«Quelques instants après il ajoute: «le nom actuel d'Enna était également un nom de substitution. Et maintenant je m'aperçois que ce nom de Castrogiovanni, obtenu à l'aide d'une rationalisation, fait penser à la jeunesse (giovane), tout comme le nom de Castelvetrano évoque l'idée de la vieillesse (vétéran).
«Le plus âgé croit ainsi avoir expliqué son oubli. Quant aux causes qui ont provoqué le même oubli chez le plus jeune, elles n'ont pas été recherchées.»
Le mécanisme de l'oubli de noms est aussi intéressant que ses motifs. Dans un grand nombre de cas on oublie un nom, non parce qu'il éveille lui-même les motifs qui s'opposent à sa reproduction, mais parce qu'il se rapproche, par sa consonance ou sa composition, d'un autre mot contre lequel notre résistance est dirigée. On conçoit que cette multiplicité de conditions favorise singulièrement la production du phénomène. En voici des exemples:
l) Ed. Hitschmann «(Zwei Fälle von Namenvergessen», Internat. Zeitschr. f Psychoanalyse, 1, 1913).
Cas II: «M. N. veut recommander à quelqu'un la librairie Gilhofer et Ranschburg, mais, bien que la maison lui soit très connue, il ne se souvient, malgré tous ses efforts, que du nom Ranschburg. Légèrement mécontent, il rentre chez lui; mais la chose finit par le tourmenter à un point tel qu'il se décide à réveiller son frère, qui semblait déjà dormir, pour lui demander le nom de l'associé de Ranschburg. Le frère lui donne le nom sans aucune difficulté. Le nom «Gilhofer» évoque aussitôt dans l'esprit de M. N. celui de «Gallhof», un endroit dans lequel il a fait récemment, en compagnie d'une charmante jeune fille, une promenade dont il garde le meilleur souvenir. La jeune fille lui a fait cadeau d'un objet portant l'inscription: «En souvenir des belles heures passées à Gallhof.» Quelques jours avant l'oubli du nom «Gilhofer», M. N., en fermant brusquement le tiroir dans lequel il avait serré l'objet, l'a sérieusement abîmé; ce n'était certes qu'un fait accidentel, mais M. N., familiarisé avec la signification des actes symptomatiques, ne pouvait se défendre d'un sentiment de culpabilité. Depuis cet accident, il se trouvait dans un état d'âme quelque peu ambivalent à l'égard de cette dame, qu'il aimait certes, mais dont les avances en vue du mariage se heurtaient chez lui à une résistance hésitante.
m) Dr Hanns Sachs:
«Dans une conversation ayant pour objet Gênes et ses environs immédiats, un jeune homme veut nommer aussi la localité Pegli, mais ne parvient à retrouver ce nom que difficilement et à la suite d'un grand effort. Pendant qu'il rentre chez lui, il pense à l'oubli de ce nom qui lui était cependant si familier, et voilà que surgit dans son esprit le mot Peli, ayant exactement la même prononciation. Il sait que Peli est le nom d'une île de l'Océan Austral, dont les habitants ont conservé quelques coutumes remarquables. Il a lu la description de ces coutumes dans un ouvrage ethnologique et a conçu alors l'idée d'utiliser ces renseignements en vue d'une hypothèse personnelle. Il se rappelle que Peli est également le lieu d'action d'un roman qu'il a lu avec intérêt et plaisir: La plus heureuse époque de Van Zanten, par Laurids Bruun. – Les idées qui l'avaient préoccupé presque sans interruption tout ce jour-là se rattachaient à une lettre qu'il avait reçue le matin même d'une dame pour laquelle il avait beaucoup d'affection; cette lettre lui faisait entrevoir qu'il aurait à renoncer à une rencontre convenue. Après avoir passé la journée dans un état de grand abattement, il sortit le soir avec la ferme intention d'oublier sa contrariété et de jouir aussi pleinement que possible du plaisir qu'il se promettait d'une soirée passée dans une société qu'il estimait beaucoup. il est certain que le mot Pegli, par sa ressemblance tonale avec le mot Peli, était de nature à troubler gravement son projet, car ce dernier mot ne présentait pas seulement pour lui un intérêt purement ethnologique, mais évoquait aussi, avec «la plus heureuse époque» de sa vie (par analogie avec le roman cité plus haut), toutes les craintes et tous les soucis qu'il avait éprouvés au cours de la journée. Il est caractéristique que cette interprétation, si simple pourtant, n'a été obtenue qu'après qu'une deuxième lettre soit venue transformer la tristesse en une joyeuse certitude d'une rencontre très proche.»
Si l'on se souvient, à propos de cet exemple, du cas, pour ainsi dire voisin, où il fut impossible de retrouver le nom Nervi, on constate que le double sens d'un mot peut être remplacé par la ressemblance phonétique de deux mots.
n) Lorsque, en 1915, eut éclaté la guerre avec l'Italie, j'ai pu faire sur moi-même cette observation qu'une grande quantité de noms de localités italiennes, qui m'étaient cependant très familiers, avaient disparu de ma mémoire. Comme tant d'autres Allemands, j'avais pris l'habitude de passer une partie de mes vacances sur le sol italien, et il était pour moi certain que cet oubli massif de noms n'était que l'expression d'une hostilité compréhensible à l'égard de l'Italie, hostilité qui, chez tous les Allemands, avait remplacé l'amitié d'autrefois. À côté de cet oubli direct de noms, j'en ai observé un autre, indirect, mais que j'ai pu ramener à la même cause. J'avais notamment une tendance à oublier aussi des noms non-italiens, et l'examen m'a révélé que ces derniers avaient toujours une ressemblance phonétique plus ou moins marquée avec des noms italiens. C'est ainsi que je cherchais un jour à me rappeler le nom de la ville morave de Bisenz. Lorsque j'y fus enfin parvenu, après beaucoup de difficultés, je m'aperçus aussitôt que mon oubli devait être mis sur le compte du palais Bisenzi, à Orvieto. Dans ce palais se trouve l'Hôtel «Belle Arti», dans lequel je descendais toutes les fois où je faisais un séjour à Orvieto. Les souvenirs infiniment agréables que j'ai emportés de ces séjours avaient naturellement subi une éclipse sous l'influence d'un changement survenu dans mon état d'âme.
Et maintenant, il ne sera peut-être pas sans intérêt d'examiner sur quelques exemples les intentions que l'oubli de noms est susceptible de satisfaire.