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Sans doute existait-il d’autres objets d’elle, dans d’autres pièces ? Dans la chambre de Daurant, par exemple… Il s’arrêta au milieu d’une allée, glacé par une pensée hideuse.

Le mois précédent, Lucienne s’était plainte d’avoir perdu une valise en tournée. Selon elle, elle ne contenait que du linge et une sorte de kimono japonais qu’elle aimait porter et qui lui allait bien.

Laurent était certain que la valise se trouvait à Jeanville. Le kimono attendait dans une garde-robe ancienne. C’était Laurent qui le lui avait offert.

Il se rappelait le contact du corps de Lucienne à travers la soie. L’arrondi des hanches.

Des fiançailles ! Simplement des fiançailles ! Leur vie commune n’avait en somme été qu’une longue période d’attente. À quand la noce ?

Peut-être avait-elle eu lieu avec Édouard Daurant ?

Il s’approcha de la balancelle bleue installée au fond du jardin et d’un coup de talon se fit bercer. Les chaînes du divan suspendu grincèrent.

Ce mouvement de va-et-vient lui donna la nausée. À moins que ce fût une autre pensée qui venait d’éclore dans son esprit torturé ? Dès qu’il réfléchissait il avait mal, parce que toute réflexion lui était hostile. Il perdait sur chaque tableau.

Ce nom de Doudou qu’elle avait donné à l’oiseau, c’était un diminutif d’Édouard !

La jalousie le poigna, si intense qu’il eut envie de faire mal à quelqu’un.

Doudou !

Cet imbécile ridicule, tuméfié, mort, qui gisait sous une bâche de maçon, s’était-il jamais douté, en parcourant son orgueilleuse propriété, qu’un jour il deviendrait oiseau ? Seulement dans l’esprit altéré d’une agonisante, bien sûr. Mais il était tout de même un oiseau. La vérité de Lucienne réussissait cette effarante métamorphose.

Un oiseau ! Un oiseau jaune-vert, au bec épais et pointu… Un oiseau qui se nourrissait du crottin de ses chevaux !

Il éclata de rire.

— Monsieur ! Hep ! Monsieur…

Derrière la grille, deux hommes le hélaient en gesticulant. Des journalistes. L’un d’eux coltinait tout un attirail de photographe. Laurent ne broncha pas.

— Monsieur !

Il ne pouvait y couper. D’une allure appuyée, et tout bouillonnant de rage, il s’approcha des arrivants.

— C’est bien ici chez Lucienne Cassandre ?

— Oui.

— Vous êtes son mari ?

— Non.

— Vous pouvez nous dire si elle est là ou si…

Laurent réfléchissait. Un éclat ne servirait de rien, risquerait au contraire de tout compromettre.

— Son mari l’a emmenée dans une clinique, fit-il. Moi je suis un voisin. J’ai donné un coup de main et je ferme la maison.

— Quelle clinique ?

— Je crois que c’est l’hôpital américain de Neuilly…

— Comment va-t-elle ?

— Hum, pas brillant…

— Merci…

Les deux hommes, deux jeunes, vêtus de polos rouges, sautèrent dans leur auto.

Haller ouvrit alors le portail à deux battants. Il venait de s’apercevoir que sa voiture avait passé la nuit dehors.

Elle indiquait que la propriété n’était pas inoccupée.

Il la rentra dans le garage situé sous la maison, puis retourna fermer le portail.

« Je vais fermer les volets donnant sur la façade, songea-t-il. De cette façon, au moins, j’aurai la paix… »

Est-ce qu’il parviendrait à juguler longtemps les visiteurs ? En cette période de début de vacances, les journaux n’avaient pas grand-chose à mettre en première page. L’accident de Lucienne devait les exciter.

Il déroula les stores de bois et les fixa. Ils n’oseraient tout de même pas forcer sa porte.

CHAPITRE V

Le living plongé dans l’ombre ressemblait à une crypte, malgré ses murs blancs, ses philodendrons et les tableaux modernes qui le décoraient.

Dehors les oiseaux faisaient rage. Il n’entendait qu’eux.

Laurent s’approcha de la chambre. Il n’entra pas, préférant contempler sa femme depuis la pièce où il se trouvait. La blessée avait tourné sa tête presque de profil. Elle regardait avec attention il ne savait quoi. Une fois, une seule, Lucienne l’avait contemplé de cette façon : c’était un matin, après leur première nuit. Donc LE matin. Il lui avait demandé la permission de fumer une cigarette. Il était nu sur le lit, un bras derrière la tête. Elle l’avait regardé un bon moment, puis, doucement, avait mis sa joue sur la poitrine de Laurent.

— Lucienne !

— Non, tais-toi, murmura-t-elle sans bouger.

Il s’avança et crut rêver. Le verdier était à nouveau dans la chambre bien que la fenêtre fût fermée !

— Comment est-il entré ?

Elle ne répondit pas. Il bondit dans la chambre, féroce, hors de lui.

— Je veux savoir ! Je veux savoir ! Comment cet oiseau est-il entré ici, Lucienne ?

— Ne fais pas de bruit, tu l’effraies !

— Tu lui as ouvert ?

— Oui…

Effectivement, la fenêtre de la chambre n’était qu’incomplètement fermée. Il considéra cet être exsangue, et secoua la tête incrédule.

— Tu as pu !

— Oui.

L’amour avait réussi ce prodige : faire lever une mourante. Il lui avait insufflé assez de force pour qu’elle pût se traîner à la fenêtre.

Confondu, il s’adossa au mur afin de regarder la scène. L’oiseau jaune avait repris sa place sur le radiateur. Il était accroupi sur ses petites pattes repliées et ne remuait que sa tête cloutée de deux petits yeux ronds et fixes.

— Il est entré tout de suite ? bégaya Laurent.

— Bien sûr…

La certitude heureuse de sa femme ajouta au désarroi d’Haller.

Il fixait l’oiseau pour se persuader qu’il n’y avait aucun mystère. C’était un oiseau comme les autres, un peu plus familier, voilà tout. Avant l’accident il entrait déjà dans la maison.

Il s’approcha de la fenêtre. Le verdier, au lieu de s’envoler, sauta à terre et sautilla jusque sous le lit.

Laurent ouvrit la fenêtre. Une odeur de rose entra dans la pièce.

— Tu te figures qu’il va se sauver, dit Lucienne.

Il ne répondit pas, guettant la réapparition de l’oiseau. Mais l’animal restait sous le lit. Alors Laurent finit par s’asseoir dans un fauteuil près de la coiffeuse.

— C’est extravagant, dit-il.

Un sourire d’extase flottait sur les lèvres blanches de Lucienne.

— Il est là, chuchota-t-elle, je l’entends.

Laurent tendit l’oreille et ne perçut aucun bruit attribuable à l’oiseau.

— Tu l’aimes ? demanda-t-il soudain à brûle-pourpoint.

Elle ne parut pas surprise.

— Oui.

Il gronda :

— C’est un oiseau, tu sais. Rien qu’un oiseau…

— Je sais.

Le verdier réapparut de sous le lit. Il tenait quelque chose dans son bec, c’était un cheveu de Lucienne. Un long cheveu noir. Il s’envola avec cette minuscule guirlande et disparut.

Laurent se mit à rire, d’un rire mauvais dont il eut un peu honte.

— Tu sais pourquoi il entre ici, ton oiseau, Lucienne ? Parce qu’il est en train de faire son nid et qu’il cherche des cheveux et des brins de laine pour le tapisser…