e) Le genre d’association qui s'est établi entre le nom cherché et le sujet refoulé (relatif à la mort et à la sexualité et dans lequel figurent les noms Bosnie, Herzégovine, Trafoï) est tout à fait curieux. Le schéma ci-joint, emprunté à l'article de 1898, cherche à donner une représentation concrète de cette association.
Le nom de Signorelli a été divisé en deux parties. Les deux dernières syllabes se retrouvent telles quelles dans l'un des noms de substitution (elli), les deux premières ont, par suite de la traduction de Signor en Herr (Seigneur), contracté des rapports nombreux et variés avec les noms contenus dans le sujet refoulé, ce qui les a rendues inutilisables pour la reproduction. La substitution du nom de Signorelli s'est effectuée comme à la faveur d'un déplacement le long de la combinaison des noms «Herzégovine-Bosnie», sans aucun égard pour le sens et la délimitation acoustique des syllabes. Les noms semblent donc avoir été traités dans ce processus comme le sont les mots d'une proposition qu'on veut transformer en rébus. Aucun avertissement n'est parvenu à la conscience de tout ce processus, à la suite duquel le nom Signorelli a été ainsi remplacé par d'autres noms. Et, à première vue, on n'entrevoit pas, entre le sujet de conversation dans lequel figurait le nom Signorelli et le sujet refoulé qui l'avait précédé immédiatement, de rapport autre que celui déterminé par la similitude de syllabes (ou plutôt de suites de lettres) dans l'un et dans l'autre.
Il n'est peut-être pas inutile de noter qu'il n'existe aucune contradiction entre l'explication que nous proposons et la thèse des psychologues qui voient, dans certaines relations et dispositions, les conditions de la reproduction et de l'oubli. Nous nous bornons à affirmer que les facteurs depuis longtemps reconnus comme jouant le rôle de causes déterminantes dans l'oubli d'un nom se compliquent, dans certains cas, d'un motif supplémentaire, et nous donnons en même temps l'explication du mécanisme de la fausse réminiscence. Ces facteurs ont dû nécessairement intervenir dans notre cas, pour permettre à l'élément refoulé de s'emparer par voie d'association du nom cherché et de l'entraîner avec lui dans le refoulement. À propos d'un autre nom, présentant des conditions de reproduction plus favorables, ce fait ne se serait peut-être pas produit. Il est toutefois vraisemblable qu'un élément refoulé s'efforce toujours et dans tous les cas de se manifester au-dehors d'une manière ou d'une autre, mais ne réussit à le faire qu'en présence de conditions particulières et appropriées. Dans certains cas, le refoulement s'effectue sans trouble fonctionnel ou, ainsi que nous pouvons le dire avec raison, sans symptômes.
En résumé, les conditions nécessaires pour que se produise l'oubli d'un nom avec fausse réminiscence sont les suivantes: 1º une certaine tendance à oublier ce nom; 2º un processus de refoulement ayant eu lieu peu de temps auparavant; 3º la possibilité d'établir une association extérieure entre le nom en question et l'élément qui vient d'être refoulé. Il n'y a probablement pas lieu d'exagérer la valeur de cette dernière condition, car étant donnée la facilité avec laquelle s'effectuent les associations, elle se trouvera remplie dans la plupart des cas. Une autre question, et plus importante, est celle de savoir si une association extérieure de ce genre constitue réellement une condition suffisante pour que l'élément refoulé empêche la reproduction du nom cherché et si un lien plus intime entre les deux sujets n'est pas nécessaire à cet effet. À première vue, on est tenté de nier cette dernière nécessité et de considérer comme suffisante la rencontre purement passagère de deux éléments totalement disparates. Mais, à un examen plus approfondi, on constate, dans des cas de plus en plus nombreux, que les deux éléments (l'élément refoulé et le nouveau), rattachés par une association extérieure, présentent également des rapports intimes, c'est-à-dire qu'ils se rapprochent par leurs contenus, et tel était en effet le cas dans l'exemple Signorelli.
La valeur de la conclusion que nous a fournie l'analyse de l'exemple Signorelli varie, selon que ce cas peut être considéré comme typique ou ne constitue qu'un accident isolé. Or, je crois pouvoir affirmer que l'oubli de noms avec fausse réminiscence a lieu le plus souvent de la même manière que dans le cas que nous avons décrit. Presque toutes les fois où j'ai pu observer ce phénomène sur moi-même, j'ai été à même de l'expliquer comme dans le cas Signorelli, c'est-à-dire comme ayant été déterminé par le refoulement. Je puis d'ailleurs citer un autre argument à l'appui de ma manière de voir concernant le caractère typique du cas Signorelli. Je crois notamment que rien n'autorise à établir une ligne de séparation entre les cas d'oublis de noms avec fausse réminiscence et ceux où des noms de substitution incorrects ne se présentent pas. Dans certains cas, ces noms de substitution se présentent spontanément; dans d'autres, on peut les faire surgir, grâce à un effort d'attention et, une fois surgis, ils présentent, avec l'élément refoulé et le nom cherché, les mêmes rapports que s'ils avaient surgi spontanément. Pour que le nom de substitution devienne conscient, il faut d'abord un effort d'attention et, ensuite, la présence d'une condition, en rapport avec les matériaux psychiques. Cette dernière condition doit, à mon avis, être cherchée dans la plus ou moins grande facilité avec laquelle s'établit la nécessaire association extérieure entre les deux éléments. C'est ainsi que bon nombre de cas d'oublis de noms sans fausse réminiscence se rattachent aux cas avec formation de noms de substitution, c'est-à-dire aux cas justiciables du mécanisme que nous a révélé l'exemple Signorelli. Mais je n'irai certainement pas jusqu'à affirmer que tous les cas d'oublis de noms peuvent être rangés dans cette catégorie. Il y a certainement des oublis de noms où les choses se passent d'une façon beaucoup plus simple. Aussi ne risquons-nous pas de dépasser les bornes de la prudence, en résumant la situation de la façon suivante: à côté du simple oubli d'un nom propre, il existe des cas où l'oubli est déterminé par le refoulement.
2. Oubli de mots appartenant à des langues étrangères
Le vocabulaire usuel de notre langue maternelle semble, dans les limites du fonctionnement normal de nos facultés, préservé contre l'oubli. Il en est, on le sait, autrement des mots appartenant à des langues étrangères. Dans ce dernier cas, la disposition à l'oubli existe pour toutes les parties du discours, et nous avons un premier degré de perturbation fonctionnelle dans l'irrégularité avec laquelle nous manions une langue étrangère, selon notre état général et notre degré de fatigue. Dans certains cas, l'oubli de mots étrangers obéit au mécanisme que nous avons décrit à propos du cas Signorelli. Je citerai, à l'appui de cette affirmation, une seule analyse, mais pleine de détails précieux, relative à l'oubli d'un mot non substantif, faisant partie d'une citation latine. Qu'on me permette de relater ce petit accident en détail et d'une façon concrète.