Mais je regrette qu’il n’ait pas filé, pensa Nick. Ses doigts tambourinèrent nerveusement sur son bureau.
Brennan se trouvait tout seul dans un petit espace.
Quelle traversée ! L’intrus avait sauté au-dehors avec le ballon qui contenait Brennan et il avait utilisé son pistolet à réaction. Ils avaient plané pendant une vingtaine de minutes. Lorsqu’ils atteignirent la capsule arrière, Brennan était au bord de l’asphyxie.
Il se rappelait que l’étranger avait promené sur la coque un outil à tête plate, puisqu’il les avait tirés tous les deux à travers une surface visqueuse qui ressemblait un peu à du métal. L’étranger avait alors défait la glissière du ballon avant de sauter et de disparaître par le mur pendant que Brennan continuait à faire des culbutes dans l’air sans pouvoir s’arrêter.
L’air avait la même saveur que celui de la cabine, mais son odeur spéciale était beaucoup plus forte. Brennan l’aspira par grandes secousses. L’intrus avait laissé le ballon : il flottait comme un fantôme translucide, à la fois menaçant et engageant, et Brennan se mit à rire ; ce fut un son douloureux, presque un sanglot.
Il commença à regarder autour de lui.
La lumière était plus verte que les tubes solaires dont il avait l’habitude. Le seul espace dégagé était celui où il flottait, aussi spacieux que le système de survie de son monoplace. Sur sa droite, il y avait un certain nombre de caisses plutôt carrées en une matière proche du bois, assurément un végétal quelconque. À sa gauche, un objet solide, massif, rectangulaire était recouvert d’un couvercle. Au-dessus et autour de lui, le mur incurvé.
Il ne s’était donc pas trompé. Il s’agissait bien d’une cale pour du fret. Mais la moitié de l’espace dans cette cale en forme de larme lui était encore interdite.
Et, partout dans l’air, une odeur particulière comme un parfum inconnu. L’odeur dans le système de survie avait été une odeur animale, celle de l’intrus. Celle-ci était différente.
Au-dessous de lui, sous un filet de texture grossière, il aperçut des objets qui ressemblaient à des racines jaunes et qui occupaient presque toute la place visible de la cale. Brennan sauta vers eux et entortilla ses doigts dans le filet pour les regarder de plus près.
L’odeur devint terriblement plus forte. Il n’avait jamais senti, imaginé, supposé quelque chose de semblable.
Ils avaient bel et bien l’air de racines jaune pâle : un mélange de patate douce et de racine épluchée d’un petit arbre. Ils étaient courtauds, larges, fibreux, pointus à une extrémité, aplatis à l’autre. Brennan passa deux doigts à travers le filet, en saisit un, essaya de le tirer hors du filet, ne réussit pas.
Il avait pris son petit déjeuner juste avant l’arrivée de l’intrus à sa hauteur. Pourtant, sans avoir eu de crampes d’estomac prémonitrices, il se découvrit subitement une faim de loup. Ses lèvres se retroussèrent et, avec ses doigts, il creva le filet pour atteindre les racines. Pendant plusieurs minutes, il s’efforça d’en extraire une à travers des trous trop petits. Furieux, il tira de toutes ses forces sur le filet, mais le filet résistait à la force humaine, bien que les ongles de Brennan l’eussent percé. De frustration, il cria. Et ce cri le ramena à la raison.
Et s’il réussissait à en sortir une ? Que ferait-il ?
IL LA MANGERAIT ! Sa bouche saliva.
Et elle le tuerait. Une plante inhumaine d’un monde inhumain, une plante qu’une espèce inhumaine considérait probablement comme un aliment. Il ferait mieux de penser à quitter sa prison.
Cependant, ses doigts continuaient à s’accrocher au filet. Brennan se força à s’éloigner. Il avait faim. Les fragments de son scaphandre spatial avaient disparu ; ils étaient restés dans la cabine de l’intrus, y compris les biberons d’eau et de sirop nutritif dans son casque. Y avait-il de l’eau ici ? Pourrait-il s’y fier ? L’intrus devinerait-il qu’il était habitué à de l’hydrogène mêlé d’oxygène ?
Que ferait-il pour manger ?
Il devait sortir d’ici.
Le sac en plastique. Il le pêcha dans l’air et l’examina. Il trouva le moyen de le fermer et de le rouvrir, mais de l’extérieur. Merveilleux. Mais… Oui ! Il pourrait tourner le sac à l’envers, le fermer par conséquent de l’intérieur. Et ensuite ?
Il ne pourrait pas se déplacer dans ce sac en plastique. Pas de mains. Même dans son propre scaphandre, le risque aurait été trop grand de franchir une douzaine de kilomètres d’espace sans système autonome de survie. Et de toute façon, il ne pouvait pas traverser le mur.
Il fallait cependant distraire son estomac de la faim qui le tenaillait.
Soit. Pourquoi le fret de la cale était-il si précieux ? Comment se pouvait-il que sa valeur fût supérieure à celle du pilote qui devait le faire parvenir à destination ?
Après tout, il serait peut-être intéressant de voir ce qu’il y a d’autre ici.
La masse solide rectangulaire était une matière brillante sans température. Brennan trouva assez facilement la poignée, mais il ne put la bouger. Puis l’odeur des racines se livra à une attaque concertée sur son appétit, et il cria en tirant de toutes ses forces avec une rage meurtrière. La poignée joua enfin : elle avait été construite pour la vigueur d’un Intrus.
Le coffre était rempli de graines. Des graines aussi grosses que des amandes, gelées dans une matrice de glace, extrêmement froides. Il en détacha une avec des doigts qui s’engourdissaient. L’air autour de lui se teintait de la couleur de la fumée d’une cigarette quand il referma le couvercle.
Il porta la graine à sa bouche, la réchauffa avec sa salive. Elle était insipide elle n’avait qu’un goût de froid ; il la cracha.
Bon. Une lumière verte et un air très odoriférant, bizarre. Mais un air qui n’était pas trop raréfié ; quant à la lumière, elle était claire et revigorante.
Si le système de survie de l’Intrus plaisait à Brennan, la Terre ne déplairait pas à l’intrus. Il avait apporté des cultures à replanter, aussi. Des graines, des racines, et… quoi d’autre ?
À coups de pied, Brennan se dirigea vers les caisses à claire-voie. Toute la force de ses reins et de ses jambes ne suffirait pas à en disjoindre une du mur. Du ciment adhésif ? Pourtant un couvercle se souleva dans un grand craquement. Aucun doute : il avait été collé sur la caisse ; le bois avait été arraché. Brennan se demanda de quel étrange végétal il provenait.
À l’intérieur, il vit un sac en plastique cacheté. Du plastique ? On aurait dit une robuste pochette commerciale de sandwich qui se serait ridée avec l’âge. Au toucher, l’intérieur donnait l’impression qu’il s’agissait d’une poudre fine si bien emballée qu’elle paraissait solidifiée. Il voyait très mal à travers le plastique.
Brennan, flottant près des caisses, une main fixée sur le couvercle arraché, réfléchit.
Un pilote automatique, évidemment. L’intrus n’était que le second du pilote automatique : peu importait ce qui pouvait lui arriver, puisqu’il n’était qu’un élément de sécurité. Le pilote automatique conduirait cette récolte à bon port.
Vers la Terre ? Mais une récolte, cela voulait dire d’autres Intrus, qui suivraient.
Il fallait qu’il avertît la Terre.
Bravo. Bonne idée. Comment ?
Brennan se moqua de lui-même. Un homme avait-il jamais été pareillement pris au piège ? L’intrus le détenait. Brennan, homme libre et Zonier, s’était laissé convertir en bien meuble. Son éclat de rire s’éteignit dans un désespoir.
Le désespoir était une erreur. L’odeur des racines l’avait attendu pour se jeter sur lui.