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— Dans le périmètre de la casse, sous la neige, précisa Dumont.

La neige était une variable dont Schneider se serait bien passé. Parfaite pour les cartes de Noël, beaucoup moins pour les opérations de police. La météo n’annonçait aucune amélioration sensible dans les prochaines heures. Inutile de compter sur l’appoint des hélicoptères de la gendarmerie. Il restait la possibilité de repasser l’enfant au groupe de répression du banditisme, mais rien n’indiquait, vu les conditions météo, qu’il arriverait à temps. Rien n’indiquait non plus que le GRB accepterait de prendre le train en marche, ni même seulement qu’il prît au sérieux les éléments dont Schneider disposait.

Dans leur amertume atavique, les flics se méfient comme de la peste des cadeaux qui semblent tombés du ciel.

— Sous la neige, se répéta Schneider, pensif. Pas question d’opérer une reconnaissance. On a le lieu d’arrivée et son heure probable. On a les protagonistes. Pour des raisons de sécurité, la casse est entourée d’un double rang de grillage de trois mètres de haut. Elle est éclairée jour et nuit par des pylônes à halogènes.

De loin, la nuit, la casse ressemblait à un immense terrain de foot hérissé de squelettes en fer. La question était simple : on y va ou on n’y va pas. On n’y va pas, l’opération a lieu, Bubu enfouille les lingots. Aucune trace ou indice, sinon le long vagissement de la presse le lendemain matin, ce qui, en soi, ne constitue même pas un commencement de preuve. Seuls Schneider et ses hommes étaient au courant de l’existence de la cassette, qui pouvait aussi bien finir à l’incinérateur. Tout se passait entre voyous et le dégât social pouvait passer pour négligeable. Compte tenu des risques réels de fusillade s’il intervenait, personne ne pourrait jamais reprocher à Schneider d’avoir regardé ailleurs.

Personne sauf Schneider.

Charles Catala commença la distribution des chopes de café.

Schneider remercia, les yeux dans le vague. Il se tenait à la porte du C-47 et regardait le sol défiler sous les ailes de l’avion et la petite ombre cruciforme, obstinée, qu’il traînait en bas, bondissant derrière lui de butte en butte, sombrant de ravine en ravine pour reparaître tout aussitôt. Un sol sec et caillouteux, balafré parfois par le lit gris et vide d’un oued, semé ici ou là de buissons de lentisques, de touffes d’épineux et de maigres arbousiers. C’est là-bas que Schneider avait laissé son âme. Il lui revint le feu vert qui s’allumait au-dessus de la porte, le klaxon, et la brève ivresse du saut, comme un brusque silence dans les grands remous d’air des hélices. Le coup brutal de la sangle automatique dans le dos, puis la corolle blanche ouverte au-dessus de la tête plaquée contre le bleu de porcelaine du ciel.

Schneider dit brusquement à Dumont :

— Trouvez-moi un plan détaillé de la casse. Müller, prenez contact avec les gens d’EDF. Je veux savoir de quel transformateur elle dépend.

Le coup était parti. Schneider était redevenu le chef de commando qu’il n’avait peut-être jamais cessé d’être. Il était clairement conscient des risques. Il n’ignorait pas qu’il pourrait y avoir mort d’homme. Il était conscient qu’il ne disposait pas d’hommes entraînés et aguerris : il s’agissait de policiers et non de soldats. Il savait qu’il ne disposait même pas des effectifs suffisants. Néanmoins, il savait qu’il fallait qu’il y aille.

Frêles esquifs, sans cesse rejetés vers le passé.

Pour la régularité des opérations, de même que par courtoisie, Schneider avait avisé Manière de ce qu’il tramait. Le chef de la Sûreté n’avait soulevé aucune objection. En appui, il avait même mis trois équipages de trois hommes à disposition sous l’autorité de Schneider pour verrouiller l’ensemble du périmètre. De même, Schneider avait tenu informé le procureur Gauthier de l’imminence d’un possible flagrant délit impliquant deux bandes de malfaiteurs. Rien ne permettait d’affirmer que les choses auraient lieu, mais rien ne permettait de l’exclure. Il avait obtenu sans coup férir la mise sur écoute judiciaire de la casse. Gauthier avait seulement demandé à être tenu avisé de la suite des événements et pas un mot n’avait été échangé à propos de l’entrevue de la veille.

Si l’on exceptait Schneider, personne n’avait conscience du danger que représentait Bubu à soi tout seul. Bubu faisait partie des meubles. Il passait même à plus ou moins bon droit pour un homme rangé et une sorte de juge de paix local. On avait oublié ses débuts mouvementés chez M. Lafont, rue Lauriston. Beaucoup de gens en ville avaient oublié les services qu’ils avaient rendus à l’occupant. Dumont avait récupéré un plan détaillé de la casse et un ingénieur EDF était passé au milieu de l’après-midi. Il était techniquement possible d’isoler le secteur de toute alimentation électrique, du moins un certain temps. Une heure suffisait à Schneider. Une heure durant laquelle, plus rien ne fonctionnerait dans la casse, ni les barrières ni les gâches et rideaux électriques, plus de serrure ni de pupitre de commande de la presse et des grues. Tout serait entièrement paralysé.

On mettrait ça sur le compte de la neige. On lui avait donc promis son heure.

Une bonne partie de l’après-midi avait été consacrée à l’organisation du dispositif. Qui allait surveiller qui et depuis où. Qui allait barrer quoi. Qui se trouverait en première ligne et qui demeurerait en appui. Les Algeco à usage de bureau se trouvaient au milieu de la casse, en face de la presse hydraulique. Il fallait impérativement isoler cette zone, le reste étant constitué de hangars et de piles de voitures présentant autant de pièges labyrinthiques en cas de poursuite. Il ne voulait pas prendre le risque de la moindre poursuite.

Schneider avait distribué son personnel.

Avec Müller et Charles Catala, il se réservait l’interpellation de Bubu Wittgenstein, qu’il se sentait en mesure de raisonner. Du moins, pensait-il être le seul capable de le faire. Il serait donc en flèche du dispositif et tout devrait se passer en quelques secondes. La Granada arrive, les convoyeurs en descendent. Bubu Wittgenstein sort réceptionner la marchandise, accompagné de ses soldats. Tout ce petit monde se congratule. Le temps de laisser la pression retomber chez l’adversaire, trois voitures de flics déboulent en éventail et crachent leurs troupes. Sommations d’usage. Le saute-dessus classique, précis, efficace. Seul ou accompagné, Bubu comprend qu’il est fait et qu’au fond on n’a pas encore grand-chose à lui reprocher. Il se couche comme un grand en réclamant son avocat à cor et à cri. Les autres suivent son exemple. Moins d’un quart d’heure après, tout est bordé. Interpellation, palpation de sécurité, garde à vue. Personne n’a ouvert le feu sur personne. Les deux mallettes en alu sont dans le coffre de la voiture.

La seule inconnue : la neige qui pouvait tout foutre en l’air.

La neige et Bubu — qui pouvait tout aussi bien décider de ne pas se coucher.

Le soir, Cheroquee vint le récupérer. Sans les chercher, elle avait trouvé les comprimés dans l’armoire de toilette de Schneider. Amphétamines. Elle savait le risque qu’elles présentaient, notamment en matière de passage à l’acte. Elle n’en avait rien dit, mais depuis, elle le surveillait comme le lait sur le feu.

Il lui proposa de l’emmener dîner au Pré aux clercs. Elle lui demanda s’il venait d’hériter ou bien s’il avait décidé de casser son petit cochon rose. Schneider affirma que la jeune femme était son seul petit cochon rose. Elle lui fit une grimace en agitant le derrière sur sa chaise. Elle était très capable d’exprimer beaucoup de choses impertinentes et sensuelles avec une grande économie de moyens.