se préparait. Ces ouvrages périodiques faisaient référence et leur contenu engageait la réputation de la célèbre institution qui l’employait.

– Rassure-moi, tu ne t’es pas avancé auprès d’eux, quand même ?

– Après ton appel de ce matin, où tu m’as rapporté ta conversation et ton départ précipité à la campagne, j’ai contacté le président de notre bureau de Londres.

– Tu n’as pas fait ça ? demanda Jonathan sincèrement inquiet.

– Nous sommes samedi, je l’ai appelé chez lui ! geignit Peter en enfouissant sa tête au creux de ses mains.

– Qu’est-ce que tu lui as dit ?

– Que je m’engageais personnellement et que, s’il me faisait confiance, cette vente serait l’une des plus grandes de la décennie.

Peter n’avait pas eu tort. Si Jonathan et lui avaient révélé la dernière œuvre de Vladimir Radskin, les acheteurs des plus grands musées seraient venus préempter à sa vente malgré les offres des grands collectionneurs. Jonathan aurait offert à son vieux peintre le renom dont il rêvait pour lui depuis toujours et Peter serait redevenu l’un des commissaires-priseurs les plus « prisés » du moment.