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Teppic n’avait pas bougé. « Je suis reçu ? demanda-t-il.

— Il semble que ce soit le cas.

— Mais…

— Vous n’ignorez pas, j’en suis sûr, que nous n’avons pas le droit de discuter de l’examen avec les élèves. Je peux néanmoins vous dire que personnellement je n’approuve pas ces techniques modernes qui en mettent plein la vue. Bonjour chez vous. » Et Méricet sortit d’un air digne.

Teppic trottina jusqu’à la table poussiéreuse près de la porte et baissa les yeux, horrifié, sur le papier. Par pure habitude, il tira une paire de pinces à épiler de son sac pour le saisir.

Il était authentique. Il portait le sceau de la Guilde et le gribouillis en pattes de mouche qui ne pouvait être que la signature de Méricet ; il l’avait vue assez souvent, en général au bas des feuilles de contrôle, accompagnée de commentaires du genre : 3/10. Passez me voir.

À pas feutrés, il s’approcha de la forme sur le lit et souleva la couverture.

* * *

Il était presque une heure du matin. Ankh-Morpork commençait seulement à s’animer.

Si c’étaient les ténèbres là-haut sur les toits, dans le monde aérien des voleurs et des assassins, tout en bas la vie de la cité envahissait les rues comme une marée.

Teppic fendait la cohue, l’air hébété. Tout autre qui aurait affiché pareille mine ahurie se serait vu proposer une visite guidée du lit du fleuve, mais il portait la tenue noire des assassins, aussi la foule s’écartait-elle automatiquement devant lui pour se refermer derrière. Même les pickpockets l’évitaient. On ne savait jamais sur quoi on risquait de poser la main. Il franchit d’un air absent les portes de la Guilde et s’assit sur un siège de marbre noir, le menton sur le poing.

Sa vie s’arrêtait là, voilà. Il n’avait pas réfléchi à ce qui se passerait après l’examen. Il n’avait pas osé envisager un après.

On lui tapa sur l’épaule. Au moment où il se retournait, Chidder prit place à côté de lui et sortit sans un mot un bout de papier rose.

« Fastoche, dit-il.

— Tu es reçu aussi ? » fit Teppic.

Chidder eut un large sourire. « Pas de problème, dit-il. Je suis tombé sur Nivor. Pas de problème. Il m’a quand même donné un peu de souci avec le dérapage en côte. Et toi ?

— Hmm ? Oh. Non. » Teppic s’efforça de se secouer. « Pas de souci, dit-il.

— Tu as des nouvelles des autres ?

— Non. »

Chidder se renversa en arrière. « Camembier va l’avoir, dit-il avec hauteur, et le petit Arthur. Pour les autres, je ne crois pas. On leur donne vingt minutes, qu’est-ce que tu en dis ? »

Teppic tourna vers lui une figure au supplice. « Chiddy, je…

— Quoi ?

— Au dernier moment, j’…

— Quoi donc ? »

Teppic contempla les pavés. « Rien, répondit-il.

— Tu as de la veine, toi… Tu t’es bien baladé au grand air sur les toits. Moi, je me suis payé les égouts et, après, la garde-robe dans la tour des Merciers. Il a fallu que je me change en rentrant.

— Tu as eu un mannequin, toi ? demanda Teppic.

— Bon sang, pas toi ?

— Mais ils nous ont fait croire que ç’allait être vrai ! gémit Teppic.

— Tu as cru que c’était vrai, non ?

— Si !

— Ben alors. Et tu es reçu. Pas de problème.

— Mais tu ne t’es pas demandé qui ça pouvait être sous la couverture, qui c’était et pourquoi… ?

— J’avais surtout peur de rater mon coup, reconnut Chidder. Puis je me suis dit… ben… c’est pas mes oignons.

— Mais moi, je… » Teppic se tut. Que pouvait-il faire ? S’expliquer ? D’une certaine façon, ça ne paraissait pas une très bonne idée.

Son ami lui flanqua une claque dans le dos.

« Ne t’en fais donc pas ! dit-il. On l’a eu ! »

Et Chidder brandit son pouce pressé contre l’index et le majeur de la main droite, selon l’antique salut des assassins.

* * *

Un pouce pressé contre deux doigts, et la silhouette maigre de Crucialle, le professeur principal, dressée au-dessus des élèves apeurés.

« Nous ne sommes pas des meurtriers », dit-il. Il avait la voix douce ; le professeur ne l’élevait jamais, mais il avait une façon de lui donner la hauteur et l’effet qui lui permettaient de se faire entendre dans un ouragan.

« Nous n’exécutons pas. Nous ne massacrons pas. Jamais, soyez-en sûr, jamais nous ne torturons. Nous ne donnons pas dans le crime passionnel, vengeur ni gratuit. Nous ne le faisons pas pour tirer plaisir de l’inhumation, pour satisfaire quelque besoin secret, pour y gagner de menus avantages, pas plus que pour défendre une cause ni une croyance ; je vous le dis, messieurs, toutes ces raisons sont suspectes au dernier degré. Regardez le visage de l’homme qui veut vous tuer au nom d’une croyance, et vos narines vont flairer l’odeur de l’abomination. Écoutez un discours prônant la guerre sainte, et, je vous l’assure, vos oreilles vont entendre les bruissements des écailles du Mal et le frottement de sa queue monstrueuse par-dessus la pureté du langage.

« Non, nous le faisons pour l’argent.

« Et, parce qu’il nous faut surtout connaître la valeur d’une vie humaine, nous le faisons pour très cher.

« Il existe peu de motifs aussi louables, aussi dépourvus d’hypocrisie.

« Nil mortifi sine lucre. Rappelez-vous. On ne tue pas sans être payé. »

Il marqua une pause.

« Et donnez toujours un reçu », ajouta-t-il.

* * *

« Alors, tout va bien », fit Chidder. Teppic hocha tristement la tête. Voilà ce qui était agréable chez Chidder. Il avait cette faculté enviable de ne pas prendre ce qu’il faisait au sérieux.

Une silhouette s’avança prudemment par les portes ouvertes[7]. La lumière de la torche dans la loge du concierge se refléta sur des cheveux blonds et bouclés.

« Vous l’avez eu tous les deux, alors », fit Arthur en brandissant négligemment le bout de papier.

Arthur avait beaucoup changé en sept ans. Le peu d’enthousiasme du Grand Orm à exercer sur lui une vengeance organique pour son manque de piété l’avait guéri de sa propension à courir partout, la tête cachée sous son habit. Sa petite taille lui donnait un avantage naturel dans les secteurs professionnels qui impliquaient des espaces réduits. Son aptitude innée à canaliser sa violence s’était révélée le jour où Coupchou et quelques copains avaient trouvé marrante l’idée de lancer en l’air les bizuts dans une couverture et qu’ils avaient commencé par Arthur ; au bout de dix secondes il avait fallu les efforts conjugués de tous les gars du dortoir pour le retenir et lui arracher les restes d’une chaise d’entre les doigts. On avait appris par la suite qu’il était le fils de feu Johan Ludorum, l’un des plus grands assassins de l’histoire de la Guilde. Les fils d’assassins défunts bénéficiaient toujours de la gratuité des études. Oui, la corporation manifestait parfois une vocation sociale.

Il ne faisait de doute à personne qu’Arthur serait reçu. Il avait suivi des cours supplémentaires et obtenu le droit de se servir de poisons particulièrement raffinés. Il allait probablement rester afin de parfaire son éducation.

Ils attendirent jusqu’à ce que les gongs de la cité sonnent deux heures. L’horlogerie morporkienne n’était pas une technologie de grande précision, et de toute façon la plupart des communautés locales avaient leur propre idée sur la composition d’une heure, aussi les carillons continuèrent-ils de rebondir sur les toits pendant cinq minutes.

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7

Les portes de la Guilde des Assassins ne ferment jamais. C’est, dit-on, parce que la Mort tient toujours boutique ouverte, mais en réalité c’est parce que les gonds ont rouillé des siècles plus tôt et que personne ne s’est soucié d’y remédier.