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9 Où il est question de noms de fleurs…

Cher Guillemot,

J’ai bien reçu ta lettre. Ce que tu me racontes est incroyable ! Te voilà Apprenti Sorcier ! Et pas de n’importe quel Sorcier : Qadehar le Poursuivant ! J’ai demandé à mon père : c’est une célébrité dans son genre. On raconte qu’il a passé sa vie à traquer des monstres de toutes sortes, et on dit que c’est le seul homme que l’Ombre craigne vraiment…

Guillemot interrompit sa lecture. Gontrand était-il sérieux ? L’Ombre, la grande menace du Monde Incertain, l’ennemi juré des gens d’Ys, insaisissable et maléfique, qui avait ravagé le pays à plusieurs reprises, craindrait donc son Maître ? Cela expliquait en tout cas le fait que, chez l’oncle Urien, le Sorcier ait pu évoquer l’Ombre publiquement, sans paraître le moins du monde effrayé. Quand même, comme l’écrivait son ami, cela paraissait à peine croyable !

Il se remit à lire.

C’est bizarre qu’il se soit transformé en baby-sitter ! Peut-être qu’il a décidé de se ranger. En tout cas, j’attends avec impatience les grandes vacances : ça sera génial de se retrouver tous à Troïl ! Bon, je te laisse : ton cousin trépigne à côté de moi pour ajouter quelques mots.

Guillemot abandonna de nouveau sa lecture et fut pris de doutes. Pourquoi Qadehar l’avait-il choisi lui ? Pourquoi l’avait-il poussé à renoncer à son rêve de chevalerie et à entrer au service de la Guilde ? Il se demandait souvent s’il avait fait le bon choix et éprouvait quelques inquiétudes à ce sujet.

En son for intérieur, et même s’il espérait de toutes ses forces avoir trouvé sa voie, il était persuadé que le Sorcier s’était trompé sur son compte, qu’il n’avait pas d’aptitude particulière pour la sorcellerie.

S’il était moyen en tout, pourquoi cela serait-il différent pour la magie ? Mais il n’avait plus le choix : il ne serait jamais Chevalier. Tout au plus était-il libre d’abandonner son apprentissage et de vivre une vie normale de citoyen d’Ys… Cette idée ne lui plaisait pas beaucoup. Il préférait penser que, même s’il n’avait pas de dons particuliers, il pourrait devenir Sorcier en travaillant dur ! Jusqu’à ce que, comme pour son Maître, le destin lui fasse un signe.

Il se replongea dans sa lecture.

Cher cousin,

Je profite de la lettre du grand ahuri, qui ne se sent plus depuis qu’il a gratté sa guitare à Troïl, pour te dire que je suis très fier que tu aies été choisi par le grand Qadehar ! Mon père trouve que c’est une bêtise, que notre oncle n’aurait jamais dû donner son autorisation. J’ai pris ta défense, tu t’en doutes !

Résultat : pas de cinéma samedi. Vivement que je sois Chevalier, pour qu’on s’en aille traquer tous les deux les monstres du Monde Incertain ! A très bientôt en tout cas :

Ambre m’a confirmé dans un courrier qu’elle viendrait avec Coralie passer les vacances d’été à Troïl. Ça sera génial !…

Romaric

Guillemot rangea pensivement la lettre dans son sac. C’était vrai, les vacances approchaient. Il avait redoublé d’efforts au troisième trimestre et était sûr maintenant de passer en quatrième à la rentrée. Mais surtout, il avait travaillé dur avec Qadehar. Il était prêt. Ce soir, son Maître ouvrirait pour lui Le Livre des Étoiles !

Tout à ses pensées, il n’entendit pas que l’on s’approchait du banc sur lequel il s’était assis, dans la cour de récréation.

– Alors, Guillemot l’endormi, on rêvasse ?

Guillemot sursauta. En face de lui, Agathe de

Balangru et sa bande l’observaient avec un mélange d’animosité et de curiosité.

– Ne lui fais pas peur, lança un garçon de la bande : il risquerait de s’évanouir !

Tous ricanèrent méchamment. La grande fille grimaça et les fit taire d’un simple geste.

– C’est vrai, nabot ? Il paraît qu’un Sorcier t’a pris en apprentissage ?

Guillemot observa attentivement Agathe et réfléchit à toute allure. Malgré ses airs de mépris, elle ne se comportait pas aujourd’hui comme d’habitude. On aurait dit… on aurait dit qu’elle avait peur ! Mais peur de quoi, et de qui ? De lui, c’était évident ! Ou plutôt, de l’Apprenti qu’il était devenu. Le cœur de Guillemot se mit à battre très vite. C’était le moment ou jamais d’en profiter ! Une chance pareille ne se reproduirait pas.

Il se leva, et s’efforça de garder une attitude tranquille

– Oui, c’est vrai. Qadehar le Poursuivant m’enseigne la magie.

Il avait prononcé le nom de son Maître en espérant qu’ils seraient impressionnés : ce fut le cas. Des murmures s’élevèrent au sein de la bande. Agathe les fit de nouveau taire, mais semblait maintenant franchement hésitante. Guillemot devait faire vite avant qu’elle se reprenne. Il les toisa tous du regard et annonça avec audace d’une voix calme :

– Maître Qadehar m’a appris hier un tour amusant : comment rapetisser les jambes des gens ! Je vais vous montrer.

Guillemot adopta la même posture que Qadehar avait prise pour détruire les épées, et prononça d’une voix forte :

– Taraxacum ! Papaver rhœas !

Thomas de Kandarisar, aussi stupide qu’il était fort, poussa un hurlement et prit ses jambes à son cou, immédiatement suivi par toute la bande. Agathe jeta un regard haineux sur le garçon fluet qui, les bras levés, invoquait des puissances maléfiques, puis elle s’enfuit à son tour.

Guillemot éclata de rire : il venait de faire fuir la terreur du collège en criant le nom savant du pissenlit et celui du coquelicot ! Pour cet instant de pur bonheur, il ne regretterait jamais d’avoir dit oui à Qadehar ! La magie, ça avait du bon.

Comme l’heure avançait, Guillemot quitta subrepticement le collège, traversa la ville, prit la route de Troïl et se hâta en direction de la colline où Qadehar lui avait donné rendez-vous.

Un gigantesque dolmen se dressait au sommet de la colline, d’où la vue portait loin au sud sur la mer, et à l’est sur les montagnes. Les enfants y venaient volontiers pour jouer, ainsi que les amoureux, lorsque la lune était pleine au printemps. Aujourd’hui, Guillemot était là pour tout autre chose.

Qadehar était déjà arrivé et l’attendait, assis en tailleur sur l’énorme dalle de granit. Il se leva à son approche.

– Bonjour, Guillemot !

– Bonjour, Maître, répondit le jeune garçon, essoufflé.

– Ici, dit Qadehar en gonflant ses poumons, l’air a une odeur délicieuse ! Tu ne trouves pas ?

– Si, hésita Guillemot qui ne s’attendait pas à un tel accueil.

– J’aime cet endroit ! On dirait vraiment qu’il est magique !

Le Sorcier avait prononcé les derniers mots d’une telle façon qu’ils amenaient sans aucun doute un commentaire. L’Apprenti prit son inspiration.

– C’est normal, Maître : les courants telluriques de Troïl rejoignent ici ceux de Dashtikazar.

Qadehar lui jeta un regard perçant.

– Rappelle-moi ce qu’est un courant tellurique, Guillemot, demanda-t-il d’un ton qui n’avait plus rien d’amical.

– Un ruisseau d’énergie qui coule de façon invisible dans le sol, Maître. De temps en temps, plusieurs ruisseaux se rejoignent et forment une rivière d’énergie. Les endroits où ils se rejoignent s’appellent des nœuds telluriques. La force y est puissante. Comme ici, Maître.

Guillemot avait répondu avec une parfaite assurance. Qadehar sauta du dolmen, se pencha au milieu des herbes et arracha une fleur qu’il mit sous le nez de Guillemot.

– Qu’est-ce que c’est ?

– Hypericum maculatum, millepertuis maculé ! Elle se cueille en été. Elle contient une huile qui devient rouge et que l’on utilise pour cicatriser les plaies.

– Est-ce la seule dans ce cas ?

Guillemot hésita, mais Qadehar le foudroya du regard et il balbutia :

– Heu, non, non… Elle a une sœur, L’Hypericum perforatum, le millepertuis perforé, qui préfère les sols plus secs.

Le visage du Sorcier s’éclaira d’un large sourire.

– Bien, Guillemot, très bien !

Il remonta sur le dolmen et fit signe au garçon, soulagé, de venir le rejoindre.

– Tu as beaucoup travaillé. D’ailleurs, je n’ai jamais douté de toi.

Guillemot rayonnait. Son Maître reprit :

– Comme je te l’ai promis, je vais ouvrir pour toi Le Livre des Étoiles et t’enseigner le premier des secrets de la Guilde. Mais avant, j’ai quelque chose à te donner.

Il sortit de sa propre besace une sacoche de toile flambant neuve ainsi qu’un carnet épais recouvert de cuir noir.

– Tout Apprenti Sorcier possède une sacoche semblable dans laquelle il range les livres qu’il étudie, les plantes qu’il ramasse et… son carnet personnel, qui contient son cheminement et ses propres découvertes !

Guillemot prit avec la plus grande précaution les deux objets et les examina avec ravissement.

– Je ne vérifierai jamais ce que tu inscriras dans ton carnet, Guillemot, lui précisa Qadehar amusé par la réaction de son élève. Ce sera à toi de juger ce qu’il est important d’y noter.

– Je vous remercie, Maître ! Ce sont les plus beaux cadeaux que l’on m’ait jamais faits !

– Bien, bien, fit simplement le Sorcier qui paraissait attendri. Est-ce que tu es prêt, maintenant, pour Le Livre des Étoiles ?

– Oh oui, répondit Guillemot les yeux brillants. Je suis prêt !

– Alors écoute-moi et, si quelque chose ne te paraît pas clair, n’hésite pas à m’interrompre et à me poser des questions.