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— Je suis trop vieux pour gâcher les années qui me restent en demeurant assis au Struldbrugs’ Club pour attendre la mort. Serrez-moi la main, Nick.

— Hein ? Oui, bien sûr, mais… Aïe ! Bon, vous avez des mains solides. D’ailleurs tous les Terriens sont beaucoup trop musclés.

— Excusez-moi. Je voulais tout simplement vous démontrer que je ne m’étais pas affaibli.

— Démonstration réussie. Pas de faiblesse dans les mains, en tout cas.

— Et nous n’utiliserons pas nos jambes. Où que nous allions, nous ne marcherons pas à pied.

— Vous êtes fou ! Et si votre cœur vous lâche ?

— Il y a de fortes chances pour qu’il me survive longtemps : il est prothétique.

— Vous êtes fou. Complètement fou. Voilà ce que c’est que de vivre au fond d’un puits de pesanteur. La pesanteur empêche le sang d’irriguer le cerveau.

— Je vais vous conduire au téléphone. Il faut que vous versiez votre million de marks avant que les Nations Unies comprennent ou nous allons. »

Phssthpok rêvait.

Il avait dissimulé la capsule de fret sous la poussière fluide de la région de Solis Lacus, qui apparaissait comme un mur ocre de l’autre côté de la coque en twing. Là, ils seraient en sécurité aussi longtemps que durerait le système de survie ; et il durerait longtemps, très longtemps.

Phssthpok restait dans la cale du fret où il pouvait surveiller son prisonnier. Après leur atterrissage, il avait démonté tous les mécanismes de la capsule pour effectuer les réparations et réglages nécessaires. À présent, il ne faisait plus que surveiller son prisonnier.

L’autochtone n’exigeait guère de soins. Il évoluait presque normalement. Il serait un monstre, mais peut-être pas un infirme.

Phssthpok était allongé sur son tas de racines et il rêvait.

Dans quelques semaines, il aurait achevé sa longue tâche… ou il aurait échoué. De toute façon, il pourrait cesser de manger. Il avait vécu assez longtemps pour sa convenance. Bientôt il terminerait sa vie comme il avait failli le faire treize cents ans plus tôt, au cœur de la galaxie…

Il avait vu l’éclair embraser la vallée de Pitchok, et il avait compris le sort qui l’attendait.

Depuis vingt-six ans, Phssthpok était un protecteur. Les enfants qui lui restaient dans la vallée foudroyée par les radiations avaient de vingt-six à trente-cinq ans ; leurs propres enfants avaient des âges qui s’échelonnaient jusqu’à vingt-quatre ans environ. La durée de sa vie dépendrait de ceux qui avaient survécu à la bombe. Il était immédiatement retourné à la vallée pour le savoir.

Il n’y avait plus guère de reproducteurs dans la vallée, mais les rares survivants devaient être protégés. Phssthpok et le reste des familles de Pitchok conclurent une paix dont les clauses stipulaient qu’ils conserveraient la vallée, avec leurs reproducteurs stériles, jusqu’à leur mort et que la vallée reviendrait ensuite à l’Alliance des Mers orientales. Il existait des moyens de neutraliser partiellement les retombées radioactives ; les familles de Pitchok les employèrent. Puis, abandonnant leur vallée et ses survivants aux soins de l’une d’elles, elles s’étaient dispersées.

Les reproducteurs, ayant survécu, avaient tous subi des tests et ils avaient été déclarés essentiellement stériles. « Essentiellement », cela voulait dire que même s’ils avaient des enfants, ceux-ci seraient des mutants : leur odeur serait différente et, sans protecteur pour défendre leurs intérêts, ils mourraient promptement.

Pour Phssthpok, le plus important de ses descendants ayant survécu était le plus jeune, Ttuss, une petite femelle de deux ans.

Le temps lui était mesuré. Dans trente-deux ans, Ttuss atteindrait l’âge du changement. Elle deviendrait un être intelligent, supérieurement cuirassé, avec une peau capable de résister à un couteau de cuivre et une force lui permettant de soulever dix fois son propre poids. Elle serait une combattante idéale, mais elle n’aurait pas à se battre.

Elle cesserait de manger. Elle mourrait, et Phssthpok cesserait de manger. La durée de vie de Ttuss était aussi celle de Phssthpok.

Mais un protecteur pouvait adopter comme descendants toute la race des Pak. Il aurait au moins l’occasion rêvée d’assigner un but à sa vie. Il y avait toujours une trêve pour un protecteur sans enfants puisqu’il n’avait aucune raison de se battre. Et un lieu où il pouvait aller.

La Bibliothèque était aussi vieille que le désert radioactif qui l’entourait. Ce désert ne serait jamais plus recultivé ; tous les mille ans, il était ensemencé de radiocobalt afin que nul protecteur ne pût le convoiter. Les protecteurs pouvaient traverser ce désert ; ils n’avaient pas de gonosomes que détruiraient les particules subatomiques. Les reproducteurs ne le pouvaient pas.

De quand datait la Bibliothèque ? Phssthpok n’en savait rien, et il ne se posa même pas la question. Mais la division réservée aux voyages dans l’espace avait trois millions d’années.

Il se rendit à la Bibliothèque avec un certain nombre de… ne disons pas « d’amis », mais compagnons de misère, anciens membres sans enfants des familles de Pitchok. La Bibliothèque était immense ; un savoir d’au moins trois millions d’années – celui des Pak – s’y trouvait rassemblé, réparti en divisions selon le sujet. Naturellement, le même livre figurait souvent dans plusieurs divisions. Les compagnons de Phssthpok se dispersèrent à l’intérieur, et Phssthpok n’en revit aucun pendant trente-deux ans.

Il passa ce laps de temps dans une grande salle qui était un labyrinthe de rayons chargés de livres du plancher au plafond. Des serviteurs remplissaient régulièrement des coffres de racines de l’arbre de vie. Ils apportaient aussi, un peu au hasard, d’autres aliments tels que de la viande, des légumes, des fruits, tout ce qui pouvait assurer la subsistance de protecteurs sans enfants qui avaient préféré la Bibliothèque à la mort. Les racines de l’arbre de vie composaient une nourriture parfaite pour un protecteur, mais il pouvait manger n’importe quoi.

Et il y avait les livres.

Ils étaient pratiquement indestructibles, ces livres. Ils auraient émergé comme des météores palpitants du centre d’une explosion d’hydrogène en fusion. Ils étaient tous écrits plus ou moins dans la langue moderne, et des bibliothécaires les recopiaient quand le vocabulaire changeait. Dans la salle où Phssthpok s’était installé, il n’y avait que des ouvrages consacrés à l’espace et aux voyages dans l’espace.

La philosophie du voyage dans l’espace avait inspiré divers auteurs. Tous leurs traités semblaient poser un postulat fondamental : un jour, la race des Pak devrait trouver une nouvelle patrie. Partant de là, tout apport aux techniques du vol spatial contribuait à l’immortalité de l’espèce. Phssthpok pouvait envisager cette hypothèse, en sachant qu’un protecteur qui n’y croyait pas, n’écrirait jamais un livre sur ce sujet. Il y avait aussi des rapports sur des vols interstellaires et interplanétaires, des dizaines de milliers, à commencer par le voyage fantastique qu’avait effectué un groupe, trois millions d’années auparavant, à l’intérieur de la roche creusée d’astéroïde et à travers la galaxie pour rechercher des soleils nains jaunes. Il y avait des textes techniques sur tout ce qui pouvait se rapporter à l’espace : engins spatiaux, astrogation, écologie, miniaturisation, physique nucléaire et subnucléaire, pesanteur (et les moyens de s’en servir), astronomie, astrophysique, prospection minière dans les mondes de ce système et des systèmes voisins, diagrammes pour un statoréacteur Bussard hypothétique (dans l’ouvrage inachevé d’un protecteur qui, à mi-chemin, avait perdu son appétit), diagrammes de la propulsion ionique, théorie du plasma, etc.