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La guerre fut terminée en huit jours. Les Mers orientales obtinrent le désert recultivé, la région qui n’était ni dépouillée ni stérile après soixante-dix années de guerre. Et il y avait eu un éclair formidable au-dessus de la vallée de Pitchok.

Les petits-enfants et les reproducteurs de la lignée de Phssthpok vivaient dans la vallée de Pitchok depuis les temps immémoriaux. Il avait vu cette lueur sinistre à l’horizon, et il avait compris que tous ses descendants étaient morts ou frappés de stérilité, qu’il ne lui restait plus de famille à protéger, et que tout ce qu’il pouvait faire consistait à cesser de manger jusqu’à ce qu’il mourût.

Il n’avait jamais eu, depuis, cette impression-là. Pas jusqu’à maintenant.

Même alors, treize siècles plus tôt en temps biologique, il n’avait pas ressenti ce trouble affreux. Qu’était cet objet à scaphandre qu’il tenait à bout de bras ? La vitre du masque était teintée contre le soleil. D’après la forme du scaphandre, il ressemblait à un reproducteur. Mais des reproducteurs n’auraient pu fabriquer des engins spatiaux ou des combinaisons pressurisées.

Depuis plus de douze siècles, Phssthpok n’avait jamais douté du sens de sa mission. À présent, il ne savait plus. Et il regrettait que les Pak ignorent tout des autres espèces intelligentes. Peut-être y avait-il des bipèdes ailleurs que chez les Pak. Pourquoi pas ? Si seulement il pouvait voir son prisonnier sans son scaphandre… Le voir, le sentir ! Il n’y aurait plus de secrets.

Ils se posèrent à côté du hublot. L’intrus calculait tout avec une précision surhumaine. Brennan n’essaya pas de se débattre quand l’intrus, passant son bras à travers la surface incurvée, attrapa quelque chose et les tira tous deux à l’intérieur. La matière transparente résistait au mouvement comme du caramel invisible.

Avec des gestes rapides, saccadés, l’inhumain retira sa combinaison pressurisée, faite en tissu souple, bulle transparente comprise. Quand il eut fini – et il avait maintenu sa main de fer sur Brennan pendant son déshabillage – il pivota pour le regarder.

Brennan aurait voulu hurler.

Il avait devant lui un tas de bosses et de protubérances ; les bras étaient plus longs que ceux d’un homme, avec une seule articulation du coude apparemment au bon endroit, mais le coude était une boule qui avait un diamètre de seize centimètres. Les mains ressemblaient à des chapelets de noix. Les épaules, les genoux et les hanches bombaient comme des cantaloups. La tête était un melon incliné sur un cou inexistant. Brennan ne découvrit ni front ni menton. La bouche de l’inhumain était un bec noir plat, dur mais non luisant, qui disparaissait dans une peau ridée à mi-chemin entre la bouche et les yeux. Deux fentes dans le bec représentaient le nez. Deux yeux qui avaient l’air humain étaient protégés par des bourrelets de peau à circonvolutions profondes (qui n’avaient rien d’humain) et par des arcades sourcilières en saillie. À partir du bec, la tête fuyait en arrière comme si elle était profilée. Une arête osseuse s’élevant du crâne enflé renforçait l’impression aérodynamique.

Il ne portait rien d’autre qu’une veste à grandes poches, et ce vêtement d’allure humaine lui allait aussi bien qu’un chapeau mou au monstre de Frankenstein. Les jointures gonflées de la main à cinq doigts faisaient penser à une vingtaine de roulements à billes qui comprimaient le bras de Brennan.

Tel était donc l’intrus. Pas simplement un inhumain. Un dauphin était un étranger, mais un dauphin n’était pas horrible. Or l’Intrus était horrible. Il avait l’air d’un croisement entre un être humain et… autre chose. Les monstres de l’Homme ont toujours été ainsi. Grendel. Le Minotaure. Les Sirènes furent jadis considérées comme des horreurs : un adorable buste de femme en haut et un monstre couvert d’écailles en bas. Et cela convenait assez bien à l’Intrus qui ne semblait pas avoir de sexe, rien que des plis de peau cuirassée entre les jambes.

Des yeux profondément enfoncés, aussi humains que ceux d’une pieuvre, plongeaient dans les yeux de Brennan.

Soudain, avant que Brennan eût pu esquisser un geste de défense, l’intrus saisit le tissu de la combinaison à pleines mains et les écarta violemment. La combinaison caoutchoutée résista, s’étira, puis se fendit de la fourche au menton. Il y eut un échappement d’air, et Brennan crut que ses oreilles allaient éclater.

Inutile de chercher à retenir son souffle. Plusieurs centaines de mètres le séparaient de l’air conditionné de son propre astronef. Brennan renifla prudemment.

L’air était léger, vaguement parfumé.

« Espèce de salaud ! dit Brennan. J’aurais pu mourir. »

L’Intrus ne répondit pas. Il dépouilla Brennan de sa combinaison comme s’il pelait une orange, sans rudesse inutile mais sans précautions excessives. Brennan décida de se battre. Bien qu’ayant encore un poignet immobilisé, il asséna un terrible coup de poing à la figure de l’étranger qui encaissa sans sourciller. Cette peau ressemblait à une armure de cuir. L’étranger acheva de dévêtir Brennan, puis il le repoussa à bout de bras pour l’examiner. Brennan lui décocha deux coups de pied à l’endroit où il aurait dû avoir un bas-ventre. L’étranger s’en aperçut, baissa les yeux, regarda Brennan lui administrer un troisième coup de pied, puis reprit son inspection.

Son regard parcourut Brennan, de la tête aux pieds, des pieds à la tête, avec un sans-gêne blessant. Dans les régions de la Zone où l’air et la température étaient conditionnés, les Zoniers pratiquaient le nudisme. Jamais encore Brennan ne s’était senti sans vêtements. Pas nu : sans vêtements. Et sans défense. Des doigts étrangers s’avancèrent pour explorer son cuir chevelu le long des côtes de sa houppe ils massèrent les articulations de la main, tâtèrent les jointures sous la peau. Au début, Brennan continua de se battre. Il ne réussit même pas à détourner l’attention de l’étranger. Alors, paralysé par la gêne, il attendit le résultat de l’examen.

Celui-ci prit fin subitement. L’étranger couvert de bosses fit un bond dans la pièce, fouilla dans un compartiment fixé au mur et en sortit un rectangle plié de plastique. Brennan songea à s’évader, mais son scaphandre était en loques. L’étranger déploya le rectangle, fit courir ses doigts sur un bord. Le sac s’ouvrit comme s’il s’était servi d’une fermeture éclair.

L’étranger bondit vers Brennan qui s’esquiva quelques secondes – le temps de reprendre goût à une liberté relative. Puis les doigts noueux l’attrapèrent et le fourrèrent dans le sac.

Brennan constata qu’il ne pouvait pas l’ouvrir de l’intérieur. « Je vais être asphyxié ! » cria-t-il. L’étranger ne répondit pas. De toute manière, il n’aurait rien compris. Il se couvrit à nouveau de son scaphandre.

Oh non ! Brennan se débattit pour déchirer le sac.

L’étranger le prit sous son bras et sortit par le hublot. Brennan sentait le plastique ballonner autour de lui, ce qui raréfiait encore plus l’air de l’intérieur. Des pics à glace retentissaient dans ses oreilles. Il ne lutta plus. Avec le fatalisme du désespoir, il attendit pendant que l’étranger se déplaçait dans le vide, contournait la coque en forme de pupille d’œil et se dirigeait vers un câble de remorque de deux centimètres d’épaisseur qui s’étirait au loin vers la capsule arrière.

Il y a peu de gros vaisseaux-cargos dans la Zone. La plupart des mineurs préfèrent traîner leur propre minerai. Les vaisseaux qui transportent des cargaisons importantes d’un astéroïde à un autre ne sont pas très grands ; ils sont plutôt munis d’un bon nombre d’attelages. Les hommes d’équipage fixent leur chargement sur des poutrelles et des haubans, dans des filets ou sur des grilles légères. Ils arrosent les articles fragiles de mousse de plastique, déploient au-dessous des feuilles réfléchissantes pour éviter les brûlures dues au jet du propulseur, et ils décollent à faible puissance.