Et, malgré la bise qui passe
Et leur jette en vain ses frissons,
Ils répètent à voix très basse
Leurs plus amoureuses chansons.
Ainsi, ma mignonne adorée,
Mon cœur où rien ne remuait,
Avant de t’avoir rencontrée,
Comme un sépulcre était muet;
Mais quand ton cher regard y tombe,
Aussi pur qu’un premier beau jour,
Tu fais jaillir de cette tombe
Tout un essaim de chants d’amour.
Avril
Lorsqu’un homme n’a pas d’amour,
Rien du printemps ne l’intéresse;
Il voit même sans allégresse,
Hirondelles, votre retour;
Et, devant vos troupes légères
Qui traversent le ciel du soir,
Il songe que d’aucun espoir
Vous n’êtes pour lui messagères.
Chez moi ce spleen a trop duré,
Et quand je voyais dans les nues
Les hirondelles revenues,
Chaque printemps, j’ai bien pleuré.
Mais, depuis que toute ma vie
A subi ton charme subtil,
Mignonne, aux promesses d’Avril
Je m’abandonne et me confie.
Depuis qu’un regard bien-aimé
A fait refleurir tout mon être,
Je vous attends à ma fenêtre,
Chères voyageuses de Mai.
Venez, venez vite, hirondelles,
Repeupler l’azur calme et doux,
Car mon désir qui va vers vous
S’accuse de n’avoir pas d’ailes.
Mai
Depuis un mois, chère exilée,
Loin de mes yeux tu t’en allas,
Et j’ai vu fleurir les lilas
Avec ma peine inconsolée.
Seul, je fuis ce ciel clair et beau
Dont l’ardent effluve me trouble,
Car l’horreur de l’exil se double
De la splendeur du renouveau.
En vain j’entends contre les vitres,
Dans la chambre où je m’enfermai,
Les premiers insectes de Mai
Heurter leurs maladroits élytres;
En vain le soleil a souri;
Au printemps je ferme ma porte
Et veux seulement qu’on m’apporte
Un rameau de lilas fleuri;
Car l’amour dont mon âme est pleine
Retrouve, parmi ses douleurs,
Ton regard dans ces chères fleurs
Et dans leur parfum ton haleine.
Juin
Dans cette vie ou nous ne sommes
Que pour un temps si tôt fini,
L’instinct des oiseaux et des hommes
Sera toujours de faire un nid;
Et d’un peu de paille ou d’argile
Tous veulent se construire, un jour,
Un humble toit, chaud et fragile,
Pour la famille et pour l’amour.
Par les yeux d’une fille d’Ève
Mon cœur profondément touché
Avait fait aussi ce doux rêve
D’un bonheur étroit et caché.
Rempli de joie et de courage,
À fonder mon nid je songeais;
Mais un furieux vent d’orage
Vient d’emporter tous mes projets;
Et sur mon chemin solitaire
Je vois, triste et le front courbé,
Tous mes espoirs brisés à terre
Comme les œufs d’un nid tombé.
Août
Par les branches désordonnées
Le coin d’étang est abrité,
Et là poussent en liberté
Campanules et graminées.
Caché par le tronc d’un sapin,
J’y vais voir, quand midi flamboie,
Les petits oiseaux pleins de joie
Se livrer au plaisir du bain.
Aussi vifs que des étincelles,
Ils sautillent de l’onde au sol,
Et l’eau, quand ils prennent leur vol,
Tombe en diamants de leurs ailes.
Mais mon cœur lassé de souffrir
En les admirant les envie,
Eux qui ne savent de la vie
Que chanter, aimer et mourir!
Décembre
Le hibou parmi les décombres
Hurle, et Décembre va finir;
Et le douloureux souvenir
Sur ton cœur jette encor ses ombres.
Le vol de ces jours que tu nombres,
L’aurais-tu voulu retenir?
Combien seront, dans l’avenir,
Brillants et purs; et combien, sombres?
Laisse donc les ans s’épuiser.
Que de larmes pour un baiser,
Que d’épines pour une rose!
Le temps qui s’écoule fait bien;
Et mourir ne doit être rien,
Puisque vivre est si peu de chose.
III
En faction
Sur le rempart, portant mon lourd fusil de guerre,
Je vous revois, pays que j’explorais naguère,
Montrouge, Gentilly, vieux hameaux oubliés
Qui cachez vos toits bruns parmi les peupliers.
Je respire, surpris, sombre ruisseau de Bièvre,
Ta forte odeur de cuir et tes miasmes de fièvre.
Je vous suis du regard, pauvres coteaux pelés,
Tels encor que jadis je vous ai contemplés,
Et dans ce ciel connu, mon souvenir s’étonne
De retrouver les tons exquis d’un soir d’automne;
Et mes yeux sont mouillés des larmes de l’adieu.
Car mon rêve a souvent erré dans ce milieu
Que va bouleverser la dure loi du siège.
Jusqu’ici j’allongeais la chaîne de mon piège;
Triste captif, ayant Paris pour ma prison,
Longtemps ce fut ici pour moi tout l’horizon;
Ici j’ai pris l’amour des couchants verts et roses;
Penché dès le matin sur des papiers moroses,
Dans une chambre où ma fantaisie étouffait,
C’est ici que souvent, le soir, j’ai satisfait,
À cette heure où la nuit monte au ciel et le gagne,
Mon désir de lointain, d’air libre et de campagne.
Me reprochera-t-on, dans cet affreux moment,
Un regret pour ce coin misérable et charmant?
Car il va disparaître à tout jamais. Sans doute,
Les boulets vont couper les arbres de la route;
Et l’humble cabaret où je me suis assis,
Incendié déjà, fume au pied du glacis;
Dans ce champ dépouillé, morne comme une tombe,
Il croule, abandonné. Regardez. Une bombe
A crevé ces vieux murs qui gênaient pour le tir:
Et, tels que mon regret qui ne veut pas partir,
Se brûlant au vieux toit, quelques pigeons fidèles
L’entourent, en criant, de leurs battements d’ailes.
Le chien perdu
Quand on rentre, le soir, par la cité déserte,
Regardant sur la boue humide, grasse et verte,
Les longs sillons du gaz tous les jours moins nombreux,
Souvent un chien perdu, tout crotté, morne, affreux,
Un vrai chien de faubourg, que son trop pauvre maître
Chassa d’un coup de pied en le pleurant peut-être,
Attache à vos talons obstinément son nez
Et vous lance un regard si vous vous retournez.
Quel regard! long, craintif, tout chargé de caresse,
Touchant comme un regard de pauvre ou de maîtresse,
Mais sans espoir pourtant, avec cet air douteux
De femme dédaignée et de pauvre honteux.
Si vous vous arrêtez, il s’arrête, et, timide,
Agite faiblement sa queue au poil humide.
Sachant bien que son sort en vous est débattu,
Il semble dire: – Allons, emmène-moi, veux-tu?
On est ému, pourtant on manque de courage;
On est pauvre soi-même, on a peur de la rage,
Enfin, mauvais, on fait la mine de lever
Sa canne, on dit au chien: «Veux-tu bien te sauver!»
Et, tout penaud, il va faire son offre à d’autres.
La sinistre rencontre! et quels temps sont les nôtres!
Et quel mal nous ont fait ces féroces Prussiens,
Que les plus pauvres gens abandonnent leurs chiens
Et que, distrait du deuil public, il faille encore
Plaindre ces animaux dont le regard implore!