Выбрать главу

— Tu la vois, toi aussi ?

— Oh, maman », gémit Gern en se laissant tomber à genoux.

Aneth hocha la tête. Il avait de la religion. C’était un grand réconfort de connaître la présence des dieux. Mais d’y être confronté l’enchantait beaucoup moins.

À cause d’un corps de femme arqué au-dessus des cieux, légèrement bleuté, légèrement indistinct à la lumière des étoiles pâles.

Elle était gigantesque, ses mensurations interstellaires. La zone d’ombre entre ses seins galactiques formait une nébuleuse noire, la courbe de son ventre un immense remous de gaz rougeoyants, son nombril l’incandescence bouillonnante et obscure où naissaient de nouvelles étoiles. Elle ne soutenait pas le ciel. Elle était le ciel.

Son visage démesuré à l’air triste, tourné vers le monde, au-dessus de l’horizon côté sens direct, regardait directement Aneth. Et Aneth s’apercevait que rien n’ébranle autant une croyance que de voir clairement et distinctement l’objet de cette croyance. Voir, contrairement à la sagesse populaire, n’est pas croire. C’est là que s’arrête la croyance parce qu’on n’a plus besoin d’elle.

« Oh, putain », gémit Gern.

Aneth lui tapa sur le bras.

« Arrête ça, dit-il. Et viens avec moi.

— Oh, maître, qu’est-ce qu’on va faire ? »

Aneth regarda la ville endormie autour de lui. Il n’en avait pas la moindre idée.

« On va rentrer au palais, dit-il d’un ton ferme. C’est sûrement un effet du… du… du noir. De toute façon, le soleil va se lever tout à l’heure. »

Il partit à grands pas en regrettant de ne pouvoir changer sa place avec celle de Gern et manifester ne serait-ce qu’un soupçon de terreur bredouillante. L’apprenti le suivit à la vitesse d’une limace au galop.

« J’vois des ombres devant les étoiles, maître ! Vous les voyez, maître ? Autour du bord du monde, maître !

— Rien que de la brume, petit », fit Aneth qui gardait résolument les yeux braqués devant lui et observait une attitude digne comme il sied au gardien de la Porte Gauche de la Loge du Natron et détenteur de plusieurs médailles en travaux d’aiguille.

« Là, dit-il. Tu vois, Gern, le soleil se lève. »

Ils s’arrêtèrent pour le regarder.

Puis Gern gémit, tout doucement.

Dans le ciel, très lentement, montait une grosse boule de feu. Poussée par un bousier plus grand que des mondes.

LIVRE III

Le livre du nouveau fils

Le soleil se leva et, comme il n’y avait plus de Vieux Royaume, ce n’était qu’une simple boule de gaz en fusion. La nuit violette du désert s’évaporait sous son éclat aveuglant de lampe à souder. Les lézards se précipitèrent dans les anfractuosités des rochers. Sale-Bête s’installa dans l’ombre clairsemée de ce qui restait des buissons de syphacias, considéra d’un air hautain le paysage, puis se mit à ruminer et à calculer des racines carrées en base sept.

Teppic et Ptorothée finirent par trouver l’ombre d’un surplomb calcaire et s’y réfugièrent pour contempler les vagues de chaleur qui montaient en tremblotant des rochers.

« Je ne comprends pas, dit Ptorothée. Vous avez regardé partout ?

— C’est un pays ! Ça ne disparaît pas comme ça dans un trou !

— Il est où, alors ? » fit Ptorothée d’un ton égal.

Teppic grogna. La chaleur cognait comme un marteau mais il sortit de son abri et arpenta les rochers comme si quatre cent cinquante kilomètres carrés pouvaient se cacher derrière un buisson ou sous un caillou.

Le fait était là : la piste plongeait entre les falaises mais remontait presque aussitôt et se poursuivait à travers les dunes dans ce qui était manifestement le territoire de Tsort. Il avait reconnu un sphinx érodé par le vent qu’on avait érigé comme borne de démarcation ; la légende prétendait qu’il rôdait à la frontière en période de crise grave nationale, mais pour quelle raison ? la légende en question n’en était pas sûre.

Il savait qu’ils avaient galopé jusqu’au territoire d’Ephèbe. Son regard aurait dû survoler entre les deux pays la vallée fertile du Jolh parsemée de pyramides.

Ça faisait une heure qu’il la cherchait.

C’était inexplicable. Inquiétant. Et aussi très gênant.

Il s’abrita les yeux des mains et inspecta pour la millième fois le paysage silencieux cuit par le soleil. Il bougea la tête. Et vit le Jolhimôme.

L’image traversa son champ de vision le temps d’un éclair. Il ramena les yeux en arrière et la revit, une fulgurance de couleur brumeuse qui disparut dès qu’il se concentra sur elle.

Quelques minutes plus tard, Ptorothée, qui l’observait d’un œil inquiet depuis son abri, le vit se mettre à quatre pattes. Lorsqu’il entreprit de retourner des pierres, elle décida qu’il avait passé assez de temps au soleil.

D’une secousse, il se débarrassa de la main qu’elle lui posait sur l’épaule et fit un geste impatient.

« Je l’ai retrouvé ! »

Il tira un couteau de sa chaussure et donna des petits coups aux cailloux.

« Où ça ?

— Ici ! »

Elle lui posa des doigts pleins de bagues sur le front.

« Oh, oui, dit-elle. Je vois. Oui. Bon. Maintenant je crois que vous feriez mieux de revenir à l’ombre.

— Non, je ne blague pas ! Ici ! Regardez ! »

Elle s’accroupit et fixa la roche pour lui faire plaisir.

« Il y a une fissure, dit-elle, indécise.

— Observez-la, vous voulez bien ? Faut tourner la tête et regarder plus ou moins du coin de l’œil. » La dague de Teppic claqua dans la fissure qui n’était rien de plus qu’un sillon léger sur la roche.

« Ben, elle va loin, fit Ptorothée en fixant la surface brûlante.

— Depuis la deuxième cataracte jusqu’au delta. Si vous vous cachez l’œil d’une main, c’est plus facile. S’il vous plaît, essayez. S’il vous plaît ! »

Elle se mit une main hésitante sur l’œil et loucha docilement sur la roche.

« Ça ne donne rien, finit-elle par dire, je ne… J’le voiiiis… »

Elle resta un instant sans bouger puis se jeta de côté sur les cailloux. Teppic cessa de vouloir enfoncer la dague dans la fissure et rampa jusqu’à elle.

« J’étais tout au bord ! gémit-elle.

— Vous l’avez vu ? » dit-il avec espoir.

Elle fit oui de la tête puis, très prudemment, elle se mit debout et recula.

« Est-ce que vous avez eu l’impression que vos yeux se retournaient à l’envers ? demanda Teppic.

— Oui, répondit Ptorothée avec froideur. Je peux récupérer mes bracelets, s’il vous plaît ?

— Quoi ?

— Mes bracelets. Vous les avez mis dans votre poche. Je les veux, s’il vous plaît. »

Teppic haussa les épaules et fouilla dans son sac. Les bracelets étaient surtout en cuivre incrusté de quelques éclats d’émail. Ici et là, les artisans avaient essayé, sans grand succès, d’obtenir un effet original avec des bouts de fil métallique torsadés et de gros morceaux de verre coloré. Elle les prit et les enfila.

« Ils ont une signification occulte ? fit-il.

— Ça veut dire quoi : occulte ? demanda-t-elle distraitement.

— Oh. Vous en avez besoin pour quoi, alors ?

— Je vous l’ai dit. Je ne me sens pas correctement habillée sans eux. »

Teppic haussa les épaules et retourna remuer son couteau dans la fissure.

« Pourquoi vous faites ça ? » demanda-t-elle. Il s’arrêta pour réfléchir.

« Je ne sais pas, répondit-il. Mais vous avez vu la vallée, n’est-ce pas ?