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— Ne me regardez pas », fit Aneth en reculant. Il avait passé en revue les autres métiers qui s’offraient maintenant à lui. Tapissier, en voilà un qui le tentait bien. Au moins, les fauteuils ne se lèvent pas pour décamper une fois qu’on les a empaillés.

IIb se pencha sur le corps. « Regardez ce qu’il tient dans la main, dit-il en dépliant doucement les doigts. Un morceau de métal fondu. Pourquoi il garde ça ? »

… Teppic rêvait.

Il vit sept vaches grasses et sept vaches maigres, et l’une d’elles faisait du vélo.

Il vit des chameaux qui chantaient, et la chanson redressa les plis de la réalité.

Il vit un doigt écrire sur le mur d’une pyramide : Sortir, c’est facile. Revenir exige (suite sur l’autre mur)…

Il passa l’angle de la pyramide, et le doigt termina :…un effort de volonté, parce que c’est beaucoup plus dur. Merci.

Teppic réfléchit et se dit qu’il lui restait encore une chose à faire. Il n’avait jamais su comment procéder jusqu’à ce jour, mais il voyait à présent qu’il ne s’agissait que de nombres, disposés dans un ordre particulier. Toute la magie se réduit à une façon de décrire le monde avec des mots que le monde ne peut pas ignorer.

Il grogna sous l’effort.

Il y eut un bref moment d’accélération.

Aneth et IIb regardèrent autour d’eux : de longs rayons lumineux étincelaient dans la brume et la poussière, changeaient le paysage en vieil or.

Et le soleil se leva.

* * *

Le sergent ouvrit prudemment le panneau dans le ventre du cheval. Il constata que la rafale de piques à laquelle il s’attendait ne venait pas et il ordonna à Téléprompteur de faire tomber l’échelle de corde, puis il la descendit et parcourut des yeux le désert frisquet du petit matin.

La nouvelle recrue le suivit et se mit à sautiller sur place d’une sandale sur l’autre, à cause du sable qui lui gelait les pieds à cette heure mais les frirait à celle du déjeuner.

« Là-bas, fit le sergent, le doigt pointé, té, tu vois les lignes tsortiennes, petit ?

— Moi, ça m’a l’air d’un rang de chevaux de bois, sergent, fit Téléprompteur. Celui du bout est à bascule.

— Celui des officiers. Huh. Ces Tsortiens, ils nous prennent pour des demeurés. » Le sergent tapa des semelles pour ramener un peu de vie dans ses jambes, prit quelques inspirations d’air frais et revint à l’échelle. « Viens, mon gars, dit-il.

— Pourquoi faut qu’on remonte ? »

Le sergent s’arrêta, le pied sur un échelon de corde.

« Sers-toi de ta cervelle, petit. Ils vont pas venir chercher nos chevaux si on reste dehors, hé ? Ça tombe sous le sens.

— Vous êtes sûrs qu’ils vont venir, alors ? » demanda Téléprompteur. Le sergent le regarda de travers.

« Écoute, soldat, dit-il, les ceusses assez fadas pour croire qu’on va ramener des chevaux pleins de soldats chez nous sont sûrement assez couillons pour ramener les nôtres chez eux. C.Q.F.D.

— C.Q.F.D., sergent ?

— Ça veut dire : remonte-moi cette putain d’échelle, pitchoun. »

Téléprompteur salua. « Je demande d’abord la permission d’être excusé, sergent.

— Excusé de quoi ?

— Excusé tout court, sergent, fit Téléprompteur, une ombre de désespoir dans la voix. J’veux dire, on est un peu à l’étroit dans le cheval, sergent, si vous voyez ce que j’veux dire.

— Va te falloir un peu plus de force de caractère si tu tiens à rester dans l’infanterie à cheval, petit. Tu sais ça ?

— Oui, sergent, répondit Téléprompteur d’un air misérable.

— J’te donne une minute.

— Merci, sergent. »

Une fois le panneau refermé au-dessus de sa tête, Téléprompteur se faufila jusqu’à l’une des pattes massives du cheval et lui fit subir un traitement auquel elle n’était pas destinée.

Et ce fut pendant qu’il regardait droit devant, les yeux vagues, perdu dans cette contemplation parfaitement zen typique de ces moments intenses, que se produisit un petit plop et que toute une vallée fluviale s’ouvrit sous son nez.

Des choses pareilles ne devraient pas arriver aux distraits. Tenus, qui plus est, de laver eux-mêmes leur uniforme.

* * *

Une brise marine balaya le Royaume, elle souffla, ou plutôt rugit littéralement des effluves de sel, de coquillages et de littoral baigné de soleil. Quelques oiseaux de mer désorientés tournoyèrent au-dessus de la nécropole où le vent s’engouffrait parmi les bâtiments effondrés et recouvrait de sable les monuments élevés à la mémoire des anciens rois, et les oiseaux en disaient plus long d’une simple contraction intestinale que toutes les déclarations d’Ozymandias.

Le vent apportait un soupçon de fraîcheur, nullement désagréable. Les habitants sortis réparer les dégâts causés par les dieux éprouvèrent le besoin de lui offrir leur visage, à la façon des poissons dans un étang qui se tournent vers un afflux d’eau fraîche et claire.

Personne ne travaillait dans la nécropole. La plupart des pyramides avaient fait sauter leurs niveaux supérieurs et continuaient de fumer doucement comme des volcans récemment éteints. Ici et là gisaient des blocs de marbre noir. L’un d’eux avait décapité une jolie statue de Bitos, le dieu à tête de vautour.

Les ancêtres avaient disparu. Personne ne se proposait d’aller à leur recherche.

Vers la mi-journée, un bateau remonta le Jolh toutes voiles dehors. C’était un bateau à l’apparence trompeuse. Il donnait l’impression de se vautrer comme un gros hippopotame sans défense, mais il suffisait de l’observer quelques instants pour s’apercevoir qu’il avançait aussi à très grande vitesse. Il jeta l’ancre en face du palais.

Un instant plus tard, il mit un canot à l’eau.

* * *

Assis sur son trône, Teppic regardait le Royaume se reconstruire, comme un miroir brisé dont on recolle les morceaux et qui réfléchit la même vieille lumière de façon nouvelle et inattendue.

Personne ne savait vraiment à la suite de quoi il occupait le trône, mais personne d’autre non plus n’avait la moindre envie de prendre sa place et c’était un soulagement d’entendre des ordres donnés d’une voix claire et assurée. Étonnant à quels ordres le peuple accepte d’obéir dès lors qu’on les donne d’une voix claire et assurée.

Et puis donner des ordres l’empêchait de penser. Comme par exemple à ce qui allait arriver ensuite. En tout cas, les dieux étaient retournés à leur non-existence – du coup c’était beaucoup plus facile de croire en eux – et l’herbe ne lui poussait plus sous les pieds.

Peut-être que je peux reconstruire le royaume, se dit-il. Mais pour le mener où ? Si seulement on retrouvait Dios ! Il savait toujours quoi faire, Dios, il avait ça de bien.

Un garde se fraya un passage dans la foule grouillante des prêtres et des nobles. « Excusez-moi, Votre Sire, fit-il. Un marchand veut vous voir. Il dit que c’est urgent.

— Pas maintenant, mon vieux. Des représentants des armées éphébienne et tsortienne ont audience dans une heure, et j’ai beaucoup à faire avant. Je ne peux pas m’amuser à recevoir tous les marchands de passage. Il vend quoi, au fait ?

— Des tapis, Votre Sire.

— Des tapis ? »

C’était Chidder, la figure fendue d’un sourire en moitié de pastèque, suivi de plusieurs membres d’équipage. Il remonta la grand-salle en passant en revue les fresques et les tentures. Connaissant Chidder, il devait sûrement les évaluer. Autant dire qu’arrivé devant le trône il soulignait déjà le total d’un double trait.