La planète avait des formes de vie. Certaines étaient hostiles, mais aucune ne posa de problème sérieux. Il y avait de la terre. Les protecteurs restants réveillèrent les reproducteurs et les lâchèrent dans les forêts pour qu’ils soient prolifiques et se multiplient. Ils plantèrent de futures récoltes, creusèrent des mines, construisirent des machines pour en creuser davantage, et d’autres machines pour l’agriculture…
Le ciel nocturne noir, presque sans étoiles, gêna quelques colons, mais ils finirent par s’y habituer. Les pluies fréquentes en contrarièrent d’autres, mais ne nuisirent pas aux reproducteurs, si bien que tout alla pour le mieux. Comme il y avait de la place pour tout le monde, les protecteurs ne se battirent même pas. Aucun ne cessa de manger. Il y avait des prédateurs et des bactéries à exterminer, une civilisation à édifier. Il y avait beaucoup à faire.
Avec le printemps et l’été, arrivèrent les récoltes – et la catastrophe. L’arbre de vie n’en était plus un.
Les colons ne parvenaient pas à comprendre ce qui s’était passé. Une plante avait poussé, et venait bien. Elle avait l’aspect et le goût de l’arbre de vie, mais son odeur n’était pas la bonne. Quant à ses effets sur les reproducteurs et les protecteurs, ils auraient pu aussi bien manger de l’herbe.
Ils ne pouvaient pas retourner dans l’espace. Leur maigre provision de racines représentait un nombre inflexible d’heures de travail des protecteurs. Ils pourraient refaire le plein de leurs réservoirs de césium, ils pourraient même mettre au point une technologie pour produire du plutonium dans le temps qui leur restait ; mais quant à trouver et atteindre un autre monde semblable à celui des Pak… non ! Et en admettant qu’ils y arrivent, quelle garantie auraient-ils que l’arbre de vie y pousserait ?
Ils avaient passé leurs dernières années à construire un rayon laser assez puissant pour percer les nuages de poussière qui les cachaient du noyau galactique. Ils ne savaient pas s’ils avaient réussi. Ils ne savaient pas ce qui était défectueux dans leur culture ; ils accusaient le manque de densité d’une longueur d’onde particulière de la lumière stellaire, ou de la lumière stellaire en général, bien que leurs expériences dans ces directions n’eussent rien prouvé. Ils communiquèrent des renseignements détaillés sur l’ascendance de leurs passagers reproducteurs, dans l’espoir que certains pourraient survivre. Et ils réclamèrent du secours.
Il y avait de cela deux millions et demi d’années.
Phssthpok était assis à côté du coffre à racines ; il mangeait tout en lisant. Il aurait souri si son visage avait été façonné pour sourire. Déjà il percevait que sa mission mobiliserait tous les protecteurs sans enfants du monde.
Depuis deux millions et demi d’années, ces reproducteurs avaient vécu sans arbre de vie. Sans avoir le moyen de passer dans la phase protecteur. Des animaux. Des bêtes.
Et Phssthpok seul savait comment les retrouver.
Vous avez pris l’avion à New York, U.S.A., pour Piquetsburg, Afrique du Nord. Soudain vous vous apercevez que New York s’envole dans une certaine direction, Piquetsburg dans une autre, et qu’un vent d’ouragan déporte votre avion dans une troisième…
Un cauchemar ? Ma foi, oui. Mais un voyage dans le système solaire ne ressemble pas à un voyage sur une planète. Chaque roche particulière se déplace à sa propre allure, comme des particules de beurre dans une baratte.
Mars suivait une route presque circulaire. Des astéroïdes tournaient non loin en orbites plus elliptiques, se rapprochaient de la planète rouge ou restaient en arrière, quelques-uns transportaient des télescopes. Leurs opérateurs avertiraient Cérès s’ils voyaient quelque chose se passer sur la surface.
Le statoréacteur Bussard abandonné passa par-dessus le soleil et décrivit une courbe vers l’intérieur, en suivant une hyperbole peu profonde qui l’amènerait sur le plan des planètes.
Le Bœuf Bleu suivit une courbe d’accélération d’un ordre supérieur : un J dont le jambage finirait par harmoniser la vitesse et la position du Bœuf avec celles de l’Intrus.
L’U Thant s’éleva de la Terre sur un statoréacteur loué à Death Valley Port. Au-dessus du Pacifique, le décor était admirable. Après être monté à deux cent quarante kilomètres et s’être mis en orbite, conformément à la loi, Nick passa à l’énergie de fusion et se dirigea vers l’espace. Il laissa le statoréacteur trouver tout seul sa route pour rentrer chez lui.
La Terre roulait sur elle-même et s’éloignait en tombant. Mars se trouvait à quatre jours de voyage à un g, et Cérès leur dirait quels astéroïdes éviter.
Nick mit l’astronef sur pilote automatique. Il n’était pas trop mécontent de l’U Thant. C’était un engin pour la marine terrienne, dont le profilage s’accordait avec les fonctions ; mais le matériel semblait approprié et les commandes étaient d’une élégante simplicité. De plus, la cuisine lui parut excellente.
« Je peux fumer ? demanda Luke.
— Pourquoi pas ? Vous ne pouvez pas avoir l’inquiétude de mourir jeune.
— Les Nations Unies ont-elles déjà leur argent ?
— Certainement. Le transfert a dû avoir lieu il y a plusieurs heures.
— Parfait. Appelez-les, dites-leur qui vous êtes, et demandez tout ce qu’elles ont accumulé sur Mars. Dites-leur de le faire passer sur l’écran, et que vous paierez pour le laser. Cela fera d’une pierre deux coups.
— Pourquoi ?
— Elles appendront ainsi où nous allons.
— Vous avez raison… Luke, pensez-vous réellement que cela va les mettre en branle ? Je sais à quel point les Nations Unies sont difficiles à manier. Il y a eu l’affaire Muller.
— Considérez-la d’un point de vue différent, Nick. Comment êtes-vous arrivé à représenter la Zone ?
— Des tests d’aptitude ont démontré que j’avais un quotient intellectuel élevé et que j’aimais commander. De là, j’ai grimpé les échelons.
— Pour préférons le vote.
— Des concours de popularité.
— Ça marche. Mais pas toujours sans inconvénients. Quel gouvernement n’en a pas ? » Garner haussa les épaules. « Chaque orateur aux Nations Unies représente une nation – une partie du monde. Il pense que c’est la meilleure partie, composée des meilleurs hommes. Autrement il n’aurait pas été élu. Il y a peut-être une vingtaine de représentants dont chacun est persuadé qu’il sait ce qu’il convient de faire au sujet de l’Intrus, et aucun d’entre eux n’acceptera de s’incliner devant les autres. Le prestige. Finalement, ils élaboreront un compromis. Mais s’ils apprennent qu’un civil et un Zonier peuvent les battre dans la course à l’intrus, ils perdront moins de temps. Vous comprenez ?
— Non.
— Allons, appelez-les ! »
Un rayon-message les atteignit un peu plus tard. Ils commencèrent à parcourir les informations sur Mars que la Terre avait amassées.
Il y en avait vraiment beaucoup ; elles s’étendaient sur des siècles. À un moment donné, Nick s’écria : « Je suis prêt pour des vacances d’été. Pourquoi faut-il que nous regardions tout cela ? Selon vous, nous nous livrons tout simplement à un bluff.
— Selon moi, nous recherchons quelque chose, à moins que vous n’ayez mieux à faire. Pour bluffer, le bon moment est quand on a les quatre as. »
Nick éteignit l’écran. La conférence se trouvait maintenant enregistrée sur bande ; ils pourraient toujours s’y rapporter. « Réfléchissons ensemble, dit Nick. J’ai versé un million de marks sur le budget de la Zone pour ces sornettes, plus des taxes additionnelles pour le rayon-message. Avare comme je suis, je me sens presque obligé de m’en servir. Mais, depuis une heure, nous avons étudié l’affaire Muller, et tout était tiré des dossiers de la Zone ! »