… Ce fut la souffrance qui l’en arracha. Ses mains saignaient de coupures et d’écorchures. Elles avaient des foulures, des ampoules, des meurtrissures. Son petit doigt gauche, extrêmement douloureux, avait adopté un angle étrange et il enflait à vue d’œil. Déboîté ou fracturé. Mais il avait creusé un trou dans le filet, et sa main droite s’empara d’une racine fibreuse.
Il la jeta le plus loin possible et se roula en boule en étreignant ses genoux comme s’il voulait cerner sa souffrance et l’apaiser. Il était furieux, il avait peur. Cette maudite odeur lui avait fait perdre la tête comme s’il n’était rien de plus que le jouet robot d’un enfant !
Il traversa l’espace de la cale comme un ballon de football, toujours étreignant ses genoux ; il pleurait. Il avait faim, il était en colère, il se sentait humilié et l’épouvante le gagnait. L’intrus lui avait desséché l’esprit en le traitant avec autant de dédain. Mais cela était pire.
Pourquoi ? Que voulait faire de lui l’Intrus ?
Quelque chose le heurta en travers de la nuque. Dans un mouvement fluide, Brennan attrapa le missile et mordit dedans. La racine était revenue vers lui sur une orbite de ricochet. Entre ses dents, elle lui parut dure et fibreuse. Elle avait une saveur indescriptible et aussi délicieuse que son odeur.
Dans un dernier moment de lucidité, Brennan se demanda dans combien de temps il mourrait. Il ne s’en soucia pas longtemps. Il mordit plus profondément dans la racine et avala.
Phssthpok suivait une chaîne de réponses avec une obstination têtue ; mais derrière chaque réponse se profilaient d’autres questions. Son prisonnier sentait mauvais : une odeur étrange, animale. Il ne faisait pas partie de ceux que Phssthpok était venu chercher. Où étaient-ils donc ?
Ils n’étaient pas venus ici. Les autochtones d’Objectif GO n° 1-3 auraient opposé peu de résistance à des colons, à en juger par l’échantillon qu’il possédait. Mais des protecteurs, de toute façon, les auraient exterminés à titre de précaution. Une autre étoile, alors. Où ?
Les autochtones avaient peut-être suffisamment de connaissances astronomiques pour le lui dire. Avec des vaisseaux comme celui-là, ils étaient même capables d’atteindre les étoiles voisines.
En quête de réponses, Phssthpok plana et sauta vers le véhicule spatial de l’autochtone. C’était un saut d’une heure, mais rien ne pressait Phssthpok. Avec ses magnifiques réflexes, il n’eut même pas besoin de son pistolet à réaction.
Son prisonnier se conserverait. Bientôt Phssthpok serait obligé d’apprendre sa langue pour l’interroger. Entre-temps, il ne ferait aucun mal. Il était trop terrorisé, trop chétif. Plus grand qu’un reproducteur, mais plus faible.
L’astronef captif était petit. Phssthpok ne découvrit guère plus qu’une cabine à système de survie bien à l’étroit, une longue tuyère de propulsion, un réservoir d’hydrogène liquide en forme d’anneau avec un système réfrigérant. Le réservoir toroïdal de combustible était détachable le long de la tuyère de propulsion, il y avait de la place pour plusieurs autres réservoirs. Autour de la bordure du système de survie se trouvaient des fixations pour le fret, des chaînes, des filets pliés à mailles fines et des crochets rétractiles.
Plusieurs crochets retenaient un cylindre en métal léger qui montrait des signes d’érosion. Phssthpok l’examina, puis s’en détourna sans avoir compris sa destination. De toute évidence, ce cylindre n’était pas indispensable au fonctionnement du vaisseau.
Phssthpok ne trouva aucune arme.
En revanche, il trouva des panneaux de visite dans la tuyère de propulsion. En moins d’une heure, il aurait pu construire sa propre tuyère de fusion en zinc cristallisé, s’il avait eu les matériaux pour le faire. Il fut impressionné. Les autochtones n’étaient-ils pas plus intelligents qu’il ne l’avait supposé, ou plus chançards ? Il passa par la porte ovale pour pénétrer dans la cabine.
Elle comprenait un siège allongé pour les accélérations, des pupitres de commandes qui l’entouraient en fer à cheval, un espace derrière le siège assez dégagé pour permettre de se mouvoir tout autour, une cuisine automatisée qui faisait partie du fer à cheval, et des attaches pour des organes sensoriels de types fréquemment utilisés dans les actions belliqueuses des Pak. Mais ce n’était pas un vaisseau de guerre. Les sens des autochtones devaient être moins fins que ceux des Pak. Derrière la cuisine, Phssthpok vit des machines et des réservoirs de fluides qu’il examina avec un grand intérêt.
Si ces machines étaient bien agencées, Objectif GO n° 1-3 serait donc habitable. Très habitable. Un peu lourd, à la fois en air et en pesanteur. Mais il aurait paru irrésistible à un peuple ayant voyagé pendant cinq cent mille ans.
Si ce peuple était arrivé là, il s’y serait arrêté.
Voilà qui réduisait de moitié la zone de recherches de Phssthpok. Par rapport à l’endroit où il se trouvait, son objectif devait se situer vers l’intérieur, du côté du noyau de la galaxie. Ils n’étaient sûrement pas allés plus loin.
Le système de survie déconcerta beaucoup Phssthpok. Il y trouva des choses incompréhensibles – qu’il ne comprendrait jamais.
La cuisine, par exemple. Dans l’espace, le poids était un facteur d’importance. Les autochtones auraient certainement pu fabriquer des aliments légers, synthétiques au besoin, capables de nourrir indéfiniment le pilote et de le maintenir en bonne santé. Songeant à tous les astronefs qu’il avait aperçus, il se dit qu’ils auraient réalisé de grosses économies en efforts et en consommation de combustible. Eh bien, non ! Ils préféraient emporter toute une variété d’aliments pré-empaquetés ainsi qu’une machine compliquée pour les sélectionner et les préparer. Ils avaient choisi de refroidir ces denrées pour éviter leur décomposition, plutôt que de les réduire en poussière. Pourquoi ?
Et puis, ces images. Phssthpok comprenait les photographies, de même que les graphiques et les cartes. Mais les trois œuvres d’art sur la cloison arrière n’avaient rien de commun avec cela. C’étaient des dessins au fusain. L’un représentait la tête d’un autochtone qui ressemblait à son prisonnier, mais avec une houppe plus longue et une pigmentation bizarre autour des yeux et de la bouche ; les autres personnages devaient être des exemplaires plus jeunes de la même espèce si désagréablement proche de Pak. On ne voyait que les têtes et les épaules. Dans quel but ?
En d’autres circonstances, le dessin sur le scaphandre spatial de Brennan aurait pu fournir un indice.
Phssthpok avait remarqué cette illustration, et il l’avait partiellement comprise. Pour des membres d’un sous-groupe de voyageurs de l’espace, il n’était pas inutile de codifier en couleurs vives les scaphandres spatiaux. Les motifs se reconnaissaient de loin. Celui du prisonnier semblait extrêmement compliqué, pas suffisamment cependant pour éveiller la curiosité de Phssthpok.
Car Phssthpok ne comprendrait jamais ni l’art ni le luxe.
Le luxe ? Un reproducteur Pak pourrait apprécier le luxe, mais était trop stupide pour le créer tout seul. Un protecteur n’en avait pas la motivation. Les désirs d’un protecteur se rapportaient tous à la nécessité de protéger sa race.
L’art ? Il y avait eu des dessins et des cartes chez les Pak depuis leur préhistoire. Mais pour la guerre. De toute façon, ce n’est pas par la vue que l’on reconnaît ses êtres chers : ils sentent bon, voilà tout.
Reproduire l’odeur d’un être cher ?
Phssthpok aurait pu avoir cette idée si la peinture sur le torse de Brennan avait été différente. Voilà qui aurait été un concept ! Une méthode pour conserver un protecteur en vie et en service bien après la mort de sa lignée. L’histoire des Pak en aurait été changée. Si seulement Phssthpok avait été dressé pour comprendre l’art figuratif…