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* * *

Le soleil atteignit le plein midi sans l’aide d’aucun scarabée, et Koomi voltigeait autour du trône comme Bitos, le dieu à tête de vautour.

« Votre Majesté sera bien aise de confirmer mon accession au rang de grand prêtre, dit-il.

— Quoi ? » Ptorothée, assise, se tenait le menton dans la main. Elle agita l’autre dans sa direction. « Oh. Oui. D’accord. Très bien.

— Nous n’avons, hélas, trouvé aucune trace de Dios. Nous pensons qu’il se tenait tout près de la Grande Pyramide quand elle… s’est embrasée. »

Ptorothée avait les yeux dans le vague. « Continuez », fit-elle.

Koomi prit un air avantageux. « Les préparatifs du couronnement officiel vont demander un certain temps, dit-il en saisissant le masque d’or. Toutefois, Votre Gracieuseté sera bien aise de porter à présent le masque de l’autorité, car il reste beaucoup d’affaires d’État à régler. »

Elle lorgna le masque.

« Je refuse de porter ça », dit-elle tout net.

Koomi sourit. « Votre Majesté sera bien aise de porter le masque de l’autorité, répéta-t-il.

— Non. »

Le sourire de Koomi se craquela sur les bords tandis qu’il s’efforçait d’appréhender ce nouveau concept. Il était sûr que Dios n’avait jamais eu ce type de problème à résoudre.

Il le surmonta en le contournant, en biaisant. Le biaisage lui avait rendu de signalés services tout au long de sa vie ; il n’allait pas l’abandonner maintenant. Il posa délicatement le masque sur un tabouret.

« C’est la première heure, dit-il. Votre Majesté va vouloir conduire le rituel de l’Ibis, puis accorder gracieusement une audience aux chefs militaires des armées tsortienne et éphébienne. Toutes deux demandent la permission de traverser le royaume. Votre Majesté va le leur interdire. À la deuxième heure, il… »

Ptorothée tambourinait des doigts sur les bras du trône. Puis elle prit une profonde inspiration. « Je vais prendre un bain », annonça-t-elle.

Koomi vacilla légèrement.

« C’est la première heure, répéta-t-il, incapable de trouver autre chose à dire. Votre Majesté va vouloir conduire…

— Koomi ?

— Oui, ô noble reine ?

— La ferme.

— …le rituel de l’Ibis… gémit Koomi.

— Je suis sûre que vous êtes capable de vous en charger tout seul. Vous m’avez l’air d’un homme qui fait les choses tout seul ou je ne m’y connais pas, ajouta-t-elle aigrement.

— …Les chefs des armées…

— Dites-leur… commença Ptorothée avant de s’arrêter. Dites-leur, reprit-elle, qu’ils peuvent tous les deux traverser. Pas un plutôt que l’autre, compris ? Tous les deux.

— Mais… – le cerveau de Koomi combla enfin son retard sur les oreilles – ça veut dire qu’ils vont chacun se retrouver de l’autre côté.

— Tant mieux. Et après ça vous passerez commande de chameaux. Il y a un marchand à Ephèbe avec un bon cheptel. Vérifiez d’abord les dents. Oh, et ensuite vous demanderez au capitaine de l’Anonyme de venir me voir. Il a commencé à m’expliquer ce qu’est un « port franc ».

— Pendant votre bain, ô reine ? » s’étonna faiblement Koomi. Il ne pouvait s’empêcher de remarquer, à présent, combien la voix de la jeune femme changeait à chaque nouvelle phrase, à mesure que le vernis de l’éducation fondait sous le chalumeau de l’hérédité.

« Il n’y a aucun mal à ça, répliqua-t-elle d’un ton sec. Et occupez-vous de la plomberie. On dirait que la mode est aux tuyaux.

— Pour le lait d’ânesse ? fit Koomi, perdu dans le désert[30] corps et biens.

— La ferme, Koomi.

— Oui, ô reine », fit Koomi d’une voix misérable.

Il voulait le changement. Seulement, il voulait aussi que tout reste pareil.

* * *

Le soleil descendit sur l’horizon sans aide d’aucune sorte. Pour certains, la journée s’avérait plutôt bonne.

La lumière rougeoyante éclaira les trois membres mâles de la dynastie Ptaclusp, alors qu’ils étudiaient les plans d’un… « Ça s’appelle un pont, dit IIb.

— C’est comme un aqueduc, non ? fit Ptaclusp.

— À l’envers, comme qui dirait, rectifia IIb. L’eau passe dessous et les gens dessus.

— Oh. Le r… la reine ne va pas aimer ça, dit Ptaclusp. La famille royale a toujours refusé qu’on entrave le fleuve sacré avec des digues, des barrages, tous ces machins-là. »

IIb eut un large sourire triomphant. « C’est elle qui l’a proposé. Et elle a aimablement demandé de prévoir des affûts d’où les gens lâcheraient des cailloux sur les crocodiles.

— Elle a demandé ça ?

— De gros cailloux pointus, elle a dit.

— Ma parole », fit Ptaclusp. Il se tourna vers son autre fils. « Tu es sûr que ça va ? lui lança-t-il.

— Tout va bien, p’pa, répondit IIa.

— C’est que tu n’as pas posé de questions sur le prix que ça allait coûter. Je me suis dit que peut-être tu te sentais encore à pl… encore patraque.

— La reine a eu la bonté de me demander de jeter un coup d’œil aux finances royales. D’après elle, les prêtres ne savent pas additionner. » Ses récentes expériences ne lui avaient pas laissé d’autre séquelle qu’une tendance profitable à penser à quatre-vingt-dix degrés de tout le monde, aussi affichait-il une figure rayonnante pendant que son cerveau élaborait des tarifs douaniers, des droits d’amarrage et un système complexe de taxe sur la valeur ajoutée qui allait sous peu donner aux marchands aventuriers d’Ankh-Morpork un choc désagréable.

Ptaclusp songeait à tous les kilomètres de Jolh vierge, entièrement dépourvus de ponts. Et on trouvait désormais quantité de blocs de pierre déjà taillés dans le coin, par millions de tonnes. Et, allez donc savoir, peut-être que sur certains de ces ponts il y aurait une petite place pour une ou deux statues. Il avait exactement l’article qu’il fallait.

Il passa les bras sur les épaules de ses fils. « Les gars, dit-il fièrement, ça m’a l’air très quantique, tout ça. »

* * *

Le soleil couchant éclairait aussi Aneth et Gern, quoique en faisant un détour par le puits de lumière des cuisines du palais. Les deux hommes avaient atterri là sans raison particulière. Mais rester seuls dans la salle d’embaumement, ils trouvaient ça trop déprimant.

Le personnel de cuisine s’affairait autour d’eux, sensible à l’air de tristesse impénétrable qui enveloppait les deux embaumeurs. Leur travail n’avait jamais vraiment favorisé les relations sociales, et les embaumeurs ne se faisaient pas facilement des amis. De toute façon, il y avait le banquet du couronnement à préparer.

Assis au milieu de l’effervescence, ils se penchaient sur l’avenir et sur un pichet de bière.

« Je pense, dit Gern, que Gwlenda pourra parler à son père.

— C’est ça, mon gars, fit Aneth d’une voix lasse. Il y a de l’avenir là-dedans. On aura toujours besoin d’ail.

— Un truc vachement chiant, l’ail, oui ! lança Gern avec une véhémence inhabituelle. On voit jamais personne. C’est ça que j’aimais dans notre boulot. Tout le temps des têtes nouvelles.

— Plus de pyramides, fit Aneth sans rancœur. C’est ce qu’elle a dit. Vous avez fait du bon travail, maître Aneth, elle a dit, mais je vais forcer ce pays, qu’il le veuille ou non, à entrer dans le siècle du Gros Rat.

— Du Cobra, rectifia Gern.

— Quoi ?

— Le siècle du Cobra. Pas du Gros Rat.

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30

Dans une civilisation moins aride, on aurait employé l’expression « en mer ».