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Le Prévost redevint sérieux et interrogea Qadehar :

– Sait-on comment ce garçon a pu réaliser ce tour contre le Gommon ?

– Pas exactement, Votre Honneur, répondit le Sorcier, après un rapide coup d’œil en direction du Mage. Il semble cependant que Guillemot ait quelques prédispositions pour la magie, suffisamment en tout cas pour avoir déclenché un effet Tarquin. Sans doute, conjugué à cette nature réceptive, l’effet de la peur a-t-il accru le pouvoir des rudiments de sorcellerie que j’ai commencé à lui enseigner…

Le Prévost se tourna vers le Commandeur.

– Commandeur, a-t-on des nouvelles de la fille Balangru ?

– Hélas ! non, Votre Honneur, répondit le Chevalier. Une chose est certaine, cependant : elle ne se trouve plus à Ys…

La réponse du colosse plongea chacun dans le silence. Le Prévost s’adressa au Mage.

– Grand Mage Charfalaq, où en sont vos recherches ? Le Gommon prisonnier a-t-il livré ses secrets ?

– Il est trop tôt, Votre Honneur, répondit le vieil homme d’une voix éraillée mais tranquille que ponctuaient de longues quintes de toux. Nos meilleurs Sorciers travaillent sur ce mystère. Quant au Gommon… Il est coriace ! Mais il finira par parler.

Un nouveau silence suivit les paroles du vieux sage. Ce fut le Délégué qui le rompit :

– Sait-on au moins pourquoi la fille Balangru a été enlevée ? A-t-on reçu une demande de rançon ?

– Non, répondit le Commandeur à qui incombait la sécurité du pays. Personne n’a encore contacté la famille…

– Mais enfin, explosa Utigern de Krakal dont l’humeur n’était plus du tout à la plaisanterie, que faut-il faire ? Nos concitoyens sont effrayés, ils attendent des réponses !

– Il n’y a rien à faire d’autre, lui répondit calmement le Prévost. Nous devons rester sur nos gardes, et attendre les résultats de l’enquête…

–… ou bien le prochain enlèvement ! rugit le Représentant des clans. J’ai deux filles, moi, et vous aussi vous avez des enfants, et même des petits-enfants ! Je ne sais pas ce que vous pensez, mais moi, je n’ai pas du tout envie de les voir disparaître !

– Calmez-vous, Utigern, reprit le Prévost. Personne ne souhaite de nouvelles disparitions ! Mais je l’ai dit : il faut être patient. Dans l’immédiat, d’autres choses nous préoccupent. Toi, par exemple, ajouta-t-il en se tournant vers Guillemot.

– Moi ? balbutia-t-il. Mais pourquoi ? Qu’est-ce que j’ai fait ?

– Tu es l’un des deux seuls témoins de l’enlèvement, expliqua le Commandeur. Et tu es celui qui a vaincu le second Gommon. L’autre t’a peut-être vu agir. En tout cas, il est urgent de te mettre en sécurité. Dans l’un des forts de la Confrérie, par exemple.

Le Grand Mage leva la main pour demander la parole ; Guillemot, comme les autres, se tourna vers lui. Le vieil homme dégageait une aura particulière, et l’Apprenti comprit tout à coup ce que son Maître avait voulu dire en lui recommandant de ne pas se fier aux apparences : chez le Mage, la magie se nourrissait moins du corps que le corps se nourrissait de la magie ! Il ne put s’empêcher d’éprouver, au-delà d’une instinctive antipathie pour ce vieillard qui n’avait pas l’air drôle du tout, du respect, et même de l’admiration.

– Pourquoi ne pas le cacher dans l’un de nos monastères ? suggéra Charfalaq. Nulle part ailleurs il ne pourrait être mieux à l’abri !

C’est bien ce que Guillemot craignait ! Se voir enfermer quelque part, alors que l’été commençait ! Il grimaça. Mais, pour le rassurer, Qadehar posa une main sur son épaule et réclama la parole :

– C’est très gentil de vous inquiéter pour mon élève… Cependant, je pense que Guillemot sera bien assez en sécurité avec moi. Laissons-le à Troïl : je m’y installerai également et veillerai sur lui, en même temps que je pourrai poursuivre mon enseignement.

Les membres du Conseil palabrèrent un moment, le Grand Mage se montrant le plus réticent à la proposition du Sorcier. Enfin, tous se rangèrent derrière l’avis de Qadehar, qui paraissait le plus raisonnable. N’était-il pas celui qui connaissait le mieux le Monde Incertain et les créatures qu’il abritait, et même, disait-on, le seul homme capable de tenir tête à l’Ombre, leur terrible ennemi ?

Qadehar remarqua l’air soulagé de Guillemot en entendant le Prévost confirmer la décision du Conseil de le confier à la garde du Sorcier, et lui adressa un clin d’œil complice. Le garçon se demanda comment son Maître avait fait pour savoir que Romaric, Gontrand, Ambre et Coralie devaient arriver demain à Troïl pour toute la durée des vacances d’été !

13

13 RETROUVAILLES

– Raconte, raconte encore ! insista Romaric tout excité par le récit que venait de faire, pour la dixième fois, Guillemot à ses amis.

– Oh ! la barbe, lui répondit Ambre, tu ne vois pas qu’il en a marre ?

– Enfin, râla le garçon blond, ce n’est quand même pas tous les jours qu’on a la chance d’écouter un authentique héros raconter son histoire !

– Je comprends ça, lança Gontrand moqueur : moi-même, si j’étais moins que rien, je ressentirais le besoin de fréquenter des êtres exceptionnels, comme un tueur de Gommon, ou un musicien génial.

– Ouais, grogna Romaric en frappant l’épaule du grand garçon maigre qui protesta, tu vas voir ce qu’un futur Chevalier va faire au musicien génial !

C’est à ce moment-là que Coralie fit irruption dans la chambre de Guillemot où ils s’étaient réfugiés pour laisser passer les heures les plus chaudes de l’après-midi, portant sur un plateau des verres d’orangeade bien fraîche. Tout le monde approuva l’initiative. La coquette fit mine de prendre le compliment pour elle et se pavana de façon exagérée, déclenchant des rires.

Décidément, l’été commençait bien !

Depuis que la bande s’était retrouvée pour les vacances dans la maison de Guillemot, les heures se succédaient ainsi, joyeuses, et ils en auraient tous oublié le temps qui passait si la mère de Guillemot ne les avait pas appelés pour les repas.

C’était à Ys une habitude : les parents exigeaient beaucoup de leurs enfants durant toute l’année scolaire, mais en contrepartie ils leur laissaient une liberté presque absolue pendant les deux mois des vacances d’été. Inutile de dire que ce moment était attendu avec impatience par tous les écoliers du pays !

Les balades sur la lande alternaient avec les défis sportifs que les amis se lançaient sur la place du village de Troïl, les jeux de cartes dans la chambre de Guillemot avec les soirées passées à discuter dans le salon, après avoir visionné une vidéo.

Guillemot était souvent au centre du tourbillon joyeux. Raconter son aventure ne lui déplaisait aucunement ; il se surprenait parfois à ajouter des éléments qu’il inventait dans le feu du récit, et à éprouver de l’orgueil en voyant les regards brillants de ses amis tournés vers lui. Dans celui de son cousin Romaric, il avait même décelé de l’admiration et cela, plus que tout peut-être, le comblait d’aise !

Il profitait aujourd’hui davantage encore de ces moments car il avait obtenu de Qadehar, qui logeait chez l’oncle Urien, un jour de repos complet : dès le lendemain, il lui faudrait de nouveau passer une partie de ses journées avec son Maître.

– On marche jusqu’aux falaises ? proposa Ambre après qu’ils eurent bu jusqu’à la dernière goutte de leur verre.

– Génial ! acquiesça Gontrand en sautant sur ses pieds, bientôt suivi par les autres.

Ils dévalèrent bruyamment l’escalier et sortirent dans la rue pavée qui serpentait à travers le village de Troïl.