Le déterminisme plus profond qui préside à l'expression de nos pensées par la parole ou par l'écriture mériterait également une étude sérieuse. On se croit en général libre de choisir les mots et les images pour exprimer ses idées. Mais une observation plus attentive montre que ce sont souvent des considérations étrangères aux idées qui décident de ce choix et que la forme dans laquelle nous coulons nos idées révèle souvent un sens plus profond, dont nous ne nous rendons pas compte nous-mêmes. Les images et les manières de parler dont une personne se sert de préférence sont loin d'être indifférentes, lorsqu'il s'agit de se former un jugement sur cette personne; certaines de ces images et manières de parler sont souvent des allusions à des sujets qui, tout en restant à l'arrière-plan, exercent une influence puissante sur celui qui parle. Je connais quelqu'un qui, à une certaine époque, se servait à chaque instant, même dans des conversations abstraites, de l'expression suivante: «Lorsque quelque chose traverse tout à coup la tète de quelqu'un.» Or, je savais que celui qui parlait ainsi avait reçu, peu de temps auparavant, la nouvelle qu'un projectile russe avait traversé d'avant en arrière le bonnet de campagne que son fils, soldat combattant, avait sur la tête.
[87] L'erreur est cependant douteuse: d'après la version orphique du mythe, l'émasculation de Kronos fut l'œuvre de son fils Zeus (Rocher, Lexicon der Mythologie).
[88] Cette persistance d'une impression dans l'inconscient peut se manifester tantôt sous la forme d'un rêve qui suit l'acte manqué, tantôt par la répétition de cet acte ou par l'omission d'une correction, l'erreur commise échappant obstinément à la vue.
[89] Alf. Adler. Drei Pschoanalysen von Zahleneinfallen und obsedierenden Zahlen. Psych-Neur. Wochenschr., N. 28, 1905.
[90] À propos de Macbeth, figurant sous le NI 17 dans la Bibliothèque Universelle de Reclam, M. Adler me communique que son sujet avait adhéré, à l'âge de 17 ans, à une association anarchiste ayant pour but le régicide. C'est pourquoi il avait oublié le contenu de Macbeth. Vers la même époque, il inventa un alphabet chiffré, dans lequel les lettres étaient remplacées par des nombres.
[91] Pour plus de simplicité, j'ai laissé de côté quelques autres idées, moins intéressantes, du malade.
[92] M. Rudolph Schneider, de Munich, a soulevé une objection intéressante contre ces déductions tirées de l'analyse des nombres (R.Schneider. – «Zu Freud's analytischer Untersuchung des Zahleneinfalls», Internat. Zeitsch. f. Psychoanal., 1, 1920). Il prenait un nombre quelconque, par exemple le premier nombre qui lui tombait sous les yeux dans titi ouvrage d'histoire ouvert au hasard, ou il proposait à une autre personne un nombre choisi par lui et cherchait à se rendre compte si des idées déterminantes se prIéentaient, même à propos de ce nombre imposé. Le résultat obtenu fut positif. Dans un des exemples qu'il publie et qui le concerne lui-même, les idées qui se sont présentées ont fourni une détermination aussi complète et significative que dans nos analyses de nombres surgis spontanément, alors que dans le cas de Schneider le nombre, de provenance extérieure, n'avait pas besoin de raisons déterminantes. Dans une autre expérience qui, elle, portait sur une personne étrangère, il a singulièrement facilite tâche, en lui proposant le nombre 2 dont le déterminisme peut être facilement établi par chacun, à l'aide de matériaux quelconques.
R Schneider tire de ses expériences deux conclusions: 1º Pour les nombres nous possédons les mêmes possibilités psychiques d'association que pour les concepts. 2º Le fait que des idées déterminantes se présentent à propos de nombres conçus spontanément ne prouve nullement que ces nombres aient été provoqués par les idées découvertes par l'analyse. La première de ces deux conclusions est parfaitement exacte. On peut, pour un nombre donné, trouver une association aussi facilement que pour un mot énoncé, et peut-être même plus facilement, car les signes, peu nombreux, dont se composent les nombres possèdent une force d'association particulièrement grande. On se trouve alors tout simplement dans le cas de ce qu'on appelle l'expérience «d'association», qui a été étudiée sous tous ses aspects par l'école de Bleuler-Jung. Dans les cas de ce genre, l'idée (la réaction) est déterminée par le mot (excitation). Cette réaction pourrait cependant se manifester sous des aspects très variés, et les expériences de Jung ont montré que, quelle que soit la réaction, elle n'est jamais due au «hasard», mais que des «complexes» inconscients prennent part à la détermination, lorsqu'ils sont touchés par le mot jouant le rôle de facteur d'excitation.
Mais la deuxième conclusion de Schneider va trop loin. Du fait que des nombres (ou des mots) donnés font surgir des idées appropriées, on ne peut tirer, concernant les nombres (ou les mots) surgissant spontanément, aucune conclusion dont on ne soit pas obligé de tenir compte avant même la connaissance de ce fait. Les nombres (ou les mots) pourraient être indéterminés ou déterminés par des idées révélées par l'analyse ou par d'autres idées que l'analyse n'a pas révélées, auquel cas l'analyse nous aurait induits en erreur. On doit seulement se débarrasser du préjugé, d'après lequel le problème se poserait autrement pour les nombres que pour les mots. Nous ne nous proposons pas de donner dans ce livre un examen critique du problème et une justification de la technique psychanalytique concernant l'évocation d'idées liées aux nombres. Dans la pratique psychanalytique on admet que la deuxième possibilité est suffisante et peut être utilisée dans la plupart des cas. Les recherches de Poppelreuter, exécutées dans le domaine et à l'aide des méthodes de la psychologie expérimentale, ont d'ailleurs montré que cette deuxième possibilité est de beaucoup la plus probable. (Voir d'ailleurs à ce sujet les intéressantes considérations de Bleuler dans son ouvrage: Das autistisch undisziplinierte Denken, etc., 1919. Section 9: «Von den Wahrscheinlichkeiten der psychologischen Erkenntniss».)