– Dites-m’en plus sur les sign… sur les Graphèmes Maître !
– Guillemot, je vais d’abord t’en dire plus sur ce que seront tes prochaines années d’étude de la sorcellerie. Et si tu n’es pas découragé, je te parlerai encore des Graphèmes !
– D’accord ! accepta Guillemot ravi.
– Il te faudra beaucoup travailler des matières qui te sembleront éloignées de la magie proprement dite, comme la géologie, la géographie ou l’histoire. Apprendre les cartes des vents, des courants terrestres et marins ; la composition des roches et des métaux, le comportement des animaux, les propriétés des plantes, la psychologie des hommes, bref, tout ce qui concerne les cinq éléments ! Car comprendre le monde est indispensable à qui veut agir sur le Wyrd.
Guillemot soupira. La magie semblait tout à coup beaucoup moins drôle que ce qu’il venait de s’imaginer ! Il hocha malgré tout la tête. Qadehar continua :
– Tu fortifieras et assoupliras ton corps avec des exercices : faire de la magie réclame puissance et endurance ! Tu travailleras ton souffle : le souffle est le moteur principal de la pratique magique. Ne néglige jamais ton corps, Guillemot : il est ton unique source d’énergie
– La force d’un Sorcier, Maître, s’inquiéta Guillemot, dépend de celle de son corps ?
– Oui et non, mon garçon. La force d’un Sorcier réside avant tout dans la façon dont il maîtrise son art. Mais également dans sa capacité à se servir des énergies élémentaires : et canaliser un flux tellurique demande d’être solide, crois-moi ! Enfin, certains Sorciers possèdent à un plus haut degré que d’autres la force intérieure particulière que nous appelons Ônd et qui donne sa puissance à notre magie. On naît avec un Ond puissant, comme certains avec la capacité de courir vite ou celle de savoir dessiner !
– Ce… Ônd, Maître, se hasarda Guillemot. Est-ce qu’il a un rapport avec l’effet Tarquin ?
– C’est bien possible, reconnut Qadehar. Je vois que tu comprends vite. Je continue ?
Guillemot acquiesça vigoureusement. Le Sorcier reprit :
– En même temps que tu entraîneras ta mémoire et ton corps, tu travailleras sur les Graphèmes. Il s’agira d’abord de bien les connaître : leur nom, leur forme, leur ordre dans l’alphabet et leurs pouvoirs. Ensuite, il faudra te les approprier, les redécouvrir toi-même par la méditation, créer avec eux une intimité dans ton cœur et dans ton esprit. Une fois les Graphèmes acquis, tu apprendras avec mon aide à t’en servir : les écrire ou les graver, les chanter, les appeler en toi et les reproduire. Grâce à eux, tu pourras te défendre contre toutes les agressions et te rendre maître de n’importe quel adversaire, ou bien devenir clairvoyant, et même interroger l’avenir ! Qu’en dis-tu ?
Guillemot resta un moment silencieux. Ce qu’il en disait, c’était que de toute façon il n’avait pas le choix ! Et qu’une partie du programme lui paraissait beaucoup moins passionnante que l’autre… Il se força néanmoins à adopter un ton joyeux, en pensant aux mystérieux Graphèmes qui le fascinaient.
– Génial, Maître !
– Bien, bien mon garçon. A présent, que veux-tu savoir ?
– Ces Graphèmes… Qui les a inventés ?
– On ne sait pas qui les a inventés, Guillemot. Pas plus que l’on ne sait qui a écrit Le Livre des Etoiles, ni même depuis combien de temps il est en notre possession… C’est bien Le Livre des Étoiles qui nous a révélé les Graphèmes mais ils sont sous les yeux des hommes depuis toujours.
– Où ça, Maître, où ça ? demanda Guillemot en regardant partout autour de lui.
– Mais… là, mon garçon, fit doucement le Sorcier en désignant les étoiles qui s’installaient dans le ciel au fur et à mesure que s’accentuait le crépuscule. Dans le secret de la nuit.
– Vous voulez dire que…
– Je veux simplement dire que les Graphèmes nous viennent des étoiles, plus précisément de certaines constellations dont ils reproduisent la forme. C’est pour cela que nous avons appelé notre précieux grimoire Le Livre des Étoiles : à cause du ciel nocturne et de l’alphabet que les astres, reflétant le Wyrd, y dessinent en pointillé lumineux !
Guillemot exultait. Le regard perdu dans le ciel, il lui semblait enfin avoir trouvé sa place dans ce monde : là-haut, dans l’intimité des étoiles !
11 L’ENLÈVEMENT
Guillemot, les yeux fermés, s’efforçait de visualiser le troisième Graphème de l’alphabet des étoiles. Le dessin, simple pourtant, avait du mal à apparaître avec netteté dans son esprit. Il fit un dernier effort de concentration puis, devant son insuccès, abandonna et ouvrit les yeux. Il cligna des paupières sous la lumière crue du soleil de midi qui ricochait sur le sable de la plage, où il s’était installé pour travailler.
Voilà trois semaines que Qadehar, son Maître Sorcier, avait ouvert pour lui Le Livre des Étoiles, et trois semaines qu’il tentait péniblement d’en acquérir les signes, ces clés qui ouvraient les portes de la vraie magie. Trois semaines qu’il avait passées tout entières ou presque sur les trois premiers Graphèmes, profitant du relâchement des professeurs qui annonçait l’imminence des grandes vacances et délaissant l’étude des cinq éléments. Pour quels résultats ? Trois malheureux dessins qui se faisaient prier pour apparaître dans son esprit lorsqu’il fermait les yeux. Son Maître ne lui avait donné que la forme et le nom des vingt-quatre signes, considérant qu’il devait s’entraîner à ressentir le pouvoir des Graphèmes avant de se mettre à les étudier vraiment…
La colère envahit Guillemot. Lui, l’Apprenti doué, sélectionné par l’effet Tarquin en personne, calait devant de stupides dessins ! Il posa son carnet dans le sable. Puis il respira profondément, ferma de nouveau les yeux et entreprit de se concentrer de son mieux. Le premier Graphème surgit un peu brouillé dans la nuit de son esprit : Féhu, qui lui évoquait sans qu’il sache pourquoi une grosse vache. Le deuxième rejoignit le premier : Uruz, qui lui faisait penser à la pluie. Le troisième enfin se fixa à côté : Thursaz, qui lui semblait rire comme son oncle, d’un rire de géant. Cette fois, ça y était ! Il jubila. Ce fut à ce moment qu’une voix le tira de sa méditation :
– Tu crois qu’il dort ? Hé, Guillemot l’endormi, tu dors ?
Guillemot tressaillit en reconnaissant la voix de Thomas
de Kandarisar. Il ouvrit les yeux : ce n’était pas un rêve ; le rouquin se tenait en face de lui et, à ses côtés, les mains sur les hanches et un sourire mauvais sur le visage, Agathe de Balangru. Il pensait pourtant s’être débarrassé d’elle et de sa bande, avec sa formule magique bidon !
– Faut qu’on parle, nabot, grinça la grande fille qui ne semblait plus avoir peur de lui.
– Ouais, renchérit Thomas, tu t’es bien foutu de nous, l’autre jour, pas vrai ?
– Ne nie pas, l’avorton, continua Agathe : j’ai demandé à mon père. Il m’a dit qu’un Apprenti ne peut pas faire de magie.
– Trop nul, ouais ! ajouta Thomas. Paraît qu’y faut plusieurs années avant d’être capable de jeter un sort !
– Alors on s’est dit, termina la fille d’un ton lourd de menaces, qu’il fallait vérifier ça nous-mêmes. Thomas, à toi !
Thomas se précipita sur Guillemot qui s’était relevé d’un bond, prêt à prendre ses jambes à son cou.
Seulement, il lui aurait fallu pour cela abandonner son précieux carnet ; aussi ne fit-il pas un geste et se crispa-t-il dans l’attente du choc.
Mais le choc ne vint pas. Thomas s’était figé, paralysé par la peur, les yeux écarquillés tournés vers la mer. Agathe regarda dans la même direction et hurla de terreur : surgissant de l’eau, deux Gommons se précipitaient sur eux.