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Le bourdon du grand prêtre résonnait en écho à mesure qu’il frappait les dalles.

« Nous allons trouver notre père quelque peu changé depuis la dernière fois que nous l’avons vu, j’en ai peur, fit Dios sur le ton de la conversation tandis qu’ils passaient de leur démarche ondulante devant la fresque de la reine Khaphut acceptant le tribut des Royaumes du Monde.

— Ben, oui, dit Teppic, surpris par le ton. Il est mort, non ?

— À cause de ça, aussi », reconnut Dios, et Teppic comprit que le grand prêtre ne pensait pas à un détail aussi trivial que la condition physique actuelle du roi.

Il succombait à une admiration horrifiée. Dios n’avait rien de franchement cruel ni d’inhumain, non, mais il ne voyait dans la mort qu’une transition agaçante dans la routine éternelle de l’existence. Le fait que les gens meurent n’était qu’un désagrément, comme lorsqu’on rend visite à des amis et qu’ils sont sortis.

C’est un monde étrange, songea le jeune homme. Grouillant d’ombres, mais qui ne change jamais. Et j’en fais partie.

« Qui c’est ? » demanda-t-il, le doigt pointé vers une fresque particulièrement imposante représentant un homme de haute taille affublé d’une coiffure comme une cheminée et d’une barbe comme une corde, qui roulait en char sur les corps de tout un tas d’autres gens beaucoup plus petits.

« Son nom se trouve dans le cartouche en dessous, répondit Dios d’un air compassé.

— Quoi ?

— Le petit encadrement elliptique, sire. »

Teppic examina de près les hiéroglyphes serrés.

« “Aigle maigre, œil, trait ondulé, homme avec un bâton, oiseau assis, trait ondulé” », lut-il. Dios grimaça.

« Je crois qu’il va falloir davantage nous consacrer à l’étude des langues modernes, dit-il en se ressaisissant un peu. Il s’appelle Pta-ka-ba. Il est roi quand l’empire du Djel s’étend de la mer Circulaire à l’océan du Bord, quand presque la moitié du continent nous paye son tribut. »

Teppic comprit ce qu’il y avait d’étrange dans la façon de s’exprimer du grand prêtre : quitte à malmener sa phrase, il refusait de parler au passé. Il désigna une autre fresque.

« Et elle ? demanda-t-il.

— C’est la reine Khat-leon-ra-pta, répondit Dios. Elle s’empare du royaume d’Howonda en cachette. C’est l’époque du Second Empire.

— Mais elle est morte ?

— À ce qu’il me semble », fit le grand prêtre après une très légère pause. Oui. Dios était bel et bien fâché avec le passé.

« J’ai appris sept langues, dit Teppic, sachant pertinemment que les notes obtenues dans trois d’entre elles resteraient au secret dans les registres de la Guilde.

« Vraiment, sire ?

— Oh, oui. Morporkien, vanglemesht, éphèbe, laotatien et… plusieurs autres…

— Ah. »

Dios hocha la tête, sourit et continua d’avancer dans le couloir. Il boitait un peu mais gardait un pas aussi régulier que le tic-tac des siècles. « Les contrées barbares. »

* * *

Teppic examina son père. Les embaumeurs avaient fait du bon travail. Ils attendaient qu’il les félicite.

Une partie de lui restée à Ankh-Morpork disait : c’est un corps mort enveloppé dans des bandelettes, ils ne s’imaginent tout de même pas que ça va arranger son état ? À Ankh, vous mourez, on vous enterre, ou alors on vous brûle, quand on ne vous jette pas aux corbeaux. Ici, ça veut dire que vous êtes un peu moins actif et qu’on vous donne ce qu’il y a de mieux à manger. C’est ridicule, comment gouverner un royaume comme ça ? Ils ont l’air de croire qu’être mort c’est comme être sourd, il suffit de parler un peu plus fort.

Mais une deuxième voix, plus ancienne, disait : nous gouvernons un royaume comme ça depuis sept mille ans. Le cultivateur de melons le plus humble appartient à un lignage qui relègue les rois des autres pays au rang des éphémères. Nous possédions le continent avant de le revendre pour payer les pyramides. Nous refusons même de prendre en considération les autres pays âgés de moins de trois mille ans. Le système a l’air de fonctionner.

« Salut, père », fit-il.

L’ombre de Teppicymon XXVII, qui l’observait attentivement, s’empressa de traverser la salle.

« Tu as bonne mine ! dit-il. Je suis content de te voir ! Attends, j’ai quelque chose d’urgent à te dire. Écoute-moi bien, s’il te plaît, c’est au sujet de la mort…

— Il dit qu’il est ravi de vous voir, fit Dios.

— Vous l’entendez ? s’étonna Teppic. Je n’ai rien entendu, moi.

— Les morts, naturellement, parlent par l’intermédiaire des prêtres. C’est la coutume, sire.

— Mais il m’entend, pas vrai ?

— Bien entendu.

— J’ai réfléchi à cette histoire de pyramide… Écoute, je me demande si c’est bien nécessaire. »

Teppic se pencha plus près. « Tantine vous transmet ses amitiés », fit-il très fort.

Puis, après réflexion : « Enfin, ma tante à moi, pas la vôtre. » J’espère, ajouta-t-il pour lui-même.

« Dis ? Dis ? Tu m’entends ?

— Il vous envoie ses salutations depuis le monde de l’au-delà, fit Dios.

— Bon, oui, admettons, mais ÉCOUTE, je ne veux pas que tu t’embêtes à bâtir…

— Nous allons vous bâtir une pyramide merveilleuse, père. Vous allez vraiment l’adorer. Il y aura des gens pour s’occuper de vous et tout. » Teppic lança un coup d’œil à Dios pour être rassuré. « Ça va lui plaire, hein ?

— Je n’en VEUX PAS ! hurla le roi. J’ai toute une éternité de choses intéressantes encore à voir. Je vous interdis de me fourrer dans une pyramide !

— Il dit que c’est tout à fait indiqué et que vous êtes un fils respectueux, transmit Dios.

— Est-ce que vous me voyez ? Combien j’ai de doigts, là ? Vous croyez que c’est drôle, vous, de passer le reste de sa mort sous un million de tonnes de cailloux, de se regarder tomber en miettes ? C’est ça, votre idée d’une existence dorée ?

— Il y a beaucoup de courants d’air par ici, sire, fit Dios. Nous devrions peut-être poursuivre.

— De toute façon, vous n’avez pas les moyens !

— Et nous y mettrons vos fresques et vos statues préférées. Ça va vous plaire, sûrement, dit Teppic d’une voix désespérée. Toutes vos petites affaires autour de vous.

» Ça va lui plaire, hein ? demanda-t-il à Dios tandis qu’ils revenaient vers la salle du trône. Seulement, je ne sais pas, j’ai comme l’impression qu’il n’est pas très content.

— Je vous assure, sire, fit Dios, c’est son plus cher désir. » Dans la salle d’embaumement, le roi Teppicymon XXVII essaya de taper sur l’épaule de Gern, sans effet. Il renonça et s’assit à côté de lui-même. « Reste comme tu es, mon garçon, dit-il d’un ton amer. N’aie jamais de descendants. »

* * *

Puis il y eut la Grande Pyramide proprement dite.

Les dalles de marbre retentissaient sous les pas de Teppic qui tournait autour de la maquette. Il se demandait un peu ce qu’on était censé faire dans ces cas-là. Mais les rois, se disait-il, affrontaient souvent ce genre de situation ; il restait toujours le bon vieux recours qui consistait à manifester de l’intérêt.

« Bien, bien, dit-il. Vous êtes dans les pyramides depuis longtemps ? »

Ptaclusp, architecte et bâtisseur de pyramides à la tâche, s’inclina très bas.