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Elle rougit. « Il m’en a proposé quelques-unes sur le bateau.

— Alors, tu vois. Je savais que tous les deux, vous alliez vous entendre comme larrons en foire. Rires, chansons, tout le monde qui roule sous la table…

— Et tu vas redevenir un assassin, c’est ça ? ricana-t-elle.

— Je ne crois pas. J’ai inhumé une pyramide, un panthéon et tout l’ancien royaume. Ça vaut peut-être la peine que j’essaye autre chose. Au fait, tu n’aurais pas vu des petites pousses vertes sortir de terre partout où tu passes, des fois ?

— Non. C’est idiot, une idée pareille. »

Teppic se détendit. C’était vraiment fini, alors. « Ne laisse pas l’herbe te pousser sous les pieds, c’est ça l’important. Et tu n’as pas vu non plus de mouettes dans le coin ?

— Il y en a des tas aujourd’hui, tu n’as pas remarqué ?

— Si. Une bonne chose, je crois. »

Sale-Bête les regarda discuter encore un peu, tenir le genre de conversation longuette et décousue que deux individus de sexe opposé engagent quand ils ont autre chose en tête. C’était beaucoup plus facile avec les chameaux, la femelle n’avait qu’à s’assurer de la méthodologie du mâle.

Puis ils échangèrent un baiser très chaste, pour autant que puissent en juger les dromadaires. Ils avaient pris une décision.

Sale-Bête se désintéressa alors des jeunes gens et décida, pour sa part, de remanger son déjeuner.

* * *

Au commencement…

Le calme régnait dans la vallée. Le fleuve, aux berges toujours indomptées, musardait, languissant, dans les bouquets de joncs et de papyrus. Des ibis barbotaient dans les hauts-fonds ; au milieu du courant, les hippopotames plongeaient et faisaient surface lentement, comme des œufs dans du vinaigre.

Seuls troublaient le silence uligineux le « plouf » régulier d’un poisson ou les lamentations d’un crocodile.

Dios resta un moment étendu dans la vase. Il ne savait pas vraiment comment il était arrivé là, ni pourquoi ses robes étaient pour moitié arrachées, pour moitié roussies. Il se rappelait vaguement un bruit assourdissant et une impression de très grande vitesse tout en restant sur place. Pour l’heure, il ne voulait pas de réponses. Les réponses menaient à des questions, et les questions ne menaient jamais personne nulle part. Les questions gâchaient tout. La vase était fraîche et apaisante et il ne voulait rien savoir d’autre pour le moment.

Le soleil se coucha. Divers rôdeurs nocturnes s’aventurèrent près de Dios, mais quelque instinct animal les retint : les ennuis qu’ils allaient s’attirer ne valaient pas la peine de lui arracher la jambe.

Le soleil se leva de nouveau. Les hérons craquetèrent. La brume se dévida entre les étangs, se volatilisa à mesure que le ciel passait du bleu au bronze tout neuf.

Et pour Dios le temps s’écoula dans sa magnifique banalité jusqu’à ce qu’un bruit étranger s’empare du silence et lui fasse l’équivalent de le débiter en petits morceaux avec un couteau à pain rouillé.

C’était un bruit, en vérité, qui évoquait un âne qu’on aurait découpé à la tronçonneuse. Sur le plan sonore, il était à la mélodie ce qu’une barquette de dattes est au moto-cross de compétition. Pourtant, alors que d’autres voix le rejoignaient, semblables quoique différentes, dans toutes sortes de tonalités éclatées et de timbres disloqués, il exerçait un charme étrange. Séduisant. Attirant. Aspirant, aurait-on dit.

Le bruit gagna un plateau en une seule note pure formée d’une succession de discordances, puis, en une fraction de seconde, les voix se séparèrent, chacune le long d’un vecteur…

L’air frémit, le soleil tremblota.

Une douzaine de chameaux efflanqués, couverts de poussière, apparurent sur les collines au loin et coururent vers l’eau. Des oiseaux jaillirent des roseaux. Des sauriens à la traîne s’éclipsèrent en douceur des bancs de sable. Une minute plus tard, la berge n’était plus que boue malaxée sous les pieds des bêtes aux genoux cagneux qui se bousculaient, le nez dans l’eau.

Dios s’assit et vit son bourdon gisant dans la vase. Il était un peu brûlé, mais quand même intact, et Dios s’aperçut d’un détail qu’il n’avait curieusement jamais remarqué avant. Avant ? Il y avait eu un avant ? Assurément, il y avait eu un rêve, quelque chose comme un rêve…

Chaque serpent se mordait la queue.

En bas de la pente derrière les chameaux, une petite silhouette brune dont la famille en haillons se traînait à sa suite agitait un bâton à méhari. Il crevait visiblement de chaud et avait l’air complètement ahuri.

Il avait l’air, en vérité, d’un homme qui avait besoin de bons conseils et d’une main sûre pour le guider.

Les yeux de Dios revinrent au bourdon. Le bourdon exprimait quelque chose de très important, il le savait. Mais il n’arrivait pas à se rappeler quoi. Tout ce qu’il se rappelait, c’est qu’il était extrêmement lourd, et en même temps difficile à lâcher. Très difficile à lâcher. Mieux vaut ne pas le prendre, se dit-il.

Ou alors le prendre un instant seulement, le temps d’expliquer ce que sont les dieux et pourquoi les pyramides sont si importantes. Après, il pourrait le lâcher, sûrement.

En soupirant, ramenant ce qu’il restait de ses robes autour de lui pour se donner un peu de dignité, s’aidant du bourdon pour ne pas tomber, Dios partit à la rencontre de l’homme.

AINSI PREND FIN « PYRAMIDES », SEPTIÈME LIVRE DES ANNALES DU DISQUE-MONDE.