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— Cet homme est assez odieux, dit-elle. C’est son imprésario ?

— Tu as bien vu ! repartit Laurent avec mauvaise humeur.

C’était la présence de la jeune femme qui lui causait cette impression de ne plus être chez lui. On eût dit qu’elle venait de prendre en charge la maison et, dans une certaine mesure, d’assumer la responsabilité de la situation.

— Tu es resté longtemps absent, fit-elle. J’avais peur qu’il te soit arrivé quelque chose, à toi aussi.

Il ne répondit pas. Il venait de choisir le silence. Il y plongeait farouchement afin d’établir son mépris du malheur.

— Dis-moi, Laurent, tu t’es trompé : elle n’avait pas de gala à Angers…

Il fit un signe affirmatif.

— J’ai demandé à ce Bardin…

— En quoi cela te concerne-t-il ?

Il n’avait pas pu se contenir. Quand il était petit et que sa mère ou bien ses maîtres le punissaient, il jouait à bouder. Il essayait de se taire et décidait d’observer un mutisme absolu pendant plusieurs jours. Mais il suffisait d’un rien pour faire fléchir sa volonté.

— Pourquoi es-tu méchant avec moi ? demanda-t-elle calmement.

Il eut honte.

— Excuse-moi, je suis malheureux.

— Parce qu’elle était avec un homme, hein ?

— Comment le sais-tu ?

— Ce sont les infirmiers qui, en cours de route, m’ont raconté l’accident. Il paraît que c’était un gros éleveur de chevaux de la région. C’était ça tes fameuses formalités, non ?

— Quoi, ça ?

— Tu es allé chez lui, tu as voulu voir, renifler…

Il ne répondit pas. Si elle avait deviné cela, elle avait sûrement compris le reste.

Elle poursuivit, d’un ton rêveur :

— Je parie même que tu…

— Quoi ?

Elle secoua la tête, mais il avait deviné ce qu’elle n’osait préciser.

— Oui, je suis allé LE voir aussi.

— Alors ?

— Alors rien, que veux-tu ?

— Tu avais des doutes ?

Il hésita. À un homme, à n’importe qui d’ailleurs, il aurait répondu par l’affirmative, afin de sauver un peu la face. Mais il ne se sentait pas la force de bluffer Martine. Le regard tranquille de la jeune femme n’incitait pas au mensonge.

— Non, je n’avais pas de doutes…

— Je parie que tu souffres plus de ça que du reste ?

— Je ne sais pas.

— Pourtant, Laurent, tu la trompais aussi ! Nous deux…

— Nous deux ce n’était pas pareil !

Il n’avait pu contenir ce cri du cœur.

— Tu crois ? demanda-t-elle avec une infinie tristesse.

Il se sentit soudain très cruel et cela lui fit du bien.

— J’en suis certain. Elle t’a parlé ?

— Non.

— Tu crois qu’elle s’est rendu compte de ta présence ?

— Si elle s’en est rendu compte, elle s’en moque. On a l’impression que rien ne peut la toucher…

— Oui, dit Laurent, frappé, c’est vrai, elle semble inaccessible.

Il tourna son visage contre le dossier moelleux du fauteuil et se mit à pleurer.

CHAPITRE VII

Le professeur vint une heure plus tard. Il lut le rapport du chirurgien de Lisieux, ausculta la blessée, et demanda à se laver les mains.

C’était un homme encore jeune, d’allure sportive. Il rejoignit le couple au living et resta quelques secondes sans parler, feignant de contempler les pochettes de disques étalées sur la table basse. Il avait une rare présence, tels certains acteurs qui sont capables d’évoluer plusieurs minutes sur une scène sans parler, sans faire quelque chose d’intéressant, en mobilisant pourtant l’attention du public.

— Mon confrère de Lisieux vous a résumé la situation, fit-il. Cette petite est perdue…

Cette petite !

Le terme avait quelque chose de tendre, le ton était pitoyable.

Haller secoua la tête. Avec le chirurgien de là-bas il n’avait pas osé protester, sachant qu’il n’aurait pas été compris. Mais avec le professeur il pouvait parler.

— Je suis sûr qu’elle s’en tirera, dit-il sourdement.

Son interlocuteur ne sourcilla pas.

— Vous avez la foi ?

— Non, dit Laurent. Mais je l’aime. Et ce sont des choses qu’on doit sentir, il me semble… Si elle était sur le point de disparaître, quelque chose en moi le saurait, non ?

Duroc portait un complet d’alpaga gris, moucheté de petits points noirs ; par coquetterie il avait défait les boutonnières des manches afin de pouvoir les retrousser.

— On ne reconnaît que le destin, dit-il. Et le destin c’est ce qui s’est passé, ce n’est pas ce qui va se passer.

— Je vous dois combien ?

— Vous recevrez ma note d’honoraires.

— On ne va rien tenter ?

— Rien n’est tentable. À quoi bon la martyriser ?… Je vous ai fait une ordonnance pour le cas où elle souffrirait.

Tout en parlant il regardait Martine. Il devait se demander qui elle était : parente ou amie ? Martine pouvait être n’importe quoi, même une employée.

— Il vous faut une infirmière.

Le docteur partit. Il y eut ses phares dans le living, comme avec l’auto de Bardin et Laurent, énervé, descendit les stores californiens. Comme il achevait cette opération le téléphone se mit à sonner. L’aigre appel avait quelque chose d’insoutenable.

— Tu veux que je réponde ? proposa Martine.

Il décrocha avec énervement.

C’était France-Soir. On avait appris l’accident et on demandait si…

Laurent injuria son correspondant, le traitant de charognard et de nécrophage. Puis il raccrocha et débrancha le téléphone.

Il avait besoin d’être tranquille, de rompre tout contact avec l’extérieur en attendant !

Il était deux heures du matin.

— Tu devrais te coucher ! fit-il rudement à sa compagne.

Il ajouta :

— Il y a la chambre d’amis.

— Non, Laurent, je ne veux pas te laisser…

Il lui jeta un regard si blanc de rage qu’elle eut peur et fit un pas en arrière.

— Mon Dieu, mais qu’as-tu ?

— Tu le demandes ?

Elle chercha à reprendre sa respiration. Elle se sentait infiniment faible, sans doute parce qu’elle n’avait rien pris depuis midi.

— Tu veux que je m’en aille, Laurent ? Si c’est ça, n’aie pas honte de le dire : je comprendrai…

— Non. Seulement j’ai besoin de rester seul ici, dans cette pièce. J’ai mal partout, tu comprends ? Tout vient d’être bousillé dans cette putain de Cadillac, même nous deux.

— Oui, il me semble, reconnut Martine.

Il prit les deux mains de Martine et les pressa farouchement. Il était pathétique dans son désespoir. Elle comprit qu’elle avait devant elle un homme en grand danger.

— Je voudrais ne pas t’être odieux, fit-il. Je sais que je te dis des choses énormes, et pourtant elles sont ! Je voudrais m’expliquer, t’expliquer…

— Laisse, ce n’est pas la peine, je crois savoir…

— Tu es gentille de ne pas pleurer, dit Laurent.

— Je n’en ai pas envie.

Elle dégagea ses mains qu’il pétrissait toujours avec la même nervosité.

— Tu permets que j’aille la regarder ?

Il acquiesça et Martine retourna dans la chambre de Lucienne. Elle ne s’approcha pas du lit et se mit à contempler la blessée depuis le seuil. Il la rejoignit. Lucienne avait les yeux fermés, son souffle était toujours aussi bref et saccadé.