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— Description du tireur ?

Novak écrasa sa cigarette, les yeux fermés comme s’il psalmodiait la même histoire depuis des heures :

— La trentaine, corpulence mince. Un pèse-peu : le guignol a eu du mal à béquiller la Harley. Blue-jean et bottes, genre santiags avec le talon biseauté. Un intégral MAX noir avec un autocollant derrière, un drapeau confédéré. Blouson flight.

— Description du blouson, articula Schneider.

Novak conserva les yeux fermés :

— Pas neuf. Cuir marron épais. Il y a de la fourrure au col et aux manches. Dans le dos, il y a un greffier à cheval sur une bombe. Fritz-Ze-Cat. Un truc dans ce goût-là.

— Fritz-Ze-Cat ou pas Fritz-Ze-Cat ?

Novak ouvrit les yeux en pleins phares.

— Fritz-Ze-Cat.

Schneider se pencha sur l’interphone :

— Charlie, vous venez ?

Le jeune flic fit irruption aussitôt. Il tordit le nez : la pièce empestait le gasoil et le chien mouillé.

— Vous passez une diffusion régionale urgente. Tout est dans la machine.

Schneider se leva presque d’un bond. Il était visiblement saisi d’une violente envie de pisser, urgente elle aussi. Schneider était encore beaucoup trop jeune pour souffrir de la prostate. Charles Catala diagnostiqua aussitôt : amphétamines.

Marina avait aperçu la petite Austin vert anglais qui surgissait comme une bombe dans l’allée. Elle était venue se ranger presque au ras du perron dans un crissement de freins rageur. La portière du conducteur avait produit comme un coup de feu étouffé en se refermant. Sans se pencher, elle avait vu Cheroquee se diriger à grandes enjambées vers le perron, dont elle avait escaladé les marches d’un pas rapide et décidé, le front levé comme si elle cherchait à apercevoir quelqu’un à l’étage. Elle avait un sac de voyage à la main. Marina avait soupiré doucement. Elle savait exactement ce que ça signifiait : Cheroquee s’était encore disputée et le motif n’était pas difficile à deviner.

La jeune femme avait disparu sans crier gare en laissant son petit ami comme un con.

Marina avait presque envie de rire.

Brusquement, le vent avait molli. La pinède ne ronronnait plus que comme une grosse chatte assoupie au coin du feu. De l’ouest venaient toujours de grands bancs de nuages qui n’avaient plus l’air de menacer personne.

Bonne année, bonne santé.

Elles étaient amies depuis presque vingt ans. Elles avaient connu des joies et des peines, des jours avec et des jours sans. Elles aimaient les mêmes musiques, les rocks des années soixante, les mêmes comédiens, elles utilisaient la même marque de balles de tennis. Il n’y avait jamais eu la moindre ombre, la moindre jalousie, la plus petite défiance entre elles deux. Elles se tenaient de part et d’autre du comptoir au milieu de la cuisine. Elles avaient le même café dans une chope entre les doigts. Une seule différence : Marina buvait le sien à grands traits, afin de faire passer la migraine à coups de Dafalgan. Tout au long de la nuit, elle avait pris une caisse de compétition. À aucun moment, Tom n’était descendu de son bureau où il s’était bouclé peu après le départ de Schneider. La jeune femme pointa l’index en direction de son propre front :

— Casque en plomb. La locomotive et les Indiens. Même les bisons. C’est toujours le lendemain qu’on regrette.

— Le con, jubilait encore Cheroquee. Moi je ne regrette pas. Quand je suis rentrée, le crétin tambourinait déjà à ma porte depuis un moment. Il a tout de suite commencé à me crier dessus. J’ai voulu rentrer, il m’a bousculée. On a déjà failli une première fois se battre sur le palier. Il a manqué me mettre sur la figure avec son extractible, tellement il était fumasse.

Elle hocha la tête.

— Brusquement, il a essayé de me tripoter. C’est là que j’ai ouvert le feu. Je ne sais pas ce qui s’est passé au juste, mais à un moment le Pioneer a volé dans l’escalier.

Elle savait parfaitement : d’un puissant revers du gauche, son poing avait arraché le poste des doigts de l’adversaire. L’objet avait alors décrit une courte parabole ondoyante et futile avant d’aller s’écraser au sol en jetant des pièces partout dans un rayon d’un bon mètre carré. L’image lui arracha un sourire de contentement.

— Il est descendu porter secours à son Pioneer, mais c’était déjà trop tard. J’en ai profité pour me boucler chez moi. Il est revenu tambouriner à la porte, avec les poings et les pieds. Il gueulait qu’à cause de moi, le portable était mort et qu’il allait m’envoyer la facture. Que je n’étais qu’une putain et qu’il allait me casser la gueule. Je lui ai braillé qu’il pouvait toujours essayer.

Malgré son mal de crâne, Marina rit.

— Au bout d’un moment, il s’est calmé. Je suis restée à guetter derrière la porte, puis j’ai fini par l’entendre descendre. Je l’ai vu sortir et démarrer en crabe. À l’accélération, les pneus ont fumé sur au moins dix mètres. Il a bien dû laisser deux centimètres de gomme par terre. Tu te rends compte, des SP Sport.

Elle rit et déballa franchement :

— On est férié. Je connais l’animal. Chez moi, il va revenir me faire chier toute la journée. Je ne peux pas me le permettre, demain je bosse à six heures. (Elle se rembrunit soudain.) Je pourrais aller chez mon père, mais je ne voudrais pas trop qu’il sache.

— Qu’il sache quoi ?

— Entre Francis et moi, c’est fini.

— Depuis quand ?

— Depuis cette nuit, déclara Cheroquee d’un ton bref.

Elles étaient amies, mais elle ne pouvait tout avouer : depuis qu’elle avait vu Schneider. Depuis l’instant où elle avait vu ses grandes mains sur le piano. Depuis qu’ils s’étaient embrassés dans la voiture. À l’instant même où elle avait aperçu sa silhouette immobile et son regard braqué sur elle, elle avait su instantanément que c’était l’homme de sa vie. Elle ne l’avait jamais vraiment attendu, mais elle savait que c’était lui et qu’il n’y en aurait pas d’autre.

Elles gardèrent le silence, puis Cheroquee sourit en montrant un petit bout de langue.

— Je suis crevée. J’ai froid et j’ai du sable sous les paupières. Je suis une petite animale sympa qui a besoin de beaucoup de sommeil. Je sais qu’ici, il n’osera jamais venir. Tu aurais un coin pour moi, un bout de divan ?

— Tu as une chambre, en haut.

Elles ne tardèrent pas à monter. Subitement, Cheroquee fut à bout de force. Elle ne savait plus trop si elle avait envie de pleurer ou de rire. Elle prit rapidement une douche et se changea. On suivait ses vêtements à la trace. Elle avait les jambes nues et enfilé seulement un long sweat en coton rose délavé que Marina avait l’impression de lui avoir toujours connu. Les deux jeunes femmes n’avaient aucun secret l’une pour l’autre. Elles avaient passé des heures à se rôtir recto verso, nues au bord de la piscine. En remontant la couette sous son menton, Cheroquee rit :

— Au fond, je suis un être simple. (Elle se redressa, bombarda l’oreiller de coups de poing pour bien faire son trou.) J’aime dormir. Je suis rien qu’une bonne grosse chatte. Une grosse chatte qui peut dormir des jours entiers en rond devant le feu, à ronronner. Pour peu qu’on lui foute la paix.

À la porte, Marina gardait le silence.

Puis, en éteignant la lumière, juste au moment de refermer, elle l’avertit comme à regret en trois phrases aussi courtes que possible, d’une voix sourde et crispée, sur un rythme ternaire et lent. Un rythme de valse triste. Elle dit seulement :