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La maison qu’habitait Guillemot était située à l’entrée du village, sans voisin immédiat.

D’un côté s’étendait la lande qui conduisait à la mer, et de l’autre commençait une forêt de chênes et de hêtres, qui s’enfonçait dans l’arrière-pays. Mais la petite bande avait choisi de se diriger vers les falaises côtières, qu’elle préférait.

Guillemot ralentit son allure et marcha bientôt côte à côte avec Ambre.

– Pourquoi est-ce que tu as raconté toutes ces histoires à ton père ?

– Quelles histoires ? demanda Ambre avec surprise, en se tournant vers lui.

– Tu sais bien, s’empourpra le garçon, à propos de moi et des filles d’Ys…

– Ah ! ça, reconnut Ambre en adoptant un ton léger, je ne sais plus. Sans doute que cette idée m’a traversé la tête et qu’elle m’a amusée !

– Eh bien, ça n’a rien de marrant ! se fâcha Guillemot.

Ambre mima la surprise :

– Ah bon ? Alors ce n’est pas vrai ?

Guillemot se renfrogna. Il était impossible de discuter sérieusement avec cette fille.

Consciente d’être allée un peu trop loin, elle essaya de relancer la discussion :

– Ta mère est vraiment gentille de nous recevoir tous les quatre pendant deux mois !

– Oui, c’est vrai, acquiesça Guillemot. Pour rien au monde elle ne voudrait que je sois malheureux ; et ç’aurait été le cas, si j’avais dû passer l’été loin de vous.

– Flatteur ! rétorqua Coralie qui s’était rapprochée

d’eux, laissant Romaric expliquer avec de grands gestes à Gontrand l’entraînement qu’il s’était imposé pour son examen d’entrée à la Confrérie.

– Ma mère a toujours l’air si triste ! On dirait qu’elle se sent coupable d’avoir laissé partir mon père et de ne pas m’avoir donné de frères et sœurs… soupira Guillemot.

– Et moi qui donnerais tout pour être fille unique ! s’exclama Ambre que sa sœur fusilla du regard.

– Le principal, c’est qu’elle t’aime, non ? conclut Coralie gentiment.

– Oui, oui, tu as raison, dit Guillemot évasif, comme pour chasser les mauvaises pensées qui auraient pu venir gâcher le bonheur de ses journées.

Ils parvinrent bientôt en vue des falaises de calcaire blanc qui se dressaient au-dessus de l’océan, géantes fragiles, changeant constamment d’aspect sous les assauts de la mer, du vent et de la pluie, s’érodant lentement ou s’effondrant par pans entiers. Elles étaient moins spectaculaires que celles des côtes de la Lande Amère ou des Montagnes Dorées, là où s’était produite la déchirure quand la grande tempête avait arraché Ys au continent. Mais elles restaient malgré tout imposantes.

Ils prirent le chemin menant à la plage de galets, après un coup d’œil vers Guillemot qui les rassura avec un sourire : ce n’était pas parce qu’une fois des Gommons s’étaient attaqués à lui qu’il lui fallait fuir à jamais les plages d’Ys !

En chemin, Guillemot décrivait à ses amis étonnés la vie qu’abritaient ces falaises à première vue inhospitalières lorsque la pente était douce, des pelouses se développaient, fleuries de fétuques rouges et d’achillées mille-feuilles, attirant les papillons et parfois les hérissons. Dans les fissures de la paroi abrupte nichaient des mouettes, des goélands argentés et des faucons crécerelles.

– Ne me dis pas que c’est à l’école que tu apprends tout ça ! le coupa Gontrand alors qu’ils marchaient sur les galets du bord de mer.

– Non, c’est avec Maître Qadehar… Cela fait partie de mon apprentissage, révéla Guillemot.

– Et la magie, dans tout ça ? demanda Coralie curieuse.

– Je vous l’ai répété, répondit-il, je ne dois absolument jamais aborder ce sujet, même avec vous. Je l’ai promis.

– On sait, on sait, bougonna Romaric. Coralie disait ça sans réfléchir, c’est tout.

– C’est sa spécialité, laissa tomber Ambre, avant de lancer joyeusement à la cantonade : faisons plutôt de l’escalade ! Qui relève mon défi ?

Sa proposition ne provoqua pas beaucoup d’enthousiasme. Chacun savait qu’il était impossible de grimper aussi bien qu’elle. Comme d’habitude, Romaric fut le seul à relever le défi. Sans doute un réflexe idiot de futur Chevalier ! se moqua Gontrand. Ils s’assirent pour assister au spectacle.

Romaric grimpait tout en puissance, et chaque geste lui arrachait un grognement. Ambre se déplaçait gracieusement et s’élevait sans effort apparent. On aurait dit qu’elle dansait sur la paroi, cherchant ses prises de main et de pied à l’aide de souples mouvements de balancier. Elle le distança rapidement. Elle parvint bientôt au sommet du rocher qu’elle avait choisi, sous les applaudissements des autres restés en bas. Malgré le ressentiment qu’il éprouvait encore à son égard, Guillemot était ému. Il se demandait s’il avait déjà vu un spectacle aussi beau que celui d’Ambre caressant et apprivoisant la falaise.

Romaric, quant à lui, soufflant et transpirant, la rejoignait seulement. Elle lui tendit la main pour l’aider dans le dernier mètre, et il l’accepta de bon cœur. Juchés tous les deux sur le même rocher, ils crièrent leur victoire, les bras levés. Gontrand, Coralie et Guillemot leur répondirent d’en bas. C’est alors qu’Ambre hurla :

– LÀ ! LÀ ! GUILLEMOT ! ATTENTION !

Toute pâle, elle désignait en s’agitant des buissons proches de la mer. Romaric se mit lui aussi à crier et à gesticuler. Les trois autres restés sur la plage se retournèrent. Ils virent une ombre se profiler sur les galets non loin d’eux, une ombre large et trapue.

Coralie se mit à hurler. Guillemot, figé, tenta un moment d’appeler à lui le Graphème qui l’avait sauvé la dernière fois, mais abandonna rapidement : c’était Thursaz qui était venu tout seul, et non lui qui l’avait fait venir. Il baissa la tête, subitement honteux de ses vantardises auprès de ses amis, puis la releva, prêt malgré tout à se défendre farouchement. Il vit Gontrand extirper en tremblant de sa poche un étrange sifflet et, bien qu’il n’en sortît pas un son, souffler dedans à s’en faire exploser les poumons.

Soudain, dans un grincement effroyable et un jaillissement d’étincelles, un rocher tout proche d’eux sembla s’ouvrir et Qadehar apparut. En chancelant, il se précipita entre Guillemot et l’ombre qui n’avait pas bougé, adoptant une posture magique de défense. Le temps sembla se figer. Personne ne bougeait, ni même n’osait respirer. Un instant après, le Sorcier se détendit et éclata de rire.

– Approche ! N’aie pas peur !

Des buissons où il se cachait sortit celui dont le soleil projetait l’ombre sur la plage.

– Je n’ai pas peur, bougonna une voix que tous reconnurent avec stupeur.

Apparut alors, les mains dans les poches et la mine contrariée, Thomas de Kandarisar ! Le garçon, large et trapu, s’avança vers le petit groupe en boitant et en tramant les pieds.

14

14 VIVE LES VACANCES !

– Qu’est-ce qu’il peut être collant ! lança Coralie après s’être retournée et avoir aperçu la tignasse rousse de Thomas qui les suivait à distance.

– C’est vrai, admit Romaric, mais il nous l’a expliqué avant-hier, quand il nous a fait si peur sur la plage : il s’est juré de toujours veiller sur Guillemot qui lui a sauvé la vie !

– Vous aviez remarqué, vous, avant, qu’il me suivait ? demanda Guillemot.

– Non, répondirent les autres d’une seule voix.

– Il paraît qu’il est à l’auberge de Troïl, ajouta Coralie qui savait toujours tout. L’aubergiste est un ami de son père.